© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (22/06/2010)
CELLE DES AMATEURS AVERTIS...
Si aujourd'hui Alfa Romeo est dans
l'esprit de tous un constructeur généraliste à
connotation sportive, la firme d'Arese luttait parmi les marques
les plus prestigieuses de la planète avant la deuxième
guerre mondiale. Ses multiples victoires en Grands-Prix faisaient
profiter d'une très bonne image les modèles de production
qui rivalisaient de luxe et de sport. La lignée des Alfa
Romeo 6C et 8C en étant le meilleur exemple. Mais après
la guerre, dans une Europe qui panse ses plaies, Alfa Romeo doit
changer de stratégie. Toujours le sport, mais en démocratisant
ses produits...
Texte:
Nicolas LISZEWSKI - Photos: D.R.
Avant guerre, Alfa Romeo s'illustrait alors sur les circuits des
Grands-Prix (la Formule Un n'existait pas encore) de l'Europe entière
et tenait tête aux ténors de la catégorie, essentiellement
les constructeurs français et allemands. Ses modèles
de production étaient alors à l'opposé des
modèles actuels, dans un marché automobile qui connaissait
une composition différente. Ainsi, les concurrents directs
d'Alfa Romeo à l'époque s'appelaient Delage, Delahaye,
Mercedes-Benz, Lancia, Bentley, Talbot, Bugatti... Si on veut faire
une comparaison avec les segments de marché et les marques
actuelles, plus significatifs pour les jeunes générations,
Alfa Romeo était avant guerre l'équivalent de marques
comme Aston Martin, Jaguar ou Bentley aujourd'hui ! Les cinq longues
années du conflit mondial, l'Italie déchirée
par le fascisme, puis anéantie à la fin de la guerre
ont changé la donne. Alfa Romeo pour survivre, doit se diversifier
et changer de stratégie. C'est donc une rapide descente en
gamme qui est opérée, avec en premier lieu la berline
1900, première du genre sur le marché puisqu'elle
fut la première berline familiale sportive. Mais pour augmenter
les volumes de production, et donc sa survie, Alfa Romeo va descendre
encore en gamme en lançant en 1952 l'étude d'une voiture
moyenne bon marché. Avec toujours dans ses gènes,
une forte connotation sportive, le fameux virus Alfa Romeo...
PRESENTATION
Pour mieux comprendre le succès des coupés Alfa Romeo
Giulietta Sprint, il faut revenir au début des années
50. A l'époque, certains constructeurs hésitent à
abandonner un style classique et céder aux sirènes
du style ponton. En outre, les coupés sportifs demeurent
plus de lourdes GT peu pratiques et peu maniables dont les tarifs
sont prohibitifs et réservés à une élite.
La Cisitalia, dessinée par Pininfarina sera la première
berlinette du genre et va révolutionner le monde des voitures
de sport en matière de design. Dans cette mouvance, le centre
de style Alfa Romeo et Felice Boano vont dessiner la ligne du futur
coupé Alfa Romeo. Ces autos seront fabriquées par
Bertone, car Alfa Romeo n'a prévu d'en fabriquer qu'une série
artisanale d'une cinquantaine de véhicules... Il en sera
finalement fabriqué pendant une dizaine d'années toutes
versions confondues près de 36 000 exemplaires ! Le coupé
Giulietta Sprint se singularise par un empattement réduit
lui conférant une ligne compacte. En admirant ses lignes
avec attention, on devine immédiatement qu'elle a inspiré
très largement le coupé Alfa Romeo GT qui vient d'être
commercialisé courant 2004. Tous les canons stylistiques
de l'époque se retrouvent dans ce dessin italien. On peut
même y trouver quelques similitudes avec certaines Ferrari
ou Aston Martin contemporaines, mais à échelle réduite.
Les moustaches enchâssant la célèbre calandre
Alfa Romeo (le " mascarone ") viennent augmenter le caractère
de l'auto et les chromes ont été utilisés à
bon escient sans excès. Nous sommes face à une voiture
de sport ! Avec près de 60 ans de recul, chaque détail
stylistique des coupés Giulietta Sprint est une véritable
invitation à la nostalgie. Il est difficile de rester de
marbre face à un design enchanteur et pourtant si pur. Pourtant,
les Giulietta Sprint sont les Alfa Romeo des puristes, des amateurs
avertis, car la notoriété des coupés Bertone,
plus diffusés, est nettement plus évidente. Techniquement,
l'Alfa Romeo Giulietta Sprint reprend le principe de la caisse autoporteuse
en acier. Contrairement au véhicule présenté
au salon de Turin en 1954, le coupé Giulietta Sprint a gagné
deux places de plus (c'est donc un coupé 2+2) et a abandonné
son hayon à ouverture transversale pour une malle de coffre
à la cinématique d'ouverture plus classique. Les ouvrants
sont également en acier. L'intérieur possède
des cotes aux standards de l'époque. La planche de bord d'une
extrême simplicité conserve une élégance
intemporelle. Trois gros cadrans sont sous les yeux du conducteur
avec le compte-tours au centre, rappelant les gènes sportifs
du coupé milanais. Le volant avec cerclo d'avertisseur est
en bakélite et vous remémore les films en noir et
blancs de vos grands-parents. En son centre, le biscione et le blason
milanais sont bien présents, comme sur toutes les Alfa Romeo.
Les coupés Giulietta Sprint se distinguent par une très
bonne position de conduite qui permet une conduite efficace et précise
à l'image de son châssis et son moteur pétillant...
CUORE SPORTIVO !
Sous le capot, on retrouve toute la force d'Alfa Romeo : son moteur.
Fidèle à une longue tradition de motoriste, Alfa Romeo
a monté un moteur 1,3 litres qui présente une modernité
étonnante pour l'époque. Ce quatre cylindres en ligne
possédait une culasse et un bloc en alu. Coiffé par
une distribution à double arbre à cames en tête
entraînée par une chaîne, ses pistons étaient
bombés et ses chambres de combustion hémisphériques.
On retrouve aujourd'hui toutes ces caractéristiques sur des
modèles actuels, preuve du talent des motoristes de la firme
d'Arese. L'alimentation est en revanche plus dans le ton de l'époque
et bien loin des normes actuelles. Un carburateur Solex double corps
inversé APAI-G se charge de faire couler le précieux
liquide dans les chambres de combustion. Ses 65 ch DIN à
6 100 tr/mn peuvent paraître de nos jours bien timides, mais
l'auto était alors légère avec 880 kg et les
160 km/h étaient autorisés. Du vrai sport en 1954
alors que la Citroën 2 CV développait moins de 30 ch
et n'atteignait même pas les 100 km/h... Une boîte mécanique
à 4 rapports au plancher était montée de série.
Comble du raffinement pour l'époque, les rapports sont synchronisés.
CHASSIS
La puissance est transmise aux roues arrière. Alfa Romeo,
comme la majorité des constructeurs d'alors, faisait encore
confiance à la propulsion, gage d'une meilleure efficacité
pour les voitures de sport. Pour leur nouveau coupé, les
ingénieurs d'Alfa Romeo ont employé des suspensions
conventionnelles mais efficaces : roues indépendantes à
l'avant avec ressorts hélicoïdaux, barre stabilisatrice
et amortisseurs télescopiques, essieu arrière rigide
avec ressorts hélicoïdaux et amortisseurs télescopiques.
Les freins sont à tambours et sans assistance sur les quatre
roues de série. Il faudra attendre plusieurs millésimes
pour que des freins à disques soient montés de série
sur les roues avant. Si aujourd'hui cela peut étonner, il
faut se souvenir que c'est Jaguar en compétition au Mans
avec la Type C qui a imposé les freins à disques comme
technologie nouvelle de freinage. Pour les roues, des jantes en
tôle de 15 pouces chaussées de pneus 155 HR 15 sont
montées de série. Il en résulte un comportement
routier très sain et efficace. La direction se révèle
douce et précise en évolution, tandis que la caisse
se cambre dans les courbes. Une fois la première émotion
passée, la caisse stabilise son roulis et conserve sa trajectoire.
Au pire, dans ses derniers retranchements (sur circuit bien entendu...)
la Giulietta Sprint affiche un comportement typé sous-vireur
qu'il convient de combattre à l'accélérateur.
Justement, les 65 ch des premières versions sont un peu juste
dans ce type d'utilisation, même si le double arbre se montre
volontaire et mélodieux.
EVOLUTION
Après une année de commercialisation, Alfa Romeo dévoile
l'Alfa Romeo Giulietta Spider. Dessinée par Pininfarina,
elle reprend la même base technique que le coupé Giulietta
Sprint. En 1956, Alfa Romeo offre une version plus musclée
de sa Giulietta Sprint : la Veloce ! Le 1,3 litres est équipé
de deux carburateurs double corps Weber DC03 autorisant ainsi 80
ch à 6 500 tr/mn et 180 km/h en vitesse maximum. Cette version
porte la dénomination interne chez Alfa Romeo " 750
E " alors que la Sprint normale est dénommée
" 750 B ". A noter que pour cette première génération
de Sprint Veloce, les ouvrants sont en aluminium. Deux ans plus
tard, c'est le début des carrosseries spéciales sur
le coupé Giulietta Sprint. C'est Bertone qui lance le bal
sur un dessin de Scaglione avec la Giulietta SS. Dotée d'une
ligne très gracile et élégante, le moteur issu
de la série développe pour l'occasion 100 ch, est
équipé d'une boîte de vitesses à 5 rapports
et atteint la barre des 200 km/h. La gamme " standard "
reçoit une nouvelle boîte de vitesses toujours à
4 rapports mais équipée de synchros Porsche. Pour
1959, Alfa Romeo dépoussière son coupé à
succès. De nombreux détails de présentation
diffèrent : dessin des feux, calandre avant, ajout clignotants
latéraux. Cette série " 101 " en remplacement
des types " 750 " fait gagner 10 ch de plus sur la Sprint
Veloce alors que la Sprint normale passe à 80 ch. Au passage,
la version Veloce perd ses ouvrants en alu pour revenir à
de l'acier conventionnel. L'année suivante, c'est la deuxième
réalisation spéciale sur-mesure de Zagato cette fois-ci.
L'Alfa Romeo Giulietta SZ (pour " Sprint Zagato ") se
distingue par une caisse entièrement réalisée
en aluminium selon un principe qui est cher au carrossier italien,
et son design est très novateur et aérodynamique.
Comme toutes les réalisations de Zagato, le toit possède
un double bossage. En 1962, la fin approche pour la génération
Giulietta. En effet, la berline Giulia est commercialisée.
Plus spacieuse, plus moderne et performante (ses moteurs sont plus
gros et puissants), elle va faire profiter de sa technique aux coupés
Giulietta Sprint. Pour l'occasion, les Giulietta Sprint changent
de nom en reprenant la dénomination " Giulia "
et adoptent ses moteurs et boîtes (1,6 litres de 92 ch et
BV5). Le Spider est également concerné. La seule survivante
de la génération Giulietta, est le coupé Giulietta
SS. Mais cela est de courte durée avec le changement de patronyme
et de moteur dès le millésime suivant : Giulia SS
avec un 1,6 litres de 112 ch et 195 km/h. Ce sont également
les grands débuts des coupés Giulia Sprint GT, plus
communément appelés " coupés Bertone ",
dessinés avec maestria par G. Giugiaro alors à la
Carrozzeria Bertone. En 1964, Alfa Romeo ré-introduit pour
le marché italien le coupé Giulietta Sprint 1300 doté
pour l'occasion de freins à disques sur les roues avant en
série. Mais cette commercialisation ne dure qu'une année,
et elle s'éteint de concert avec la berline en 1965. L'Alfa
Romeo Giulia a donc la voie libre pour son ascension commerciale.
Au total, près de 36 000 exemplaires de coupés Sprint
et versions dérivées auront été produits.
Un véritable succès qui a dépassé très
largement les attentes de départ du constructeur italien...
ACHETER UNE
ALFA-ROMEO GIULIETTA SPRINT
Pour acheter un coupé Giulietta Sprint, il faut compter minimum
15-16 000 euros pour un exemplaire sain en bon état avec
historique connu. Les versions Veloce sont plus chères et
se négocient 1 000 à 2 000 euros plus chères.
Les carrosseries spéciales (SZ Zagato et SS) se négocient
bien entendu à des valeurs plus élevées. Mais
au-delà des cotes et valeurs transactionnelles, le plus délicat
sera d'être patient et d'attendre qu'un propriétaire
se décide à s'en séparer. Ces autos n'ont en
effet pas la renommée des Coupés Bertone, mais profitent
d'une aura exceptionnelle auprès des amateurs avertis. Il
est totalement illusoire de parler de kilométrage d'origine
sur des autos qui sont âgées de plus de 50 ans. Le
plus important dans votre choix, outre les recommandations qui vont
suivre, est d'opter pour une auto qui est stockée dans un
garage fermé et couvert, à l'abri des intempéries,
et qui roule régulièrement. Paradoxalement, on ne
le dira jamais assez, plus une auto ancienne roule, moins elle s'abîme
! Les caisses des Giulietta Sprint ne souffraient pas de la corrosion
comme leurs descendantes plus récentes, mais en raison de
leur âge, un contrôle minutieux de la caisse sera impératif
aux endroits usuels : ancrages de suspensions, traverses, bas de
caisse, tours de phares, charnières de portes et fond de
coffre qui contient le bac à batterie. La transmission est
fiable et endurante. Seul le synchros de seconde souffre généralement
le premier et se manifeste. La boîte et le pont doivent être
vidangés tous les 10 000 km avec de l'huile SAE 90. Côté
moteur, le double arbre Alfa Romeo est un dur à cuir, si
l'entretien ad hoc est réalisé de même que les
conditions d'utilisation. Il faut donc impérativement le
laisser monter en température avant de vouloir attaquer,
mais aussi surveiller attentivement son refroidissement. En effet,
la cohabitation du bloc alu et des chemises en fonte peut entraîner
de la corrosion. Il doit être correctement lubrifié
(tous les 5 000 km), le jeu des soupapes doit être vérifié
tous les 30 à 40 000 km et la tension de chaîne de
distribution doit être contrôlée scrupuleusement.
Les carburateurs doivent être réglés en moyenne
tous les 10 000 km en moyenne, plus encore si vous roulez en usage
urbain. Comme toute bonne (vraie) ancienne qui se respecte, des
points de graissage sur les essieux doivent être respectés
selon les préconisation constructeur. Les pièces sont
relativement coûteuses à l'achat, et certaines sont
difficiles à trouver. C'est notamment vrai pour les types
" 750 ". On l'aura compris, à la lecture de ce
quotidien technique des Giulietta Sprint et Sprint Veloce, l'auto
que vous achèterez devra répondre à toutes
ces exigences, factures à l'appui, pour que ce beau rêve
de puriste ne tourne pas au cauchemar.
CHRONOLOGIE
1952 : Alfa Romeo démarre l'étude d'une voiture
moyenne.
1954 : Au salon de Turin, présentation du coupé
Alfa Romeo Giulietta Sprint (type 750 B) : berlinette 2 places avec
hayon arrière à ouverture latérale, carrosserie
monocoque en acier, moteur 4 cylindres en ligne.
1955 : Présentation de l'Alfa Romeo Giulietta Spider.
1956 : Commercialisation de la version Giulietta Sprint Veloce
(type 750 E) : 2 carburateurs Weber DC03, 80 ch à 6 500 tr/mn
et 180 km/h.
1958 : Montage d'une nouvelle boîte de vitesses à
synchros Porsche.
Présentation de la Giulietta SS (carrosserie Bertone sur
dessin de Scaglione) : 100 ch, 200 km/h et BV5.
1959 : Petites modifications sur la gamme avec nouvelle série
type 101 : calandre redessinée, feux modifiés, clignotants
latéraux, décoration nouvelle... La puissance de la
Giulietta Sprint passe à 80 ch, et la Veloce à 90
ch.
1960 : Commercialisation du coupé Alfa Romeo Giulietta
SZ (Sport Zagato) dessinée par le carrossier Zagato à
la carrosserie légère.
1962 : Lancement de la berline Alfa Romeo Giulia.
Les Giulietta Sprint et Spider changent de nom et adoptent
la mécanique (1,6 litres de 92 ch, BV5) des Giulia.
1963 : Lancement du coupé Alfa Romeo Giulia Sprint
GT (le coupé Bertone avec capot " boîte aux lettres
").
La Giulietta SS devient Giulia SS (112 ch et 195 km/h).
1964 : Pour le marché italien, réintroduction
de l'Alfa Romeo Giulietta Sprint 1300 avec freins à disques
AV de série.
1965 : Arrêt des Alfa Romeo Giulietta Sprint.
Arrêt de production des Alfa Romeo Giulietta berline TI.
PRODUCTION ALFA ROMEO GIULIETTA SPRINT:
Giulietta
Sprint : 24 084 exemplaires
Giulietta Sprint Veloce : 3 058 exemplaires
Giulia Sprint : 7 107 exemplaires
Giulietta SS : 1 366 exemplaires
Giulietta SZ : 210 exemplaires
Giulia SS : 1 400 exemplaires
TOTAL : 35 808 exemplaires
Total Berlines Giulietta : 128 913 exemplaires
:: CONCLUSION
L'Alfa Romeo Giulietta Sprint est désirable à plus
d'un titre. En premier lieu, elle représente l'archétype
de la berlinette de sport italienne des années 50 avec en
prime un design très réussi et un moteur de feu. Ensuite,
elle est aujourd'hui du fait de sa rareté et de son histoire
un jalon essentiel des coupés milanais que tout amateur éclairé
et averti se doit de posséder dans sa collection personnelle.
Enfin, ce coupé Giulietta Sprint est actuellement admis dans
toutes les manifestations et peu même participer à
certaines épreuves de régularité ou de courses
anciennes. A posséder impérativement, mais en connaissance
de cause...
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