© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (12/12/2005)
LA FIN DES DINOSAURES...
Aston Martin n'est pas Ferrari et son seul vecteur de notoriété
pendant des années s'appellait "James Bond". Pour
de nombreux néophytes, Aston Martin est donc une marque un
peu énygmatique et le nom ou l'historique des modèles
l'est encore plus. Rien d'anormal lorsqu'on produit artisanalement
des voitures de sport aux caractéristiques techniques hors
du commun, vendue à des prix tout aussi inimaginables. L'Aston
Virage fait incontestablement partie de ces collectors pour initiés...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
La Virage, digne descendante de la lignée des Aston V8 et
V8 Vantage, fit son apparition publique
au salon de Birmingham en 1988. C'était la première
vraie nouveauté de la marque depuis 18 ans ! Une performance
dûe en grande partie aux difficultés financières
permanentes que rencontrait l'entreprise depuis les années
70. Son prix de vente particulièrement élitiste la
réservait, tout comme ses ainées, à une clientèle
d'amateurs fortunés, évitant toutefois les vedettes
superficielles de la catégorie des supercars. En effet, on
achète pas une Aston Martin comme on achète une Lamborghini
et les deux types d'acheteurs sont d'ailleurs très différents.
Le PDG de l'époque, Victor Gauntlet, n'hésite pas
quant à lui à qualifier la nouvelle Aston de plus
importante nouveauté depuis la naissance de la marque ! Et
pour cause, l'enjeu pour le groupe Ford est de taille : il en va
de la survie de la marque, les actionnaires n'ayant pas l'intention
de laisser moisir leurs dividendes plus longtemps. Deux ans de travail auront suffit
à la genèse de la nouvelle Aston.
DESIGN
Le dessin de l'équipe anglaise de John Heffernan et Ken Greenley
est celui retenu parmis plusieurs propositions d'origines diverses.
Les lignes de l'Aston Virage répondent à un concept
cher aux mondialistes de Ford, celui de la voiture qui saurait séduire
aussi bien les USA, la vieille Europe et l'Asie. La voiture répond
également à un cahier des charges faisant intervenir
pour la première fois la notion de rentabilité. En
effet, Aston Martin avait beau fabriquer les plus belles et les
plus chères autos du monde, la firme était en déficit
quasi-permanent ! Il résulte de tout cela un coupé
4 places d'un dessin particulièrement classique et convenu,
faisant appel aux tendances du moment, comme des lignes plus arrondies
dans la mouvance bio-design. Massif et imposant, le gros coupé
Aston ne fait pourtant pas l'unanimité. La Virage manque
un peu de dynamisme, de finesse et d'élégance. Certains
éléments comme les feux arrière de Volkswagen
Scirocco, les rétros de Citroen CX phase 2 et les phares
d'Audi 100 font même un peu tâche dans un tableau à
plus d'un million de francs... Mais bon, l'artisanat automobile
est coutumier de ce genre de pratique. Après tout, qui refuserait
d'acheter une Ferrari 328 parce qu'elle utilise des comodos de Fiat
? Sans ces quelques sacrifices, permettant d'économiser de
précieuses livres Sterling en design et en fabrication, la
marque aurait peut-être été dans l'incapacité
de développer un nouveau produit tant ses comptes étaient
dans le rouge malgré les capitaux engagés par Ford.
On regrette également l'abandon de l'extracteur d'air moteur
sur les flancs de la belle anglaise. Un trait sur le passé
qui avait de quoi froisser les plus fidèles clients ayant
signé un chèque sans même avoir vu la voiture
! Ils en sont pour leurs frais mais après 18 ans de diète,
une nouveauté Aston Martin reste un évènement
exceptionnel inmanquable. Et puis une carrosserie en aluminium,
entièrement assemblée à la main, ça
impose toujours le respect. Suite à de nombreuses remarques,
les ailes avant de l'Aston Martin V8 Vantage seront d'ailleurs modifiées
pour leur retour ! Perdues au milieu de cette immense carrosserie,
les petites jantes de 16" à 5 trous semblent aussi un
peu sous-dimensionnées. Il exista deux modèles différents
sur la Virage avant que du 17" soit adopté plus tard.
HABITACLE
Intérieurement, pas de mauvaise surprise en revanche. On
admire un habitacle d'une qualité de fabrication exceptionnelle,
faisant appel à des matériaux de grande qualité
comme les cuirs épais signés Connolly. Les fan de
la marque eurent tôt fait de remplir le carnet de commandes.
La production atteignit un record de 178 Aston Virage en 1990, soutenue
dès 1992 par la version cabriolet "Volante" (voir
encadré ci-dessous) très désirée outre-Manche.
La même année, le prototype Virage Vantage fut présentée
comme un modèle à part entière et son design
encore plus massif et musculeux fut décliné au reste
de la gamme, l'Aston en perdant progressivement son patronyme "Vantage"
pour devenir une simple "V8". A travers la décennie
90, l'Aston Martin Virage fut cependant considérée
comme un dinosaure face à des rivales comme la Ferrari
456 GT notamment. Cette ère des Aston V8 trouva un terme,
tant stylistique que technique, avec l'arrivée des DB7
V12 et surtout de la fantastique V12
Vanquish.
VIRAGE
VOLANTE
L'Aston Martin Virage Volante a été
produite de 1992 à 1996. Cette version était
très importante pour la marque car les découvrables
représentaient traditionnellement plus de 50%
de ses ventes. La capote arrière avec vitre en
verre est à commande électrique mais elle
dépasse disgracieusement sur la malle. La planche
de bord est différente de la Virage, avec une
console et une instrumentation redessinnées.
Le moteur estc elui de la V8 standard. Ce paquebot de
2 tonnes à ciel ouvert abat tout de même
le 0 à 100 en 7". La tenue de route n'est
en revanche pas une référence et toute
conduite sportive est à proscrire. En 1992 et
1993, la Virage Volante sauva la firme de Newport Pagnell
de la faillite, faute de commandes pour le coupé
et permis de tenir jusqu'à la sortie de la Vantage.
Au total, 224 exemplaires de Virage Volante furent fabriqués.
La V8 Volante qui lui succéda directement termina
l'épopée "Virage" en 2000.
MOTEUR
La nouvelle Aston hérite d'une version profondément
modernisée du vieux V8 à 90°, normes US oblige.
La conception de la culasse à 4 soupapes par cylindre et
double arbre à cames en tête du V8 5,4L Aston est d'ailleurs
confiée à la firme américaine Callaway Engineering,
très expérimentée sur les V8 des Corvettes
et des Ford. L'utilisation de cette technique a toutefois ici un but
très différent de son usage premier. En effet, Aston
cherche surtout à dimniuer les émissions polluantes
et non à sortir des chevaux à haut régime.
Le taux de compression qui grimpe à 9,8:1 et améliore
le rendement va d'ailleurs permettre d'homologuer la Virage sur
les principaux marchés. Les cotes d'alésage/courses
(100/85 mm) sont inchangées, idem pour le bas moteur en aluminium
avec son vilebrequin 5 paliers en acier forgé est inchangé.
L'assemblage est toujours "of course" made in England,
à la main s'il vous plaît. Aston Martin adopte également
une injection électronique Weber et tire enfin un trait sur
les carburateurs, aussi gourmands que polluants. Même nourrit
au super sans plomb, le gros V8 british développe 330 bhp
(soit 335 ch DIN) à 5300 tr/mn et un couple de 350lb/ft (soit
483 Nm) à 4000 tr/mn. Le moteur est à la fois plus
coupleux et plus robuste, conforme à l'esprit US. Au long
de la vie du modèle, la puissance de la grande Aston Martin
va osciller au gré des règlementations anti-pollution
pour descendre jusqu'à 310 bhp. Le Works Service
d'Aston Martin proposera différents kits, dont une augmentation
de cylindrée à 6.3 litres en 1991 (plus de 600 ch
DIN !) qui fera par la suite les beaux jours de la V8 Virage Vantage
de 1992 à 1999. La mécanique de la Virage est associée
au choix à une boîte ZF à 5 vitesses manuelles
ou à une transmission automatique à 3 rapports. Les
performances de l'Aston Martin Virage, si elles n'ont rien d'exceptionnel
pour une auto de 335 chevaux, permettent tout de même de voyager
rapidement dans un grand confort. Le 0 à 100 est arraché
en 6", tandis qu'il lui faut un peu plus de 27" pour passer
le kilomètre. Des temps qui sont aujourd'hui à la
portée d'une bonne GTI compacte et permettent de relativiser
la sportivité de cette "supercar". Enfin, il n'est
pas coutume dans parler sur une automobile de cette classe mais
le gros réservoir de 113 L a de quoi vous filler une
attaque cardiaque au moment de faire le premier plein. Surtout compte
tenu de la fréquence à laquelle on y revient...
CHASSIS
L'Aston Martin Virage conserve la disposition historique du moteur
en position longitudinale à l'avant et de la propulsion. Le gros V8
est le plus reculé possible pour procurer une répartition
de poids homogène entre l'avant et l'arrière. Vraie
nouveauté, l'Aston Martin Virage doit pourtant beaucoup au
passé en ce qui concerne ses trains roulants. Ainsi, son
châssis-plateforme est directement inspiré de celui
de la V8, comme le prouve son empattement identique, mais il a été
profondément revu grâce à des tests sur ordinateur
au sein de l'institut de technologie de Cranfield. L'antique pont
De Dion est également conservé, avec une barre de
Watt pour les relier entre eux, mais il cède lui aussi à
l'aluminium, tout comme les bras de suspension avant. Ses fixations
sont aussi revues pour générer moins de bruit dans
l'habitacle. Les combinés ressorts-amortisseurs sont fixés
verticalement sur des bras pivotants, près des moyeux, Pour
supporter les 2 tonnes en mouvement, les freins à disques
sont imposants (330 mm devant et 284 mm à l'arrière)
mais l'ABS n'est pas disponible, même en option. Les pneus
Avon en 225/60 ZR16 paraissent, eux, réellement insuffisants.
Leur profil haut génère beaucoup de roulis mais préserve
le confort. Le comportement de l'Aston Virage ne s'exprime réellement
pas au mieux dans les... virages. Trop lourde (1790 kg), pas assez
agile, elle ne joue pas vraiment la carte sportive, mais vraiment
celle des grandes GT, telles que le coupé Mercedes 600, la
BMW 850 ou la Jaguar XJR-S, toutes
vendues moins cher mais beaucoup plus impersonnelles.
CHRONOLOGIE ASTON VIRAGE
1988 : Présentation de l'Aston Martin Virage coupé
1992 : Le Virage Shooting Brake, présenté au salon
de Genève, est une proposition du département "Works
Service" pour transformer le coupé Virage en un break
5 portes. 4 clients ont succombé à ses charmes.
1994 : Ultime version, baptisée Limited Edition Coupe, pour
patienter jusqu'à la sortie de la DB7, présente au
salon de Birmingham une série limitée à 9 exemplaires
peinte en "British Racing green" (à l'exception
du numéro 6 de couleur Porsche Midnight Blue !) avec un intérieur
cuir marron signé Connolly avec quelques touches de cuir beige
et vert sur le plafond et les contre-portes. La puissance du V8
est portée à 349 ch.
PRODUCTION ASTON MARTIN VIRAGE
1989 : 3 exemplaires
1990: 178 exemplaires
1991: 168 exemplaires
1992: 6 exemplaires
1993: 0 exemplaires
1994: 9 exemplaires
1995 : 1 exemplaire
TOTAL = 365 exemplaires
:: CONCLUSION
Vestige d'une époque révolue, celle des Aston V8 "handcraft",
la Virage est un pur collector de passionné de la marque.
En effet, sans cette adoration pour le constructeur ailé
de Newport Pagnell, il est difficile d'envisager s'offrir ce bijou
artisanal. Avec autant de billets en portefeuille, notre choix serait
sans doute plus "basiquement" orienté vers une
contemporaine italienne de cette grosse Aston, ce qui n'enlève
rien à sa rareté et à sa réalisation
exceptionnelle. |