LA PLUS BELLE BERLINE DU MONDE !
Marquée par la Jaguar Mark
II, synthèse magique et accomplie du sport et du luxe, la
suite de la lignée des berlines Jaguar s'était hélas
embourgeoisée tant dans le style, que sur la route. Mais
en 1968, Sir Williams Lyons frappe une nouvelle fois de son trait
la nouvelle star de Coventry avec la XJ6. Parfaite synthèse
d'élégance et de suggestion, elle acquiert immédiatement
ses lettres de noblesse. Ne lui manquait plus alors qu'un moteur
prestigieux
Texte :
Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R.
Chez Jaguar, l'un des mythes de sa
production fut sans conteste la Jaguar Type E. Et comme une diva,
sa carrière finit dans l'excès et le mauvais goût.
Pourtant, dans ce final décadent, un élément
important et intéressant à plus d'un titre survint
: un nouveau moteur V12 inauguré sous le long capot de la
Type E. Lorsque Jaguar dévoila sa nouvelle égérie,
la XJ6 équipée du traditionnel 6 en ligne Jaguar,
on se prend alors à rêver d'une mécanique plus
prestigieuse encore sous ce capot dessiné par Sir Williams
Lyons himself ! Cela serait alors la seule berline à moteur
V12 au monde !! En effet, seul les productions de Maranello et de
Lamborghini disposent d'un V12, de même que des Lincoln. Qui
imaginait alors en 1972, que la carrière de cette XJ12 allait
durer plus de 21 ans ?!
LE STYLE AVANT TOUT
Bien qu'étant une réussite totale, le style de
la Jaguar XJ n'est pas une totale nouveauté. En effet, les
berlines Mark X et 420 G offraient déjà cette proue
si caractéristique. Sur la XJ, c'est le traitement de la
poupe et son intégration dans la ligne qui a été
travaillé avec maestria. De profil la ligne de pavillon plongeante
vient mourir délicatement sur la longue malle arrière
qui prolonge cette pente douce. Vue de derrière, on perçoit
très bien le dessin de la poupe qui se resserre pour mieux
afficher son élégance. La face avant affiche une large
calandre au fines barrettes typiques de la marque de Coventry. Sur
ces Série 1, les pare-chocs sont encore fins et chromés,
ce qui sera modifié sur les Série 2 et 3.
DES DESSOUS EVOLUES
Si la ligne aurait pu suffire à elle seule à
marquer le monde automobile de l'empreinte et du charisme de la
Jaguar XJ, les ingénieurs de Coventry ont également
beaucoup travaillé sur les trains roulants. Le but étant
d'obtenir un compromis efficacité et confort optimal. Pari
réussi ? Assurément, car il faut se projeter en 1968
et observer la concurrence pour comprendre alors les performances
des hommes de Coventry. Ce résultat est essentiellement le
fruit des trains avant et arrière équipés de
nombreuses biellettes et de silent-blocs sur les barres stabilisatrices.
C'est toujours la propulsion arrière qui a été
conservé.
UN INTERIEUR SIGNE JAGUAR !
Véritable institution en Angleterre, les habitacles
Jaguar, à l'instar de ceux de Crewe ou même ceux de
Rover, ne peuvent se concevoir sans cuir, bois précieux et
moquette épaisse. Sous les yeux du conducteur, c'est donc
une épaisse planche de bord en ronce de noyer qui s'étale
de tout son long regroupant derrière le volant à jante
fine un tachimètre et le compte-tours. Au-dessus de la console
centrale c'est une batterie de contacteurs pour les différents
équipements électriques qui sont surmontés
d'une série de cadrans pour les principales informations.
A noter l'unique jauge à essence complétée
d'un contacteur pour la faire basculer d'un réservoir à
l'autre ! Les sièges sont larges et enveloppants, recouverts
de cuir (of course !) et l'habitabilité arrière est
plutôt restreinte, contribuant à cette atmosphère
cosy et intimiste.
MOTEUR
Le V12 Jaguar est exceptionnel à plus d'un titre. Nous
l'avons déjà énoncé plus haut, c'est
l'un des rares V12 de la production mondiale, et surtout le seul
monté sous le capot d'une berline dans les années
70. Il faudra attendre 1987 pour voir l'apparition du V12 BMW sous
le capot de la Série 7, et 1991 pour le V12 Mercedes sous
le capot de la Classe S W140. Ce V12 Jaguar a de plus été
inauguré sous le capot de la Type E. Un baptême plutôt
prestigieux
Avec 5,3 litres de cylindrée, ce V12 fait
appel à quatre carburateurs Zenith pour l'alimentation. Non
spécialiste pour les réglages, s'abstenir. Sa puissance
n'est pas si impressionnante par rapport à d'autres moteurs
concurrents, avec 253 ch à 6 000 tr/mn, mais c'est son couple
gargantuesque de 41,6 mkg dès 3 500 tr/mn qui frappe. Clairement,
c'est plus l'agrément qui a été mis en avant
lors de l'étude de ce moteur, que la sportivité pure.
D'ailleurs, avec un rapport de seulement 47,35 ch/litre, le son
de ce V12 pourra décevoir les mélomanes avertis. Il
faut plus apprécier son souffle tant sonore que sur la route
que ses vocalises. Véritable point noir de cette mécanique
accouplée exclusivement avec une boîte auto à
3 rapports : sa consommation d'un autre âge tournant autour
de 25 litres aux cents kilomètres en conduite normale !
EVOLUTION
C'est en trois séries que la carrière des berlines
XJ12 et Daimler DoubleSix va se découper. Après la
première présentation de la berline XJ6 en 1968, c'est
dès 1972 que la nouvelle Jaguar XJ12 et sa sur jumelle
la Daimler DoubleSix sont commercialisées. Dotées
du moteur V12 de 5,3 litres (253 ch), elles sont équipées
d'une boîte automatique à 3 rapports Borg-Wagner 12.
Dès l'année suivante, toute la gamme XJ passe à
la deuxième génération qui dispose de légères
modifications. En effet, afin de satisfaire aux nouvelles normes
US en matière de crash-test, Jaguar est obligé de
monter des pare-chocs plus présents et la calandre béante
est alors réduite. Avec cette nouvelle série, la planche
de bord est également revue, et une console centrale est
aménagée. Les cadrans sont désormais tous regroupés
derrière le volant. Autre nouveauté, si sur les S1,
les Jaguar XJ12 étaient commercialisées avec deux
empattements différents, dès la S2, elles ne sont
plus disponibles qu'en empattement long. Au printemps 1975, le V12
troque ses 4 carburateurs Zenith contre une injection plus moderne.
Le gain en puissance est également notable, puisque c'est
désormais 289 ch qui piaffent sous le long capot anglais.
En 1977, face aux piètres qualités de fiabilité
de la boîte auto Borg-Wagner, Jaguar installe une boîte
auto GM, toujours à 3 rapports. 1979 est l'année qui
marque le début de la troisième série. C'est
Pininfarina qui a retouché le mythe de Coventry. Ainsi le
pavillon est légèrement plus haut et carré
à l'arrière, les pare-chocs sont nettement plus volumineux
et en plastique, et les feux arrière changent de dessin et
sont tous regroupés sous un même cache. L'intérieur
est quasiment inchangé fort heureusement. Petit détail
qui change, les poignées de portes extérieures qui
sont désormais encastrées comme sur les coupés
XJ-S. Cette troisième refonte de la Jaguar XJ est parfois
jugée sévèrement par les passionnés
de la marque qui argumentent sur la perte d'élégance
due au pavillon plus carré et relevé. Affaire de goût,
mais globalement le charme est toujours intact. A partir de 1981,
c'est la révolution sous le capot des Jaguar XJ12 et des
Daimler DoubleSix. Pour répondre aux critiques, notamment
sur le caractère énergivore en carburant du V12, Jaguar
a profondément revu son moteur vedette. Au programme, nouveaux
pistons, culasses Fireball-May et près de 300 ch. Ces nouveaux
V12 portent la mention H.E. pour " High Efficiency ".
Les résultats sont probants. Dès 1989, les Jaguar
XJ12 et Daimler DoubleSix vont devoir supporter la pose d'un catalyseur
qui va faire chuter la puissance de plusieurs dizaine de chevaux.
Deux ans plus tard l'ABS est monté en série pour deux
ans jusqu'à l'arrêt du modèle.
SUR LA ROUTE
Seul au monde ! C'est un peu le sentiment qui règne
à bord de cette noble anglaise. A bord tout n'est que confort
et volupté. Nous sommes là bien loin du caractère
sportif des GTI ou autres GT. Mais, qu'importe, car lorsque le fin
cerceau gainé de cuir est entre vos mains, avec la fine tige
chromée positionnée sur " Drive ", c'est
plus la route rapide que le sport qui vous titille. Et dans cet
exercice, la Jaguar XJ12 excelle. Son comportement routier est équilibré
et très sain. Le souffle du V12 vous enfonce avec prévenance
dans le creux de vos fauteuil en cuir et seuls les bruits aérodynamiques
viennent perturber à très haute vitesse cette atmosphère
langoureuse. Le léger sifflement de la climatisation automatique
vient bercer votre voyage au long cours, pour traverser la France
au rythme des étapes
ACHETER UNE JAGUAR XJ12
Si les Jaguar XJ12 et Daimler DoubleSix semblaient alors magiques,
et inaccessibles au commun des mortels, les tickets d'entrée
ont aujourd'hui été démocratisés, mais
pas forcément pour le plus grand plaisir de tous. En effet,
à partir de 5 à 6 000 euros on peut acquérir
ces nobles dames de Coventry motorisées par un V12. Mais
leur état est souvent préoccupant, car elles ont été
négligées par leur précédents propriétaires
lassés de dépenser autant d'argent dans leur entretien.
Une princesse requiert en effet un niveau d'entretien minimum en
rapport avec son rang. Pour un bel exemplaire il ne faudra pas hésiter
à investir près de 10 à 12 000 euros si le
pedigree est connu et l'entretien et l'historique connu. Mais à
ce prix, vous roulerez alors dans une berline d'exemption, qui aujourd'hui
encore fait tourner les têtes et impressionne les foules.
Timides s'abstenir... Pour la partie entretien, ne rêvez pas
trop tenter de le faire vous-même, à moins d'être
doté de solides bases en mécaniques et de posséder
un outillage minimum, car même le remplacement des douze bougies
peut tourner au cauchemard. Une révision intermédiaire
va tourner chez les spécialistes ou concessionnaires Jaguar
entre 200 à 300 euros et une majeur plutôt vers les
500 euros. Les grosses interventions se chiffrent très rapidement
au-delà des 1 000 euros. Pensez à regarder sous le
châssis l'état de la belle, car la corrosion peut se
rappeler à votre bon souvenir, les étriers de frein
grippent en cas d'inactivité prolongée, et les silent-blocs,
nombreux sur les biellettes de barre stabilisatrices (élément
de confort) doivent être changés tous les 60 000 km
environ, sous peine de dégradation du confort et du silence
de roulement. Enfin, si vous n'êtes pas un intégriste
des XJ, mais simplement passionné par l'auto, optez alors
plutôt pour une série 3 plus récente et beaucoup
plus fiable, tandis que seuls les puristes déjà Jaguaristes
depuis de nombreuses années et prêts à tous
les sacrifices s'orienteront vers des très belles séries
1, plus exigeantes encore en fiabilité et entretien. Quant
à la réputation de fiabilité précaire
des V12, elle n'est pas réellement justifiée. Ce sont
surtout les accessoires périphériques qui vous lâcheront
prématurément supportant mal la chaleur dégagée
par le V12 de Coventry
CHRONOLOGIE JAGUAR XJ12
1968 : Présentation
de la Jaguar XJ6 avec des six en ligne de 2,8 et 4,2 litres.
1972 : Commercialisation simultanée de la Jaguar XJ12
et de la Daimler DoubleSix équipées du moteur V12
Jaguar de 5,3 litres. C'est la seule berline au monde équipée
d'un V12. 4 carbus Zenith et 253 ch.
1973 : Premières modifications des XJ, baptisées
par la suite S2, avec une calandre rétrécie pour autoriser
des pare-chocs plus volumineux en raison des normes US. Le châssis
long est uniquement disponible.
1975 : Au printemps, le V12 est retravaillé et est
équipé de l'injection D-Jetronic Bosch-Bendix-Lucas.
Il développe 289 ch.
1977 : Remplacement de la boîte auto Borg-Warner 12
par une GM Hydramatic 400.
1979 : Jaguar XJ12 et Daimler DoubleSix S3 avec une carrosserie
légèrement retravaillée et retouchée
par Pininfarina. En Jaguar, la XJ12 s'appelle Sovereign, et les
Daimler DoubleSix.
1981 : A l'été, les ingénieurs de Jaguar
retravaillent le V12 pour améliorer son rendement et ses
performances. Au programme, nouveaux pistons, culasses Fireball-May
et 300 ch.
1989 : Un catalyseur est monté sur les XJ12 et la
puissance chute de quelques dizaines de chevaux.
1991 : L'ABS est monté en série.
1993 : La génération XJ40 est enfin équipée
du nouveau V12 et renvoie au musée les XJ12 S3.
:: CONCLUSION
Pas si évidente à trouver en bon état, la Jaguar
XJ12 ou Daimler DoubleSix s'offre à vous aujourd'hui pour
des prix dérisoires. Un blason mythique, une Lady avec un
V12 hors-norme et un charme fou, tel est l'offre du marché
avec la lignée XJ. A acheter à coup sûr mais
en connaissance de cause !
CE QU'ILS EN ONT PENSE :
"La palme revient
incontestablement au cuir dans lequel, au sens grammatical du verbe,
on aspire à se vautrer. Peaux taillées et cousues main,
quatre variétés habillent la Daimler DoubleSix avec
une élégance et une distinction indéfinissable.
Ceux qui en outre ne redoutent pas un effort (!) sur le prix peuvent
choisir l'option Magnolia encore plus séduisante. D'autres
plaisirs contre supplément ? Certes il y en a. Mais peu, néanmois.
Un lecteur de disques compact pour améliorer l'ensemble accoustique,
et pêché mignon d'esthète, ... les passepoils
contrastés. Révélation qui implique le retour
didactique au dictionnaire sauveur : "passepoil : bande de tissu
ou de cuir prise en double dans une couture pour former une garniture
en relief." On les devine donc to, sur ton. Nous voilà
au fond du détail. La Daimler DoubleSix redouble de coquetterie.
Sans oublier la singulière calandre Daimler. Plaisir royal
vous dis-je!"
ACTION AUTO MOTO- HORS SERIE 1992.
"Inutile de dire que
l'équilibre de l'ensemble est somptueux. Une simple pression
sur l'accélérateur et la voiture glisse sans heurts.
La boîte automatique d'origine GM est particulièrement
douce mais doit se contenter de trois rapports, alors que la quasi-totalité
des productions germaniques en compte quatre avec des dispositifs
de verrouillage destinés à limiter le glissement du
convertisseur. Il ne faudrait pas croire pour autant que la Daimler
DoubleSix est destinée uniquement à venir se ranger
devant le hall de l'hotel "Crillon". Le V12 permet d'entraîner
la voiture à 235,3 km/h. A cette vitesse, la conduite est
sans problème, la stabilité est exemplaire et, dans
ces conditions, la Daimler DoubleSix vaut largement une Mercedes
500 SEL chronométrée à 224 km/h et beaucoup
plus sèche que la voiture britannique au passage des raccords.
En revanche dès que le profil devient tourmenté, la
Daimler est beaucoup moins agile s'inscrivant avec paresse dans
les courbes."
L'AUTOMOBILE MAGAZINE - Septembre 1986.
|