GRANDEUR ET DECADENCE
Parmi les voitures de légende des
années 70, la Lamborghini Countach fait figure de véritable
Mythe Sacré. Succédant à la remarquable Miura
en 1974, la Countach fit l'effet d'une bombe dans le monde de l'automobile
dès sa présentation en 1971. Imaginez un peu, à
la veille du premier choc pétrolier, quelle passion a pu
susciter cette voiture-OVNI équipée d'un V12 de plus
de 350 chevaux et capable d'atteindre une vitesse supérieure
à 250 Km/h...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Quand Ferrucio Lamborghini, grand fabricant
Italien de machines agricoles, se lança dans la production
automobile ce fut pour prouver à Enzo Ferrari qu'il était
capable de faire mieux encore que les voitures du petit artisan
de Modene dont il était alors un grand client... et souvent
irrité par les défauts des Ferrari. Un jour, en lui
rapportant ses critiques, le grand Ferrucio se vit insulté
dans son honneur par Enzo, qui le traita de "vulgaire fabricant
de tracteurs". En bon italien, sa fierté le conduisit
à relever le défi de construire des voitures meilleures
en tous points que celles de Ferrari. Après plusieurs tentatives
hésitantes et n'ayant connu qu'un succès infime depuis
1963, Lamborghini réussit à faire trembler Ferrari
en 1966 avec sa superbe Miura, véritable taureau sauvage
à moteur central arrière. Mais Ferrucio souhaitait
aller plus loin encore dans la course à la puissance qu'il
était bien décidé à gagner. C'est ainsi
que fut lancé à la fin des années 60 le projet
112, deuxième Lamborghini de l'Histoire à moteur central
arrière. Grande surprise du salon de Genève en mars 1971,
le prototype expérimental devenu LP 500 (LP pour Longitudinale Posteriore,
500 pour les 5 L de cylindrée de son moteur V12), fut exposé
à côté de la nouvelle Miura SV, qu'il était appelé
à remplacer.
PRESENTATION
Bien qu'elle demeure fidèle à la position centrale arrière du moteur,
l'architecture de la LP 500 abandonne la disposition transversale
de la Miura pour une orientation longitudinale de son gros V12.
Toutefois, pour obtenir une répartition des masses aussi favorable
qu'avec la formule transversale, les ingénieurs ont adopté
une nouvelle implantation du groupe motopropulseur, désormais disposé
en avant de l'essieu arrière. Comme la Miura, la Countach est l'oeuvre
du jeune styliste Marcello Gandini, travaillant pour Bertone. La
ligne générale est très futuriste, la Countach
ayant des airs de vaisseau spatial, autant à l'extérieur
qu'à l'intérieur ! Spectaculaire, agressive et élégante,
la Lamborghini Countach s'admire sous tous les angles comme une
véritable oeuvre d'art. Elle va même inspirer le style
Lamborghini pendant des années jusqu'à la toute dernière
Gallardo. A l'avant, avec son nez est très plongeant, comme
la tête d'un taureau prêt à charger, sans aucune
calandre, la Countach semble aiguisée comme un couteau. Dessinée
d'un trait uniforme et presque plat de l'avant à l'arrière,
elle est très basse et son cockpit est au raz du sol et avancé
au maximum afin de dégager de la place pour le moteur en
position centrale arrière. La partie arrière est également
superbe. Les feux en trapèze lui donnent une allure de vaisseau
spatial, bien avant Star Wars ! L'arrière est très
fin, relevé dans sa partie basse pour laisser s'exprimer
les quatre sorties d'échappement du V12. Sculptural. C'est
Bertone, le responsable du design, qui lui donnera son nom de baptême
en s'exclamant "Countach !" dès qu'il vu le premier
prototype sortir des ateliers. Cette exclamation du patois piémontais
signifiant à peu près (en bon français) : "Ouah
!", ce qui évidemment sonne moins bien comme patronyme...
Après avoir ouvert les impressionnantes portes en élytre,
on peut se glisser dans un siège baquet en forme de banane.
Dans un habitacle très dépouillé, l'ambiance
futuriste présente une instrumentation à affichage
digital qui donne des informations sur les principaux organes mécaniques.
Placée au centre de la voiture, la transmission avance dans l'habitacle,
sous la console, et le levier de vitesses se trouve en prise directe
avec la boîte de vitesses.
La nouvelle Lamborghini, rebaptisée
Countach LP 400 en raison de la cylindrée du V12 ramenée
à 4 L, entre en scène au salon de Genève en
mars 1973 mais n'est encore qu'un prototype. Un an plus tard, sort
enfin la voiture de production, dont les clients peuvent passer
commande. Le dessin de Gandini fut légèrement remanié
pour l'industrialisation, les entrées d'air du moteur furent
notamment accentuées par deux sortes de cheminées
de part et d'autre du moteur. Le dessin original est toujours d'une
étonnante pureté, mais le trait caractéristique
des ailes arrières biseautées sera malheureusement
gâché par la suite.
En effet, en 1978, la Lamborghini
LP 400S va enfiler un kit carrosserie, imaginé par le milliardaire
Walter Wolf, composé d'élargisseurs d'ailes pour accueillir
une monte pneumatique (Pirelli P7) plus large. Hélas, ce
n'était qu'un début car au fil des ans, la voiture
va considérablement s'enlaidir par des rajouts à la
sauce "tuning" dénaturant la beauté originelle
de la Countach pour en faire une caricature. Le spectaculaire des
formes remplace l'élégance des lignes pour mieux répondre
à la demande d'une clientèle avide de démonstration
ostentatoire. Un aileron monstrueux dont l'utilité technique
fut très contestable va faire son apparition, d'abord au
catalogue des options puis en série sur la LP 500S en 1982...
En 1988, une série limitée "25th Anniversary"
commémore l'anniversaire de la marque née 25 ans plus
tôt, mais s'éloigne encore un peu plus de l'esprit
de la Countach originale.
MOTEUR
Le moteur de la Countach est directement issu de celui de la Miura.
Datant de 1963, ce V12 Bizzarrini monté à la main reste
l'un des plus beaux monuments mécaniques du monde et anime
encore aujourd'hui la Murcielago. Mise à l'épreuve
par Bob Wallace, le pilote essayeur de Lamborghini, la Countach
abandonne dans un premier temps le V12 de 5 litres qui cède
la place au classique 4 litres développant 375 ch. Ce 12
cylindres en V à 60° est entièrement réalisé
en aluminium avec un long vilebrequin à sept paliers. Chaque
culasse est percée de 2 grands orifices de soupapes par cylindre
et possède un double arbres à cames en tête
entraîné par chaîne. L'alimentation se fait par
3 carburateurs Weber double corps latéraux par banc de cylindres,
soit au total, 6 aspirateurs à carburant et à air
pour alimenter le monstre ! Par la suite ils seront installés
en position inversée. L'un des problèmes les plus
délicats à résoudre concerne le refroidissement
de cette mécanique. La solution est trouvée en déplaçant
les radiateurs d'eau, finalement installés en position transversale.
D'où l'aménagement des prises d'air latérales.
Au fil des années la cylindrée va évoluer,
passant de 3929 cm3 (alésage de 82 mm x course de 62 mm)
sur la LP400 à 4754 cm3 (85,5 x 69 mm) sur la LP500S puis,
enfin à 5167 cm3 (85,5 x 75 mm) pour la 5000 Quattrovalvole
dotée de culasses à 4 soupapes par cylindres. Le rendement
de ce moteur est impressionnant : 88 ch/litre ! Les puissances correspondantes
aux version citées sont respectivement (en ch DIN à tr/mn)
de 375 à 8000 tr/mn, 375 à 7000 tr/mn et 455 à 7000 tr/mn pour un
couple maxi (en Mkg à tr/mn) de 36,8 à 5500 tr/mn, 41,8 à 4500 tr/mn
et 51 à 5200 tr/mn. A ces chiffres éloquents, il convient
de préciser que la Countach est extraordinairement légère
pour une supercar : 1065 Kg pour la LP 400, soit un rapport poids/puissance
exceptionnel de 2,84 Kg/ch ! Avec de telles valeurs, inutile de
vous dire que le V12 Lamborghini pousse comme un buffle ! La puissance
de la LP 400S sera toutefois ramenée à 350 ch pour
l'exportation hord d'Europe, sous l'effet des mesures antipollution
américaines. Décidé pour cette raison, l'abandon
des carburateurs lui ôtera une partie de sa magie. Ils seront
remplacés par une injection électronique Bosch K-Jetronic,
moins polluante. L'originalité principale de la Countach
par rapport à la Miura étant d'avoir disposé
la boîte en amont du moteur (en sens inverse), créant
ainsi un ensemble plus compact et une meilleure répartition
du poids. Le carter de pont, situé à l'extrémité
du carter de boîte contient également l'arbre primaire
de la boîte, qui est donc montée à l'avant du
moteur. En séparant la lubrification moteur/boîte on
supprima l'encombrante tringlerie, handicap de la Miura, ce qui
permit de réduire l'empattement de la voiture. La boîte
de vitesses est manuelle, à 5 rapports. L'embrayage est classique
et relié à l'arbre de transmission qui passe à
travers un tube fixé à l'intérieur du carter
moteur.
SUR LA ROUTE
Au départ, Lamborghini avait songé à
utiliser une structure monocoque mais elle fut remplacée
par un châssis en treillis multitubulaire faisant corps avec
la carrosserie. Celle-ci est entièrement réalisée
en aluminium avec sur les derniers modèles, des rajouts en
fibre de verre. La complexité du treillis permet à
chaque tube droit d'interagir avec ses voisins en torsion et en
compression. Au centre, un large tunnel laisse la place à
la transmission. De chaque côté de la voiture, deux
gros réservoirs de 40 Litres permettent d'alimenter le moteur,
assez vorace en carburant, tout en équilibrant les masses
sur le châssis. Des sortes de cages accueillent les suspensions
à quatre roues indépendantes, composées de
bras triangulaires, ressorts hélicoïdaux et amortisseurs
à huile. Rapidement, les pneumatiques avouent leurs limites
et se montrent sous-dimensionnés pour la puissance du V12.
Sur la LP 400S, les pneumatiques Pirelli P7 à taille basse
vont améliorer grandement la tenue de route de la Countach.
Leur adoption a entraîné de nombreuses retouches de
la géométrie des trains, tandis que les disques de
freins ont été sensiblement agrandis. Ils ont aussi
conduit à ajouté des élargisseurs d'ailes vraiment
grossiers. Malgré son âge avancé, la Countach
demeure l'une des voitures les plus performantes du monde. Son faible
poids combiné à son puissant V12 en position centrale
lui confère des performances de premier ordre et un comportement
routier diablement efficace. Agile, équilibrée et
presque facile à contrôler dans tous les enchaînements
à vitesse moyenne, la Lamborghini Countach est l'une des
rares supercars qui soit aussi utilisable sur la route. Attention
toutefois aux excès d'optimisme... manier un tel monstre
de 375 chevaux, sans aucune aide au pilotage (même la direction
assistée n'est pas disponible sur les premières séries)
et avec un freinage rapidement dépassé par les événements
n'est pas l'affaire d'un amateur, aussi fortuné soit-il pour
pouvoir s'offrir cette authentique voiture de course. Dans un tonnerre
mécanique, la Lambo n'a d'autre but que de vous emmener au
septième ciel de l'extase automobile. Son V12 souple et rageur,
toujours disponible vous gave les tympans d'une symphonie de décibels
en 12 cylindres majeur totalement enivrante ! Théoriquement
capable d'atteindre 290 Km/h et de passer de 0 à 160 en 11,3
s dans sa première version, la Countach souffre d'un manque
d'appui aérodynamique qui la rend très instable à
haute vitesse. Le monumental aileron en forme de boomerang proposé
par la suite n'aura qu'un impact peu conséquent sur ce phénomène.
En revanche pour le tape à l'oeil, c'est top ! Les dernière
versions, bardées d'artifices aérodynamiques sont
propulsées par un V12 de 455 chevaux mais dans le même
temps, la Countach a pris du poids, beaucoup de poids. Elle atteint
désormais 1480 Kg et son rapport poids/puissance est en régression.
Mais qu'importe, rare sont les clients capables d'exploiter tout
le potentiel de ce bolide. Le rôle de la Countach est plutôt
limité à la parade devant les Casinos que sur les
circuits...
ACHETER UNE LAMBORGHINI COUNTACH
Le drame de la Countach est assurément d'avoir été
conçue juste avant le premier choc pétrolier de 1973
et commercialisée entre celui-ci et le second choc de 1975.
Dans ce contexte économique de crise internationale, inutile
de préciser que la clientèle potentielle capable de
s'offrir un tel bijou doté d'un V12 à la consommation
de carburant gargantuesque s'est réduite comme une peau de
chagrin. Sans parler des restrictions de vitesse qui ont fait leur
apparition sur les autoroutes de nombreux pays dès 1973...
Durant les premières années de commercialisation,
Lamborghini va connaître des heures sombres mettant en péril
la santé financière de l'entreprise. Les commandes
sont faibles et il faudra attendre le début des années
80 pour que les ventes de la Countach commencent à décoller
significativement. Mais, entre temps, la clientèle a évolué.
Les acquéreurs de la Countach sont plus souvent des stars
du showbiz ou de riches hommes d'affaires que de véritables
pilotes à la recherche d'une authentique voiture de sport.
A cela s'ajoutent les nouveaux riches, ceux à qui la crise
pétrolière a été très profitable
: les rois du pétrole, dont le (mauvais) goût pour
le luxe exubérant atteint alors la caricature. Résultat,
pour répondre à la demande d'une clientèle
surtout soucieuse d'en mettre plein la vue, la Countach dont la
robe attirait déjà par nature le regard, va s'enlaidir
copieusement de rajouts aussi inesthétiques que peu efficaces...
En réalité, son style devient lourd et perd le charme
et la classe du modèle original. La décennie 80 marque
le déclin inexorable de ce dinausore des supercars qui va
clore sa carrière en 1990, remplacé par la Diablo.
Née sous la tutelle de Chrysler, cette dernière va
enterrer la Countach qui restera la dernière Lamborghini
100% italienne. La Countach a quitté les garages de la Jet
Set, remplacée par des voitures plus puissantes qu'elle encore.
Dure loi des modes. Désormais, elle est appelée à
rejoindre les nids douillets des collectionneurs. Comme une Ferrari
? Pas vraiment... Car, à la différence des productions
de Modene, les Lamborghini Countach n'ont pas encore vraiment la
cote auprès des collectionneurs, ni des vrais amateurs de
voitures de sport en raison de leur réputation de fragilité.
Proposée pendant plus de 17 ans au catalogue Lamborghini,
la Countach a pourtant été assez peu diffusée
(609 ex. au total). Les premières générations,
jusqu'en 78, sont les plus rares mais aussi les plus belles et désirables
à notre goût. Elles se négocient plus cher,
jusqu'à 100 000 euros. Plus diffusées, les versions
post-80 se négocient aujourd'hui à des prix presque
"abordables". A titre d'exemple, une Countach 5000 S en parfait
état de 1984 se trouve dans les 60 000 euros. Mais à
ce jour, rares sont les supercars accessibles à un tel prix
! Avis aux amateurs... Évidemment, la Countach nécessite
un entretien coûteux et complexe mais son gros V12 se montre
fiable et affiche rarement des kilométrage élevés,
bien au contraire. L'électronique et les équipements
sont assez réduits, mais ce sont pourtant les fonctions électriques
qui posent le plus de soucis. Enfin, la carrosserie en aluminium
et fibre de verre résiste bien à l'épreuve
du temps, n'étant pas corrodable. Néanmoins, la moindre
réparation peut engager des sommes considérables.
Comme souvent, l'exception et la passion sont à un prix qui
dépasse la raison.
CHRONOLOGIE LAMBORGHINI COUNTACH
1971 : Présentation du prototype à Genève
en Mars.
1974 : Livraison du premier exemplaire de LP 400, V12 4L
de 375 ch.
1978 : Evolution de la Countach avec la version LP 400S.
Injection électronique Bosch K-Jetronic pour les versions
hors-Europe, puissance ramenée à 350 chevaux pour
répondre aux normes anti-pollution des USA.
1982 : Sortie de la LP 500S, V12 4,8 L de 375 ch.
1985 : Pésentation de la 5000 Quattrovalvole, V12
5,2L de 455 chevaux
1988: Série limitée 25ème Anniversaire
avec un kit carrosserie spécifique.
1991 : Livraison de la dernière Countach, début
de la commercialisation de la Diablo étudiée en partenariat
avec Chrysler.
PRODUCTION LAMBORGHINI COUNTACH
LP 400 (1974-1978) : 150 exemplaires
LP 400 S (1978-1982) : 235 exemplaires
LP 500 S (1982-1985) : 323 exemplaires
LP 5000 QV (1985-1988) : 610 exemplaires
25eme ANNIVERSARY (1988-1990) : 650 exemplaires
:: CONCLUSION
Voilà 15 ans qu'elle
a quitté la scène et 30 ans après sa sortie,
la Countach demeure un symbole pour toute une génération. Petits et
grands ont rêvé devant ses lignes acérées et futuristes, au point
qu'elle en est devenue l'icône caricatural d'une génération, inspirant
la vitesse, la puissance et malheureusement aussi, le luxe et l'exubérance
d'une époque pleine de contrastes. Mais quoi qu'il en soit,
les vrais passionnés se rappelleront toujours à son
bon souvenir comme une voiture d'exception et une sportive aux performances
aussi extraordinaires que l'était sa ligne.
CE QU'ILS EN ONT PENSE :
"Une Countach, c'est la frime absolue, la défonce intégrale.
Ce ne peut être ni un placement comme une Ferrari, ni un achat
raisonné comme une Porsche, mais seulement un coup de folie."
L'ACTION AUTOMOBILE - 400 ESSAIS SEPTEMBRE 1989 - COUNTACH 5000
QV |