AC ACE (1951 - 1962)
ACE DE COEUR
Avant de croiser le chemin de l'américain Carroll Shelby, l'AC Ace aurait pu n'être qu'un petit roadster sans grande ambition, sinon celle de sauver un constructeur moribond après la guerre. Mais l'histoire d'une création aussi marquante que l'ancêtre de la légendaire Cobra ne pouvait pas se montrer banale...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : RM Auctions
Bien que largement connu depuis les années 60, AC est l'un des plus anciens constructeurs britannique d'automobiles. Mais son histoire ne fût pas ponctuée que de succès, loin s'en faut. Créé en 1901 par les frères Weller et basé à Ferry Works près de Londres, AC présentait sa première "three wheeler" dès 1903. La société s'appelle alors Autocars and Accessories et baptise son modèle l'AutoCarrier. Deux lettres qui vont devenir un emblème puisque l'entreprise est renommée Auto Carrier en 1907. L'engin, simple et pratique, connaît un beau succès et AC déménage en 1911 dans une usine plus grande que les Weller font construire à Thames Ditton près de Londres. Fort de son succès grandissant, AC décide de commercialiser sa première "4 roues" en 1913. Il s'agit d'une petite biplace de type sportif. Mais interrompue par la première guerre mondiale, la production ne reprend qu'en 1919 avec l'introduction d'un nouveau moteur à 6 cylindres en ligne de 1500 cm3 conçu par John Weller. En 1922, le nom de l'entreprise devient AC Cars Ltd. Très endetté, Weller vend des parts de la société à l'investisseur et pilote Selwyn Edge qui entreprend d'élever AC au rang de constructeur reconnu de voitures de sport. Pour cela, le 6 cylindres est développé dans plusieurs compétition. Mais les ventes déclinent et la crise de 1929 met la société au tapis.
Les frères Charles et Derek Hurlock, propriétaires d'une société de transports, la rachètent en 1930 puis la production reprend lentement. Auto Carrier devient alors AC Acedes Cars Ltd. D'abord intéressés par les bâtiments de Thames Ditton pour leurs activités, les frères Hurlock se résignent finalement à poursuivre la vente de pièces pour les AC encore en circulation qui représentent un marché potentiel non négligeable. Suite à un accord avec le groupe Standard, une nouvelle gamme de voitures est mise au point pour 1932. Le pilote Freddie March, concepteur du circuit de Goodwood, propose ses services pour le design des nouveaux modèles qui doivent conforter AC comme constructeurs de voitures de sport. Les gentlemen drivers sont la cible privilégiée de l'entreprise qui se base sur le dicton "courir le dimanche, c'est vendre le lundi"...
La seconde guerre mondiale vient une nouvelle fois perturber la vie d'AC qui s'arrête en 1940 et ne reprend qu'en 1947. La firme se limite alors à donner un coup de jeune à des modèles 2 litres sérieusement datés.
GENESE
ROADSTER TOJEIRO MG
La petite entreprise AC, à court de liquidités fait face à une ruine imminente lorsque sa destinée va connaître un sérieux rebondissement en 1953, à l'occasion d'une victoire de Vincent Davison sur un châssis conçu par l'ingénieur anglo-portuguais John Tojeiro. Tojeiro, ex-mécanicien de la Royal Navy développe à son compte une voiture de course inspirée des MG Cooper et Ferrari 166 MM de l'époque. Le châssis tubulaire de cette voiture de course est constitué d'un cadre en acier en double H à l'extrémité duquel sont fixés deux caissons de fixation pour la suspension, indépendantes aux quatre roues avec ressort transversal. La carrosserie en aluminium est fixée sur une structure en frêne.
Le pilote Cliff Davis qui se porte acquéreur du roadster Tojeiro et souhaite que ce dernier installe un moteur 6 cylindres en ligne Bristol sous le capot. Cela nécessite de revoir le châssis mais Tojeiro accepte. A l'occasion de sa première course à Goodwood, Cliff remporte la victoire. Les succès s'enchaînent au cours de l'année 1953 et la voiture de Davis se fait rapidement une petite renommée dans le milieu de la course automobile. C'est alors que le pilote et gentlemen driver Vin Davidson commande le même châssis à Tojeiro. Dans le même temps, les frères Hurlock à l'affût d'un modèle qui pourrait relancer AC sur le terrain sportif décident de s'intéresser à la voiture de Tojeiro. Il leur suffira d'essayer la voiture de Davidson pour se convaincre du bienfondé de l'idée...
PRESENTATION
La simplicité conceptuelle du roadster de Tojeiro s'accorde en effet parfaitement avec les moyens de production limités de la firme AC Cars. L'autre intérêt est qu'au terme d'un accord avantageux il est prévu que Tojeiro sera payée d'une royalties de 5£ sur chacun des 100 premiers châssis vendu. AC évitait ainsi un investissement conséquent tout en limitant le salaire de son nouvel employé ! Basé sur la voiture rachetée à Davidson, qui devient consultant pour AC, un premier prototype est construit très rapidement pour le salon de Londres 1954. A la place du 6 cylindres Bristol, le moteur "6 Ditton" conçu par John Weller avant la guerre est installé. La nouvelle AC s'appelle Ace.
En 1953, le jeune Ken Rudd qui a suivi des études d'ingénieurs chez Bristol découvre l'AC Ace au salon de Londres. Pilote amateur à ses heures, il est immédiatement séduit par cette voiture de sport abordable et décide les frères Hurlock a lui confier la vente du modèle dans le Sussex. Il signe dans la foulée un bon de commande pour un exemplaire qu'il reçoit le 22 juillet 1954. Préparateur pour des clients privés, Rudd ne met pas longtemps à appliquer ses talents à sa propre voiture. Pour promouvoir le modèle et assurer ses vente, Ken Rudd se décide à engager dans diverses épreuves son AC Ace. Rapidement, les victoires glanées par cet exemplaire rouge Ferrari vont lui apporter la notoriété recherchée mais les AC restent chères face aux Austin Healey ou Triumph aussi performantes de l'époques et les ventes sont faibles.
EVOLUTIONS
Après avoir tenté de vendre son ACE en 1955, Rudd préfère finalement essayer de la rendre plus compétitive. Le programme commence par un allégement et se poursuit avec la préparation du moteur 2 litres dont la puissance avoisine désormais les 115 ch. Pas mal pour un bloc d'avant guerre, mais la quête de puissance exigée par Rudd l'amène à solliciter de l'usine l'installation d'un moteur plus puissant. En ligne de mire, le 6 cylindres Bristol qu'il connaît très bien. A force de persuasion, il finit par obtenir la réalisation d'un prototype, préalablement équipé d'un 4 cylindres à plat en phase de test, qui n'est pas sans rappeler de bons souvenirs à Tojeiro.
AC BRISTOL
Engagée à Goodwood en avril 1955, l'AC Bristol est née et s'illustre aussitôt par sa domination sur la piste. Les liens d'amitiés qui unissent Vivian Stelvy, passé responsable de la compétition chez Bristol et Charles Hurlock facilitent grandement les choses et en 1956, un accord est trouvé pour fournir l'AC Ace en moteurs 6 cylindres Bristol. Ce moteur type 85 est issu d'une des plus vieilles gloires du sport automobile : le moteur M328 qui animait la... BMW 328, voiture de sport légendaire de l'année 1937. Ce groupe était le premier moteur automobile de BMW à disposer de soupapes en V qui n'étaient cependant pas actionnées directement par des arbres à cames en tête, mais par tiges et culbuteurs. Le moteur de base ne comportant des guides de tiges de culbuteur que du côté admission, un mécanisme logé dans la culasse renvoyait les forces d'actionnement au côté opposé, par le biais de biellettes et de leviers de renvoi. Avec ses chambres de combustion hémisphériques et doté de trois carburateurs inversés logés sur la culasse, le six cylindres de 2 litres débitait 80 ch permettant ainsi au poids plume qu'était la 328 de filer à plus de 145 km/h, avec une fiabilité exceptionnelle. Il s'agit donc ni plus ni moins pour Bristol d'une prise de guerre sous forme de dédommagement, puisque les plans ont été dérobés par l'armée anglaise suite à la victoire de l'alliance. Belle prise, puisque dès 1940 ce moteur de 1971 cm3 développa jusqu'à 135 ch en compétition ! Retravaillé par le sorcier John Cooper pour ses formule 2, il délivre 150 ch en 1952 avec 3 carburateurs Solex et une alimentation en méthanol. Doté d'une course courte, ce moteur s montre capable de prendre bien plus facilement des tours que l'antique bloc de Weller.
Sur les AC Bristol de série, sa puissance est ramenée à 105 ch (AC Bristol type 100b). Bristol s'engage également à fournir à AC sa boîte de vitesses de type 100, bien supérieure à celle de la maison AC. Dans sa dernière version 100D2 va délivrait 128 ch, faisant de l'AC Ace un must pour gentlemen driver averti. En mars 1957, les premiers exemplaires d'AC Bristol sont livrés. Esthétiquement, aucun détail ne permet de distinguer des versions précédentes, le moteur AC continuant à être proposé aux client. Aussi, Bristol impose rapidement sa signature sur la voiture et le logo du motoriste vient se placer sur les capots juste en dessous du rond AC. Les ventes de l'AC Ace atteignent alors leur plus haut niveau avec le moteur Bristol mais la destinée du petit roadster aurait pu s'interrompre en 1961, lorsque Bristol décide d'arrêter son 6 cylindres. Mais Ken Rudd avait déjà anticipé la chose et il parvient à décider les responsables de lui substituer le 6 cylindres de la Ford Zephyr. De 90 ch dans sa version de série, Rudd sait qu'il peut en tirer autour de 170 avec une bonne préparation. Mais les clients ne suivent pas et les ventes de l'ACE tombent à leur plus bas niveau, tant et si bien qu'à la fin de l'année 1962, seulement 36 exemplaires de l'AC "Ruddspeed" ont été construits. Un prototype est même réalisé par Rudd avec le nouveau V8 3.5 Buick, mais la suite de l'histoire a déjà commencé à s'écrire sans lui. Les ventes de l'AC Ace sont définitivement stoppées en 1963.
AC ACECA
Au London Motor Show 1954, soit un an après la présentation du Roadster Ace, AC présente l'Aceca, un attirant petit coupé conçu sur la plate-forme du roadster et dessinée par Alan Turner. Ce modèle se veut plus grand tourisme et le confort a été amélioré, notamment l'insonorisation qui comporte une paroi supplémentaire entre le tablier et l'habitacle. En dépit de son poids légèrement supérieur, beaucoup de pilotes préfèreront utiliser l'Aceca en course du fait de son cockpit fermé moins éprouvant.
AC GREYHOUND
L'AC Greyhound est un original petit coupé 2+2 dérivé des AC Ace et Aceca. La Greyhound a été produite à 83 exemplaires entre 1959 et 1963 et partage l'ensemble de ses éléments mécaniques avec les autres modèles. Le client pouvait opter au choix pour le moteur AC, le moteur Bristol ou encore le moteur Ford Zephyr.
L'AC ACE EN COMPETITION
Voiture bien née, l'AC Ace fait le bonheur de ses pilotes, amateurs ou professionnels. Après avoir emporté de nombreuses victoires dans sa classe, Ken Rudd engage une voiture aux 24H du Mans 1957. L'épreuve reine de l'endurance doit apporter au petit roadster AC une médiatisation importante partout à travers le monde. Mais les frère Hurlock, près de leurs sous, ne voient pas tout à fait d'un aussi bon oeil l'épreuve sarthoise. Leurs projets étant plutôt de relancer la production de berline pour redévelopper la marque, Rudd se résigne à financer lui même sa participation à l'épreuve. Pendant 24H, le 6 en ligne Bristol prouve une nouvelle fois son incroyable fiabilité et la petite AC ACE menée par Ken Rudd et Peter Bolton termine l'épreuve à raison de 157,52 km/h de moyenne, ce qui lui offre une 10ème place au général. La victoire de classe leur échappe de peu, juste derrière la Ferrari 500 TR, mais la vitesse de pointe relevée dans les Hunaudières à 209 km/h impressionne l'assistance. Parmi elle, un passionné de course automobile venu spécialement du Texas pour remporter la victoire en 1959 remarque la petite anglaise quasiment de série qui file au milieu des grosses écuries et se classe 7ème de la course. Les AC seront présentes au Mans jusqu'en 1962, année durant laquelle on leur trouvera une digne descendance : l'AC Cobra...
PRODUCTION AC ACE / BRISTOL / ACECA
AC ACE : 223 exemplaires
ACE Bristol : 463 exemplaires (dont 2 prototypes)
ACE Ford Zephyr : 38 exemplaires
AC Aceca : 152 exemplaires
Aceca Bristol : 169 exemplaires
Aceca Ford Zephyr : 8 exemplaires
AC Greyhound : 82 exemplaires
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES
AC ACE / BRISTOL
MOTEURType : 6 cylindres en ligne, 12 soupapes
Position : longitudinal AV
Alimentation : 3 carburateurs SU / Weber
Cylindrée (cm3) : 1991 / 1971
Alésage x course (mm) : 65 x 100 /66 x 96
Puissance maxi (ch à tr/mn) : 86 à 4500 / 125 à 5750
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 149 à 2500 / 173 à 4500
TRANSMISSION
AR
Boîte de vitesses (rapports) : manuelle (4)
ROUES
Freins Av-Ar (ø mm) : Disques (300) - tambours
Pneus Av-Ar : 5 x 16
POIDS
Données constructeur (kg) : 765 / 885
Rapport poids/puissance (kg/ch) : 8,4 / 7
PERFORMANCES
Vitesse maxi (km/h) : 185 / 190
400 m DA : ND / 16"5
1000 m DA : ND
0 à 100 km/h : ND / 10"
CONSOMMATION
Moyenne (L/100 Km) : 11,4
PRIX NEUF () :
COTE (2011) : 150.000 €
PUISSANCE FISCALE : NC CV
CONCLUSION
:-) Le mythe AC ! Ligne intemporelle Moteur Bristol fiable et mélodieux Comportement |
:-( Cote très élevée Freinage 6 cylindres AC peu convaincant |
Impossible de ne pas se passionner pour la folle épopée de la marque AC et son modèle emblématique. Née pour la course, l'AC ACE va remporter d'inombrables victoires de classe aux mains de gentlemen drivers avant de connaître une seconde vie qui lui permettra de surpasser les rêves les plus fous de son créateur John Tojeiro. Une légende était née...