IMPOSTURE !
Porsche a connu une période
faste dans les années 70 et 80 aux 24 Heures du Mans et en championnat
sport-prototypes en groupe C. Ses Porsche 956 puis 962 ont tout gagné sur
tous les continents. Mais dans les années 90, le championnat d'endurance
traverse une crise et seuls les 24 Heures du Mans subsistent durablement. Les
règlements changent alors chaque année, et la catégorie GT1
est créée avec comme seule contrainte la production d'un seul exemplaire.
L'un des premiers à sauter sur l'occasion est Jochen Dauer avec sa Porsche
962. Mais pour pouvoir continuer à faire courir sa groupe C en catégorie
GT1, il va donc lancer une série de 962 Le Mans " Street Version "...
Texte :
Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R.
De tout temps les constructeurs,
grands et petits, ont toujours essayé de jouer avec le règlement
des compétitions automobiles. Enzo Ferrari
fut un des grands artisans de ces tours de passe-passe dont les organisateurs
n'étaient jamais dupes mais fermaient souvent les yeux. C'est donc souvent
par ces impostures que naquirent pour la route (à des fins d'homologation
et d'éligibilité) des monstres sacrés. La grave crise traversée
au début des années 90 par le Championnat du Monde des Sport-Prototypes,
oblige les organisateurs de l'ACO (les 24 Heures du Mans) à jouer
cavalier seul. Plusieurs années de suite le règlement est mouvant
jusqu'à l'avènement de la catégorie GT1. Plusieurs constructeurs
vont alors préparer des " fausses GT " aptes à concourir
dans la catégorie GT1 avec au moins un exemplaire de vendu. Porsche prépare
donc sa 911 GT1, Mercedes-Benz
son CLK-GTR, Nissan
sa RE390
Mais avant que ce petit monde soit opérationnel, Jochen
Dauer
qui a fait courir avec succès des Porsche
956 et 962 aux 24 Heures du Mans a l'idée de faire homologuer pour la route
une Porsche 962 modifiée par ses soins. Cela lui permet ainsi de pouvoir
courir en en catégorie GT1. En réalité, nous sommes en présence
d'une groupe C (pourtant bannie de la course !) à peine déguisée.
Les organisateurs de l'ACO ne sont pas dupes, mais le règlement est respecté
à la lettre par Jochen Dauer et de grands constructeurs annonçant
leur retour avec le même subterfuge, il n'était pas question de briser
ce nouvel élan. Certes, l'esprit GT qui avait été renouvelé
au début des années 90 par l'ACO semble bien loin, mais la puissance
brute et les performances affichées par les GT1, en plus de leur look ont
ravi les amateurs des courses d'endurances. C'est dans cet esprit que la Dauer
962 Le Mans a été conçue et développée, ce
qui nous vaut une des rares autos de compétition aussi radicale homologuée
pour rouler sur route ouverte !
DESIGN
La Dauer 962 Le Mans offre
un physique à nulle autre pareille. Totalement guidé par des soucis
d'efficacité aérodynamique, son design, issu de celui des Porsche
956 puis la 962 autorise ainsi des vitesses élevées en toute sécurité.
Très basse, très large, la Dauer 962 affiche des dimensions conséquentes.
Le coup de foudre est immédiat tant la parenté avec ses surs
de compétition est frappante. La carrosserie, surtout sur la partie avant
semble sculptée par le vent. Les phares sont placés sous globe à
l'extrémité de chaque aile avant. Ces dernières recouvrent
et épousent les roues avant. Le cockpit semble emprunté à
un avion. Là encore, la diffusion des flux aérodynamique a été
une priorité. Un essuie glace mon-balais se charge d'essuyer le pare-brise.
Mais il y a fort à parier que par temps de pluie, dans le trafic usuel
de nos routes, cet essuie-glace soit trop faible pour faire son office correctement.
D'autant plus qu'avec la faible hauteur de la voiture, la Dauer 962 Le Mans souffre
certainement des projections d'eau par les véhicules qui la précède.
Par rapport aux modèles de compétition, la Dauer a progressé
en équipement et finition. Ainsi, tous les ouvrants sont assistés
électro-hydrauliquement, pour le confort du propriétaire. Plus besoin
donc de bras musclés et d'efforts pour ouvrir les portes en élytres
ou le capot arrière. Ce dernier s'ouvre d'ailleurs intégralement
à 45° pour permettre une accessibilité mécanique appréciable.
La poupe de la Dauer reprend celles des versions de course avec un aileron intégré.
La seule différence notable est la pose de blocs optiques de Volkswagen
Golf 1 nécessaires à l'homologation pour un usage routier. Sinon,
comme sur les versions de compétition, l'extracteur d'air arrière
est toujours là pour améliorer l'effet de sol de la Dauer 962 Le
mans. Les très belles jantes BBS d'un diamètre généreux
complète une panoplie déjà pour le moins agressive. Les observateurs
les plus avertis auront remarqué les rétroviseurs repris aux Porsche
911 Carrera RS 3.6.
COCKPIT
L'accession aux sièges baquets n'est pas aisée
en raison des larges tunnels sur chaque flanc de la carrosserie qui cachent des
conduits d'air. Bien calé dans le siège, l'habitacle est réellement
petit et accepte toute concession à l'efficacité. La finition est
en revanche excellente avec une planche de bord en carbone et les classiques compteurs
de la Porsche
911. Le petit volant avec un méplat sur la partie inférieure
intègre des commandes du type Tiptronic pour commander la boîte de
vitesses. N'allez pas chercher tous les équipements de confort à
la mode, car la Dauer 962 Le Mans reste une intégriste du sport et de l'efficacité
pour notre plus grand plaisir. Au-delà même des performances pures
totalement hors normes revendiquées par la Dauer 962 Le Mans, c'est surtout
l'idée de voir une telle carrosserie sur route ouverte qui amuse et étonne.
Imaginez vos voisins s'ils vous voyaient venir au volant d'une telle Supercar
! Succès et cohue assurés
MOTEUR : LE MANS SUR LA ROUTE
On imagine
mal une Porsche, même de course, sans Flat 6. C'est donc ce dernier qui
équipe la Dauer 962 Le Mans. En course, différentes cylindrées
ont existé sur les Porsche 962 allant de 2,8 litres à 3,6 litres.
Sur la Dauer 962 Le Mans, c'est en version 3 litres (2994 cm3) que les ingénieurs
ont porté leur dévolu. Mais si les Flat 6 de tourisme de l'époque
étaient alors encore refroidis par air, sur la Dauer il est refroidi par
eau. Sacrilège ?! Etant donné les caractéristiques et performances
affichées par ce bloc, il serait déplacé de crier au scandale,
bien au contraire. Ce Bloc développe donc 730 chevaux à 7400 tr/mn
avec un voyant rouge qui s'allume dès 7300 tr/mn. Ambiance course garantie
! De plus même le couple est disponible en quantité avec 71 mkg à
5000 tr/mn. Pour pouvoir atteindre de telles performances, le Flat 6 de la Dauer
reçoit deux turbocompresseurs KKK avec leurs larges et profonds échangeurs.
Toute la partie haute du moteur est coiffée de quatre soupapes par cylindres
et de deux arbres à cames en tête. A noter que Dauer a privilégié
des réglages moteur type Le Mans avec des cames plus douces. Une injection
électronique Bosch Motronic 1.7 se charge de gérer la bonne marche
du moteur. Côté transmissions, la boîte de vitesses des Porsche
962 est reprise intégralement, mais c'est surtout sa gestion qui diffère.
Une transmission PDK a en effet été montée permettant ainsi
au conducteur de sélectionner ses rapports à monter ou à
descendre à l'aide des boutons type Tiptronic S qui sont sur le volant.
L'embrayage classique est toujours présent et utile pour les démarrages.
Inutile de préciser qu'avec de telles caractéristiques techniques
et un poids limité à 1080 kg, les performances sont délirantes.
Autour de 400 km/h en vitesse de pointe (mais pour y parvenir, il va falloir trouver
un circuit capable de les réaliser), et un zéro à 100 km/h
abattu en 2,6 secondes. Sur le papier, la Dauer 962 Le Mans est la supercar la
plus rapide de l'histoire, mais à notre connaissance, aucun de nos confrères
de l'époque n'a pu la comparer chrono en main avec d'autres concurrentes
comme la McLaren
F1 ou la Ferrari
F50. Les rares conducteurs ayant eu le privilège de conduire une Dauer
962 Le Mans parlent d'accélérations foudroyantes et d'une sonorité
moteur enivrante. Comme on les comprend
CHASSIS : UN SPORT PROTO !
Etant à
la base une véritable auto de compétition, la Dauer 962 Le Mans
en a donc conservé tous ses principes pour le châssis. Suspensions
type compétitions privilégiant efficacité au confort, freinage
très puissant, compromis rigidité et légèreté
du châssis
Pas de compromis donc ? Pas réellement, car Jochen
Dauer et son équipe ont pensé à quelques aménagements
permettant, non pas un meilleur confort, mais surtout de rouler sur toutes les
routes ouvertes, dont l'état ne ressemble pas toujours au billard des circuits.
Si le conducteur d'une Dauer se trouve confronté à un nid de poule
ou un ralentisseur, une simple pression sur un bouton dans l'habitacle permettra
de relever la caisse de quelques centimètres alors bienvenus. Et si le
conducteur est distrait et oublie de rabaisser l'auto ? Aucun problème,
la Dauer reprend sa position initiale à partir de 80 km/h. Les jantes BBS
de 18 pouces sont très généreusement chaussées puisque
les roues arrière vont jusqu'à une taille de 265/35 ZR 18 ! Difficile
de porter un jugement sur la tenue de route d'une Dauer 962 Le Mans sans en avoir
pris le volant dans des conditions appropriées et objectives, mais étant
donné son pedigree ont l'imagine virile, efficace et sans compromis. Il
faut certainement posséder de bonnes notions de pilotage, pour ne pas dire
des expériences de pilote pour pouvoir cravacher cette furie jusqu'à
ses limites
ACHETER UNE DAUER 962-LE-MANS
Petits porte-monnaie s'abstenir ! Comme pour toutes supercars, il convient
avant de se décider à acheter à être certain que son
budget automobile loisir est suffisant, pour ne pas dire conséquent. Son
usage sur route ouverte est certainement délicat, et nul doute que sa place
est plus sur circuit, le budget entretien est forcément délicat
puisque seuls Dauer ou Porsche, mais à Stuttgart, pourront entretenir cette
noble dame. Rien que la taille des pneumatiques en dit long sur les tarifs de
chaque enveloppe qui doivent se dégrader assez rapidement en usage intensif.
En occasion, étant donné le peu de voitures construites et vendues,
il faut d'abord attendre qu'une auto soit à vendre, et il faut ensuite
certainement débourser aux alentours de 1,2 millions d'euros pour se porter
acquéreur. A autos exceptionnelles, réseaux de ventes exceptionnels.
Il est rare de voire ces autos à vendre par le canal des petites annonces.
Très souvent, ce sont des professionnels avertis, au carnet d'adresse bien
garni qui sont les garants et acteurs de ce type de transaction. Bref, des autos
qui ne sont évidemment pas pour les simples mortels mais qui ont le mérite
d'exister pour nous faire rêver.
:: CONCLUSION
C'est par une interprétation osée du règlement des GT1 aux
24 Heures du Mans que Dauer nous a gratifié d'une version 962 Le Mans homologuée
pour un usage routier. Totalement décalée et inutilisable réellement
sur route ouverte, la Dauer 962 Le Mans n'a le loisir d'exister que pour notre
simple plaisir de passionné. Et puis avec son palmarès réel
(on ne roule pas tous les jours avec une auto victorieuse des 24 Heures du Mans
!), sa gueule d'enfer et son charisme, difficile de ne pas succomber à
cette supercar sans concession... CE QU'ILS
EN ONT PENSE : "J'ai donc conduit comme si nous étions sur
un circuit. Et après deux tours de piste on s'habitue complètement
à ce système de changement de vitesses. La confiance grandit et
on peut alors pousser la voiture un peu plus. Sur cette longue ligne droite sèche,
même les 71 mkg de couple qui arrivent à 5000 tr/mn ne peuvent casser
l'adhérence des pneus arrières (265/35 ZR 18 sur des jantes de 11Jx18).
L'accélération à pleine puissance est réellement dévastatrice
pour le cerveau. J'en avais fait l'expérience sur autoroute il y a un an
et demi, mais ici, sans aucune autre voiture ni barrières, je me suis senti
exactement comme un gamin abandonné seul dans une pâtisserie."
Flat6 - Mai 96 - Dauer 962 Le Mans.
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