© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (24/12/2004)
TOM ET LES MILLIONNAIRES
Avec la création de JaguarSport,
la filiale sportive détenue en commun par Tom Walkinshaw
(et sa société TWR) et Jaguar, il manque un événement
phare qui va symboliser et promouvoir ce nouveau label. Dans les
cartons de TWR, une évolution de la Jaguar V12 victorieuse
des 24 Heures du Mans est en cours d'étude. Cela est suffisant
pour créer une formule monotype pour gentlemen fortunés
qui va se dérouler en trois manches en départ des
Grands-Prix. La voiture utilisée sera donc la Jaguar XJR15...
Texte :
Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R.
Depuis le rachat de Jaguar par le géant
américain Ford, la marque au félin peut enfin envisager
l'avenir avec plus de sérénité. Les projets
sont donc nombreux dans les cartons, mais surtout Jaguar doit revenir
à ses premiers amours : le sport automobile. En effet, c'est
dans les années 50 et 60 que Jaguar sous l'impulsion de Sir
William Lyons a bâti sa réputation et construit son
image. Avec ses Type C et D en endurance, elles ont écumé
les circuits et glané des victoires avec au volant des pilotes
talentueux et reconnus, Stirling Moss en tête. Un programme
d'endurance est donc mis sur pied en collaboration avec le TWR (Tom
Walkinshaw Racing). L'objectif est bien entendu une victoire aux
24 Heures du Mans, dont le retentissement international rayonne
ensuite sur la marque victorieuse. En mai 1988, Jaguar et TWR créent
donc une joint-venture, JaguarSport, qui va mieux leur permettre
de mener à bien leur stratégie en compétition,
mais aussi commerciale. La collaboration entre les deux firmes avait
déjà commencé depuis les années 70,
et TWR s'était fait fort de proposer des variantes sportives
sur base Jaguar. Ainsi, jusqu'en 1990, c'était déjà
quelques 1 200 Jaguar TWR qui avaient été vendues,
principalement en Angleterre. Mais souhaitant aller plus loin, avec
une démarche plus officielle et rationnelle, les autres marchés
seraient également concernés par les modèles
sportifs du constructeur de Coventry. Dans un premier temps, c'est
donc la berline (XJ40) XJR 4 6 cylindres litres et le coupé
XJR-S 6 litres V12 qui vont exhiber leur présentation sportive,
leur châssis sport et leurs performances améliorées.
En mai 1990, l'Europe aura donc droit à la gamme JaguarSport,
et les Etats-Unis devront patienter jusqu'en 1991. Mais pour promouvoir
ce label, il faut une image. C'est ce rôle que va endosser
la JaguarSport XJR15.
CHALLENGE 1 MILLION DOLLARS !
Comme pour toutes Supercars des années 90, la démesure
est de mise pour la JaguarSport XJR15. Non seulement cette splendide
GT n'est pas commercialisée, ni même homologuée
dans de la plupart des pays (cela sera malheureusement le cas pour
la France), mais en outre, il s'agit ni plus ni moins qu'une auto
conçue pour un challenge intercontinental de
3 courses
seulement ! Le concept de base était de créer un challenge
monotype, avec les mêmes GT pour tous les pilotes, qui se
déroulerait en ouverture des Grand-Prix les plus prestigieux
: Monaco, Silverstone et SPA Francorchamps. Le gagnant du challenge
remportait alors le premier prix de 1 million de dollars qui était
versés au propriétaire de la voiture. Il faut dire
que la JaguarSport XJR15 était à elle seule un sacré
ticket d'entrée, puisqu'il fallait alors débourser
500 000 livres Sterling pour en acquérir une. A chaque course
(des deux premières en fait), le propriétaire de la
voiture vainqueur recevait 46 000 livres Sterling. Où est
donc passé le sport dans cette débauche d'argent qui
coule à flot ? On comprend mieux alors ce qui avait poussé
par la suite Jaguar à commercialiser avec les difficultés
que l'on sait les Jaguar
XJ220. Après la course finale de SPA Francorchamps, le
duo propriétaire-pilote, vainqueur du Challenge recevait
comme trophée outre le million de dollars une sculpture en
argent de la JaguarSport XJR15. Tom Walkinshaw, pour clore cette
présentation, avait alors déclaré : "
Avec cette formule monotype, nous offrons aux connaisseurs une opportunité
de posséder une voiture de course à la valeur très
élevée (et au prix d'achat aussi !), et de les
faire courir sur trois des circuits les plus mythiques. Pour le
grand public, nous offrons un spectacle exceptionnel, avec pleins
d'animations, et une chance pour les passionnés de sport
mécanique de soutenir leurs héros passés, présents
et futurs. " La messe est dite, grâce à JaguarSport,
nous allions enfin pouvoir être heureux, riches ou pauvres
En mettant de côté l'ironie, ces propos illustrent
à merveille toute cette aventure qui a donné naissance
la JaguarSport XJR15. Comme le challenge était intercontinental,
8 voitures étaient d'office réservées (vendues
bien entendu, Tom Walkinshaw a du mal à renier ses origines
écossaises
) pour différents pays : 2 pour l'Europe,
2 pour l'Amérique, 2 pour l'Australie et 2 pour le Japon.
CONCEPTION ET FABRICATION
Nous sommes en 1989. JaguarSport développe un prototype qui
porte le nom de code " R9R ", qui est dérivé
de la Jaguar XJR-9 victorieuse des 24 Heures du Mans. Un des objectifs
de ce prototype était alors pour les ingénieurs de
JaguarSport d'explorer des applications nouvelles du carbone, des
matériaux composites et aussi du plastique à des niveaux
de performances très élevés (plus de 300 km/h).
Basé mécaniquement sur le modèle victorieux
et son moteur V12, le prototype R9R a été développé
comme une version réactualisée de la XJR-9. Les premiers
tours de roue du prototype JaguarSport R9R interviennent à
la fin de l'année 1989. Plusieurs milliers de kilomètres
d'essais privés et d'évaluations ont été
effectués pour contribuer à alimenter les banques
de données en recherche et développement de JaguarSport.
Lorsque JaguarSport a émis le souhait de créer un
challenge monotype pour promouvoir leurs produits et leurs solutions
engineering, le prototype R9R a été retenu comme base
idéale de développement pour la future JaguarSport
XJR15. C'est donc à partir du prototype R9R que la JaguarSport
XJR15 va être développée et conçue. Dès
le départ, JaguarSport a eu la volonté de ne fabriquer
qu'une petite quantité de voitures. C'était même
une condition impérative et garantie aux acheteurs potentiels
d'XJR15, pour leur garantir une cote élevée de leur
modèle dans les années à venir. Dès
la présentation du projet de challenge et de la JaguarSport
XJR15, des pilotes confirmés et expérimentés
comme Derek Warwick et Vern Schuppan ont confirmé définitivement
leur participation au challenge. Pour motoriser leur GT d'exception,
JaguarSport et TWR vont réemployer le V12 atmosphérique
de 6 litres de cylindrée victorieux sur les Jaguar XJR-9.
Il va cependant recevoir quelques aménagements spécifiques
comme une système d'injection séquentiel Zytec électronique
d'avant-garde. Doté de seulement 2 soupapes par cylindres
et d'un arbre à cames en tête par rangée de
cylindres, ce bloc en aluminium se distingue par sa légèreté.
Avec seulement 240 kg sur la bascule en incluant l'embrayage et
les accessoires autre que l'échappement, les motoristes sont
allés chercher l'allègement partout. Ainsi, outre
le bloc et la culasse, les pistons sont également en aluminium.
Les pipes d'échappement se rejoignent ensuite en 3 conduits
puis en deux de chaque côté du V12. Comme toute bonne
voiture de course, la lubrification se fait par carter sec. Avec
plus de 450 ch au banc, le rendement de ce V12 atmosphérique
6 litres n'est toutefois pas exceptionnel avec 75 ch/litres. Cela
est un choix raisonné et cohérent, car dans une formule
monotype, ce sont les pilotes qui doivent faire la différence
et non les autos. La fiabilité est donc privilégiée
sur les performances pures. C'est certainement une des clés
du succès de la victoire de Jaguar au Mans en 1988. Suivant
les longueurs de ponts, la JaguarSport XJR15 était donnée
pour 185 mph soit environ 300 km/h ! Une boite TWR à 6 rapports
était également montée pour animer le V12.
CHASSIS
En voiture de course accomplie, la JaguarSport XJR15 a bénéficié
d'une conception tournée vers la rigidité et l'allègement.
Ainsi le châssis et la carrosserie, entièrement réalisés
en fibres de carbone, sont produits par ASTEC, une société
du groupe TWR basée à Derbyshire et spécialisée
dans le travail des matériaux composites. Tous les autres
composants ont été conçus et fabriqués
par JaguarSport. Les quatre roues sont bien évidemment indépendantes
avec des éléments en aluminium pour diminuer le poids
des masses non suspendues. Des amortisseurs Bilstein télescopiques
non réglables sont montés de série, et leur
réglage des plus ferme, est bien entendu très typé
circuit. N'imaginez pas vous promener entre Paris et Roubaix avec
votre JaguarSport XJR15. Les soubassements de la XJR15 sont très
évolués et étudiés en soufflerie pour
faire profiter au maximum l'effet de sol. Inutile de préciser
que malheureusement, malgré nos nombreuses recherches dans
notre carnet d'adresses et réseau de connaissances, il nous
a été impossible de prendre contact (même en
passager) dans cette JaguarSport XJR15. Dommage, car l'expérience
aurait été diablement tentante et certainement plus
excitante que dans une Jaguar XJ220, à la philosophie controversée.
En effet, son rapport poids/puissance de 2,33 kg/ch annonce fièrement
la couleur. Pour le freinage, la JaguarSport XJR15 fait appel à
de classiques disques en acier ventilés ralentis par des
étriers AP Racing à 4 pistons. L'ère des freins
carbone n'était alors répandu qu'en Formule 1.
ACHETER UNE
JAGUAR XJR15
Comme pour beaucoup de supercars, et spécialement cette JaguarSport
XJR15, limitée à 50 exemplaires et tournée
avant tout vers la course, il faut attendre patiemment qu'un propriétaire
se sépare de sa GT d'exception pour essayer de la remporter
au cours d'une lutte acharnée soit aux enchères, soit
chez des marchands spécialisés qui vont faire jouer
tous les acheteurs pour fixer le prix le plus haut possible. Alors
tablons sur un prix moyen de 150 000 euros environ. Sachez, que
comme les JaguarSport XJR15 n'ont pas été homologuées,
ni même vendues en France, si l'envie d'en acquérir
une vous venait à l'esprit, il vous faudrait passer à
la DRIRE pour une homologation à titre isolé. Ou alors,
vous la conservez en l'état et ne l'utilisez que sur circuit,
en l'acheminant par plateau sur chaque site. On passera sous silence
l'entretien qui requiert des spécialistes compétents
et reconnus. Tout accident ou choc se soldera par une recherche
assidue et permanente de spécialistes de la fibre de carbone.
Enfin, comme elles ont pour la plupart toutes couru, il conviendra
d'être particulièrement vigilant aux réglages
des trains (s'assurer qu'ils ne sont pas faussés) et à
l'état de la coque. L'achat d'une Jaguar Sport XJR15 serait
donc une bêtise ? Non bien entendu, car après tout,
lorsque l'on peut se permettre l'achat d'une auto plaisir à
minimum 150 000 euros, il est fort probable que le budget de fonctionnement
des autos plaisirs soit en rapport avec le standing revendiqué.
Et finalement, tourner sur circuit avec une auto qui n'a été
fabriquée qu'à 50 exemplaires et a couru certainement
à Monaco, Silverstone et SPA Francorchamps, cela n'a pas
de prix
Si vous ne savez pas quoi faire de 250 000 euros (il
faut bien prévoir le budget de fonctionnement-déplacement),
cherchez en une et prenez plaisir à la mener à la
cravache
sur circuit bien sûr ! Et n'oubliez pas de
nous envoyer une invitation pour un baptême !
CHRONOLOGIE JAGUAR XJR15
1988 : En mai, création officielle de JaguarSport.En
juin, victoire d'une JaguarSport XJR-9 aux 24 heures du Mans.
1989 : Premiers tours de roues du prototype R9R.
1990 : Décision de partir du prototype R9R pour concevoir
et développer la JaguarSport XJR15.
1991 : 50 unités de XJR15 sont produites.Déroulement
des trois épreuves du Challenge Intercontinental : GP Monaco,
GP d'Angleterre et GP de Belgique.
PRODUCTION Jaguar XJR15
TOTAL (1990-1991) : 50 exemplaires
:: CONCLUSION
Véritable icône des circuits, la JaguarSport XJR15
fut une véritable affaire pour Tom Walkinshaw. Elles furent
toutes vendues, et des pilotes expérimentés se sont
affrontés en ouverture de trois des plus prestigieux Grands-Prix
à leur volant pour la quête du million de dollars de
récompense. Et si au départ, les annonces de JaguarSport
pouvaient paraître prétentieuses, force est de reconnaître
que l'objectif est pleinement atteint : JaguarSport s'était
forgé une petite réputation, et actuellement les propriétaires
de JaguarSport XJR15 possèdent une auto à la cote
soutenue... |