TAUREAU
D'ELEVAGE
Affaiblie par la crise pétrolière
des années 70, Lamborghini a connu plusieurs changements
de propriétaires avant d'accéder de nouveau à
la stabilité en 1998, année du rachat par Audi AG.
Mais tandis que la Murcielago est plus un profond restylage de la
Diablo, le nouveau petit taureau, baptisé Gallardo, est un
coupé 100% nouveau qui roule avec du sang de Saxe dans les
veines...
Texte :
Anthony SINCLAIR
Photos : D.R.
Les années 2000 marqueront à
jamais le temps des manipulations génétiques et des
OGM qui constituent désormais notre quotidien. La finalité
est toujours la même : produire des organismes plus résistants
et d'une meilleure rentabilité. Il en va de même dans
l'automobile depuis plusieurs années. La Gallardo est elle
aussi le résultat d'une manipulation génétique,
faite de gênes italiens et allemands dont on a soigneusement
extrait les meilleures qualités pour concevoir une concurrente
directe aux Ferrari 360 Modena et autres Porsche 911 Turbo. La tâche
des nouveaux dirigeants a consisté à jouer sur la
complémentarité des compétences et à
moderniser les moyens de développement ainsi que l'outil
industriel de Sant'Agata Bolognese sans renier l'héritage
du constructeur italien, c'est-à-dire sans lui faire perdre
son âme. Pari impossible ?
DESIGN
Conformément à
une tradition établie depuis la Miura par le fondateur Ferruccio
Lamborghini né sous le signe zodiacal du Taureau, la nouvelle
berlinette sportive italienne porte le nom d'une célèbre
lignée de taureau de combat espagnols. Son nom est Gallardo,
prononcez "Gayardo" et non "Galardo" comme le
joueur de football..., bien que dans les deux cas nous ayons un
fort potentiel sportif ! Les lignes de la Gallardo sont le fruit
d'un travail vaguement inspiré d'une étude d'ItalDesign-Guigiaro.
Le designer Luc Donckervolke, nouveau responsable du Centro Stile
Lamborghini, en a complètement redessiné les lignes
et dit s'être inspiré des avions de combat en basant
son style sur l'absence de matière ! Et on veut bien le croire
tant la Gallardo possède une silhouette acérée
et profilée, tel un avion sans ailes. A l'image de l'antique
Countach, l'avant et l'arrière de la petite Lamborghini sont
liés d'un trait presque uniforme, sans rupture de volume,
et son style tranchant attire inexorablement tous les regards, sans
forcément séduire au premier coup d'il. On regrette
toutefois un air de famille trop proche de celui de la Murcielago,
malgré des proportions beaucoup plus compactes. Les grandes
jantes de 19" ajoutent évidemment beaucoup à
cet effet de compacité. Avec seulement 4,30 m de long, la
Gallardo est d'ailleurs plus courte qu'une F360 (4,48 m) ou qu'une
Porsche 996 (4,43 m). Plus haute (1,16 m), elle est en revanche
aussi large que la Murcielago. L'ensemble est plutôt aérodynamique
avec un Cx de 0,34, valeur qui augmente légèrement
(0,36) lorsque l'aileron arrière mobile se déploie
à partir de 130 km/h mais qui garantit une déportance
quasiment nulle à haute vitesse. Sous le capot avant qui
s'ouvre avec deux vérins, il est intéressant de noter
que les ingénieurs ont réussi à créer
un espace de rangement très appréciable par sa contenance
permettant de ranger deux gros sacs ou valises. Bonne nouvelle,
vous ne voyagerez plus sans bagages en Lamborghini !
A BORD DE LA GALLARDO
Les portes
en élytres demeurent l'apanage des Lamborghini à moteur
V12 et la Gallardo s'équipe de "banals" ouvrants
latéraux pivotants. L'accès à bord est en tout
cas plus facile que dans la Murcielago. On y trouve également
plus rapidement une bonne position de conduite grâce aux multiples
réglages disponibles pour les sièges (électriques)
et le volant. C'est un peu moins évident sur les modèles
à boîte mécanique qu'avec la Boîte E-gear,
car la pédale d'embrayage a obligé les ergonomistes
à rapprocher le repose-pied du siège, imposant alors
une position de conduite plus fatigante sur long parcours. Mais
globalement, on ne peut que féliciter les progrès
accomplis depuis la Diablo en matière d'ergonomie et, surtout,
de finition et de qualité des matériaux ! Les deux
passagers jouissent aussi de multiples coussins de sécurité,
de la climatisation, et d'une sellerie en cuir de série avec
une surpiqûre de la couleur de la carrosserie. La "patte"
Audi se retrouve en de multiples endroits, avec des commodos, interrupteurs
ou accessoires issus tout droit des berlines allemandes... mais
qu'importe, c'est pour la bonne cause et l'ambiance à bord
de la Gallardo demeure celle, unique, d'une vraie Lamborghini.
MOTEUR
Sous le capot, la manipulation génétique transparaît
de façon moins évidente encore. En effet, le moteur
installé en position centrale arrière est dûment
badgé Lamborghini et rien ne laisse supposer que les blocs
et culasses en aluminium sortent directement des fonderies de Cosworth
Technology (encore une filiale du groupe Audi...), avant d'être
usinés à Györ, en Hongrie, comme de nombreux
autres moteurs du groupe VAG. Vous l'avez compris, ce moteur n'a
pas grand lien de parenté avec Sant'Agata qui ne conserve
plus que la fabrication du V12. Entièrement nouveau, le moteur
de la Lamborghini Gallardo cède à la mode du 10 cylindres
en V. Bien dans l'esprit des créations du Docteur Piech bien
qu'il n'en soit pas responsable, ce V10 présente un angle
inscrit de 90°, mais son vilebrequin porte des manetons décalés
de 18° pour favoriser un fonctionnement régulier exempt
de vibration correspondant à un angle de 72° comme on
peut en trouver en F1 notamment. L'avantage d'avoir un angle plus
ouvert permet d'abaisser le centre de gravité de la mécanique
et de mieux répartir sa charge sur le châssis. Les
mêmes raisons ont conduit à une lubrification par carter
sec. L'axe de vilebrequin est à 30 cm du sol et le centre
de gravité de la Gallardo à seulement 46 cm de hauteur.
Typé longue course pour des raisons de compacité (Alésage
de 82,5mm, course de 92,8 mm), le bloc est coiffé de 2 culasses
à 4 soupapes par cylindre actionnées par 2 arbres
à cames en tête dont le calage varie en continu à
l'échappement et à l'admission. Le collecteur d'admission
présente des conduits de deux longueurs, le court s'ajoutant
au long au-dessus de 5000 tr/min pour optimiser le remplissage des
chambres. Avec une cylindrée de 4961 cm3, ce moteur développe
500 ch à 7.800 tr/min et 510 Nm de couple à 4.500
tr/min dont 80% disponibles dès 1500 tr/min ! Le mouvement
est transmis à une boîte 6 rapports installée
longitudinalement en porte-à-faux arrière, puis à
une transmission intégrale, culture Quattro oblige. La boîte
de vitesses à 6 rapports adopte des synchronisateurs à
double et triple cônes, tandis que parallèlement une
version robotisée à commande séquentielle est
disponible. Concernant cette dernière, répondant au
nom évocateur de "E-gear", elle est commandée
par des palettes situées derrière le volant, comme
chez Ferrari - ce qui n'est pas étonnant quand on sait que
ce système provient lui aussi de chez Magneti-Marelli - et
le levier de vitesse disparaît complètement. Au départ,
cela déroute un peu car en lieu et place du sélecteur
de vitesse habituel, se trouvent 3 interrupteurs correspondant chacun
à un programme de gestion : automatique, normal et sport.
Le premier s'occupe de tout en privilégiant le confort, le
second laisse le choix du rapport au conducteur, mais appelle le
supérieur automatiquement à l'approche du rupteur,
tandis que le troisième s'interdit ce genre d'initiative
et garantit un temps de passage de rapport minimum réduit
de 210 à 170 ms. Enfin, concernant la musique des 10 cylindres,
elle étonne par sa profondeur de graves et sa relative discrétion.
Même dans les tours, rien à voir avec le son métallique
et cristallin du V8 Ferrari ou la fureur du V10 de la Porsche Carrera
GT. Ici, on trouve un esprit GT bien trempé avec une mécanique
délivrant sa force à tous les régimes, sans
nécessiter les boules Quiès.
CHASSIS
Le système de transmission intégrale
de la Lamborghini Gallardo se compose d'un différentiel autobloquant
mécanique sur l'essieu arrière avec viscocoupleur
central et d'un différentiel avant libre, l'éventuel
patinage des roues antérieures étant limité
par des interventions contrôlées par les capteurs de
l'ESP sur les freins concernés. A vitesse stabilisée,
le viscocoupleur préserve un tempérament de propulsion
grâce à une répartition à 70% du couple
vers l'arrière. Proportion qui peut passer jusqu'à
80% en cas de forte accélération. Cette architecture
de transmission aux quatre roues sans différentiel central
reprend le schéma utilisé auparavant chez Lamborghini
pour la Diablo VT et la Murcielago. Etudiée et fabriquée
par les allemands, la structure de la Gallardo de type "space
frame" est réalisée entièrement en aluminium
et ne pèse que 250 kg. Notez à ce sujet que la répartition
de poids est presque égale entre l'avant (42%), et l'arrière
(58%). Profitant également de l'expérience
d'Audi dans ce domaine, les éléments de suspension
à double triangulation en aluminium permettent de réduire
la masse de la Gallardo qui s'établit pourtant à plus
de 1600 Kg (pesée à 1620 Kg par Sport Auto...). Toujours,
concernant les liaisons au sol, la Gallardo est la première
voiture de série à utiliser les amortisseurs Koni
FSD (Frequency Selective Damping). Ce système passif offre
une réponse différenciée en fonction de la
fréquence des débattements. En dessous d'un certain
seuil, le tarage est plus important pour améliorer le comportement.
Au-dessus, il est plus faible pour favoriser un meilleur confort.
Comme c'est la mode à Ingolstadt, une option châssis
sport est disponible adoptant des ressorts plus raides de 15% à
l'avant et 20% à l'arrière. Concernant le freinage,
la Gallardo s'équipe de copieux disques de 365 mm à
l'avant et 335 mm derrière, pincés par des étriers
à respectivement 8 et 4 pistons ! Compte-tenu de la largeur
des pneumatiques (235 à l'avant et 295 à l'arrière)
le système, secondé par un ABS relativement discret,
ralentit sans mal les 1600 Kg même lancés à
vive allure. Enfin, la Gallardo est équipée de série
d'un contrôle de stabilité, mais celui-ci se réactive
au freinage lorsqu'il a été désactivé.
A l'image de la plupart des voitures de sport allemandes récentes,
le pilote n'est pas le seul maître à bord et c'est
toujours regrettable d'en arriver à de telles contraintes
pénalisantes sur circuit, tant il semble impossible d'exploiter
le potentiel de la Gallardo sur route ouverte... Enfin précisons
que la Gallardo possède une mécanique qui lui permet
d'atteindre une vitesse de pointe de 309 km/h en abattant au passage
le 1000m DA en 22,5 secondes ! Par sa puissance et ses performances
annoncées, la Gallardo se confronte d'ailleurs à la
Ferrari 575 M Maranello. Mais par son architecture et son positionnement
tarifaire, elle se rapproche cependant davantage de la 360 Modena
bien qu'ayant une philosophie assez différente.
:: CONCLUSION
Comme le précise Lamborghini, la Gallardo est
la synthèse entre une voiture de sport et un véhicule
utilisable au quotidien. Un concept jusqu'alors inconnu de la marque.
En élargissant la gamme vers le bas, la Gallardo permet d'ailleurs
à Lamborghini d'envisager des objectifs en très forte hausse. En
allant chasser sur les terres de Ferrari et Porsche la production
de Sant'Agata passerait d'environ 400 voitures par an pour la seule
Murcielagoà 1.600 véhicules, dont 1.200 Gallardo. Cette croissance
sera accompagnée d'une densification du réseau. A n'en
pas douter donc, et pour notre plus grand bonheur, on risque de croiser plus que jamais des Lamborghini
dans la rue !
CE QU'ILS
EN ONT PENSE :
"Au rétrograde, la manoeuvre est simplifiée par
un coup de gaz automatique dispensant le conducteur d'un talon pointe.
Utile assistance qui, ajoutée aux quatre roues motrices,
au contrôle de la trajectoire ESP, à l'antipatinage
et au pilotage électronique du différentiel avant,
confirme le vrai tempérament de GT de la Gallardo, fondamentalement
opposé à celui d'une pure sportive. Le circuit n'est
donc pas sa raison d'être."
AUTOMOBILES CLASSIQUES - SEPTEMBRE 2003 - ESSAI LAMBORGHINI GALLARDO
"Ce voyage nous permet de constater
deux choses. Tout d'abord, la version définitive de la Gallardo
s'avère infiniment plus engageante que le modèle de
présérie essayé l'été dernier.
La commande de boîte optionnelle E-gear et l'amortissement
sur mauvaises routes demeurent imparfaits, mais le résultat
global est tout à fait exceptionnel. La seconde conclusion
concerne plus généralement ce type d'auto. En restant
vigilant, rien n'empêche l'usage de 500 ch sur route ouverte.
La psychose n'a pas lieu d'être. En un mot : résiste
!"
SPORT AUTO - MARS 2004 - 4000 KM EN LAMBORGHINI GALLARDO |