© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (17/09/2012)
UNE DIVA ESPAGNOLE
En 1938 Alfa Roméo achète et dissout la Scuderia Ferrari et crée l'Alfa Corse dirigé par Wifredo Ricart. Enzo Ferrari ne supportant d'être dirigé quitte Alfa Roméo à la fin de l'année et devra s'abstenir de construire des voitures de course pendant 4 ans. Wifredo Ricart est ingénieur moteur pour Alfa Roméo jusqu'à la fin de la guerre. En Janvier 1946 Wifredo Ricart fonde à Madrid le Centre pour les techniciens de l'automobile (CETA) avec une équipe d'ingénieurs et de techniciens venant de chez Alfa Roméo afin de reconstruire l'industrie automobile espagnole suite au blocage international contre le régime de Franco. En Octobre 1946 l'Institut National de l'Industrie fait appel à lui pour créer à Barcelone, dans les anciens locaux d'Hispano-Suiza récemment racheté, l'ENASA (Empresa Nacional de Autocamiones SA) une entreprise d’État espagnole destinée à remédier à la pénurie de transport lourd en Espagne. Dans un premier temps l'usine d'outillage est rénovée puis quelques camions et autobus sont construits sous le nom d'Hispano-Suiza. Le premier camion fut appelé Pegaso et le terme sera repris pour le nom de la marque. En 1949 le gouvernement cherche un symbole fort pour redorer l'image industrielle de l'Espagne, il est donc demandé à l'ENASA, sous la marque Pegaso, de construire une voiture de sport...
Texte :
Aurélien RABBIA
Photos : D.R.
Dans le but de faire briller l'industrie espagnole une grande partie de cette voiture de sport sera fabriquée en Espagne avec peu de sous traitance extérieure. Les coûts de production en petite série étant très élevés, Pegaso se tourne vers une voiture de sport haut de gamme et de haute qualité afin de justifier le prix final très élevé. Le premier projet d'une berline de luxe Z 101 doté d'un V12 de 4,5l est abandonné. Après quelques années d'études sur les nouveaux alliages de métaux et la précision des découpes et des ajustements, le prototype Z 102 est finalement présenté au Salon de Paris en octobre 1951.
PRESENTATION
Les très riches clients ont la possibilité de faire habiller leur Pegaso Z 102 par quatre carrossiers, l'Enasa lui-même, le carrossier français Saoutchik, l'italien Touring ou le catalan Serra. Le châssis type 102 sera ainsi décliné sous forme de coupé, de cabriolet ou de spider pour la compétition. Le dessin fait par Medardo Biolino pour l'Enasa est moderne, équilibré mais peu original. Les premiers modèles recevront un pare-brise en V en deux parties puis un plus moderne, en une seule partie. Ils ont la particularité d'avoir des portes antagonistes. L'usine fabriquera aussi des versions spéciales pour des clients ou pour la compétition comme les coupés Coupole et les spiders Rabassada, Bisiluro ou Montjuich. En 1953 le carrossier français Saoutchik fabriquera 16 coupés et 2 cabriolets. Fidèle à lui-même, le designer d'origine ukrainienne Iacov Saoutchik habillera les Pegaso de carrosseries plus baroques et surchargées. A l'avant la carrosserie les ailes débordent sur les phares et la calandre est inclinée et encadrée de deux butoirs chromés et à l'arrière le dessin reste plus classique. Sur la deuxième série les feux arrières sont surmontés de deux petits ailerons. Les carrosseries des Pegaso étant en acier, celles-ci sont assez lourdes et Ricart fait appel à son ami Anderloni Bianchi de la Carrozzeria Touring en 1953 afin de pouvoir équiper ses voitures de la fameuses carrosserie Superleggera en aluminium propre à Touring. Le dessin est très peu retouché par Touring mais néanmoins affiné. Il remplace la grille avant par une grande croix chromée, intègre des aérations sur le capot moteur dont le dessin est repris sur le coffre. En 1956, au Salon de Turin, Touring présente une deuxième série appelée Panoramique avec à l'avant un pare-choc sur toute la largeur de la voiture et non plus des demis pare-chocs. Le pare-brise devient panoramique, les phares sont plus avancés sur les ailes et l'arrière est aussi redessiné avec des feux sur le haut des ailes. C'est Touring qui habillera le plus grand nombre de Pegaso Z 102 avec 42 exemplaires. On apprécie notamment la grande sobriété et l'élégance de leur dessin. En 1955 Pegaso soustraite à Serra, un petit carrossier de Barcelone, 5 Spider pour la compétition.
MOTEUR
La Pegaso Z 102 devant être une vitrine technologique, Wifredo Ricart exploite ce qui se fait de mieux pour concevoir son moteur. La plupart des technologies sont encore très rares sur la route et ne sont utilisées qu'en compétition. Il choisit de fabriquer un magnifique V8, entièrement en aluminium pour limiter le poids, ouvert à 90° avec des chemises amovibles en acier nitruré et des pistons en aluminium forgé. Les culasses disposent de chambres de combustion hémisphériques mais chacune ne comporte que 2 soupapes, dont celles d'échappement sont creuses et remplies de sodium pour améliorer leur refroidissement (solution reprise de chez Alfa Roméo). Ces soupapes sont commandées par 4 arbres à cames en tête qui sont montés sur roulements à aiguilles, la distribution est à cascade de pignon et la lubrification se fait par carter sec et avec un radiateur d'huile. En option, la Pegaso Z-102 pouvait être équipée de quatre carburateur Weber 36 DCF3 à simple ou double corps et même d'un compresseur type Roots soufflant à 0,6 bar. Selon la qualité de l'essence trouvée dans le pays où la voiture était vendue, le taux de compression pouvait varier de 7,8:1 à 8,8:1. La première version présentée en 1951 cube 2474 cm3 pour une puissance de 140 à 160 ch à 6500 tr/min avec un à deux carburateurs. Avec le compresseur Roots la puissance passe à 200 ch, puis 250 ch avec deux compresseurs. En 1952 la Z 102 B reçoit un moteur dont la cylindrée est augmentée à 2816 cm3 grâce à un alésage de 80 mm au lieu de 75. La puissance est portée à 200 ch à 6500 tr/min pour 243 Nm à 3600 tr/min avec le meilleur taux de compression. Avec le compresseur, celle-ci faisait un bond à 260 ch à 6800 tr/min et 324 Nm à 4000 tr/min. Cette même année sort l'ultime version, la Z 102 SS dont le moteur est porté à 3178 cm3 par une nouvelle augmentation de l'alésage de 5 mm ce qui permet d'en sortir 210 à 230 ch à 6000 tr/min et 245 Nm à 3500 tr/min avec 2 carburateurs quadruples corps. Le V8 Pegaso recevra sera à nouveau une version doublement compressée de 280 ch. C'est avec cette version et le rapport de pont le plus long que la Pegaso Z 102 SS deviendra la voiture de série la plus rapide de son époque avec une vitesse de pointe de 260 km/h. Tout ces beaux V8 espagnols transmettent leur puissance aux roues arrières par une copie de boîte de vitesse ZF à 5 rapports non synchronisés. Là aussi, pegaso introduit une particularité avec un montage de type transaxle. Ce qui veut dire que l'embrayage reste sur le volant-moteur mais la boite est accolée au pont. Cette technologie, encore très peu utilisée, améliore directement la répartition des masses. L'arbre de transmission tourne donc à la vitesse du moteur, plus vite qu'avec une conception classique, mais il ne subit que le couple du moteur. De rares constructeurs l'utiliseront comme Lancia, Maserati, Alfa Roméo, Ferrari ou Porsche. Cette boîte 5 inversée se trouve en arrière du pont en porte-à-faux arrière et reçoit un différentiel à glissement limité afin d'améliorer la motricité. Comme il est courant à l'époque, il est possible de choisir entre 4 rapports de pont différents. L'inversion de la boîte impose une grille inhabituelle avec la première en bas à droite, la seconde et troisième au milieu et les quatrième et cinquième à gauche !
CHASSIS
Là encore Wifredo Ricart se penche sur une technologie plutôt rare pour l'époque. En effet, le châssis des Pegaso est de type plate-forme puisqu'il est constitué d'une structure semi-monocoque faite de plusieurs caissons en tôle emboutie faite d'acier au chrome-molybdène. Ces caissons sont soudés entre eux et perforés et intègrent le compartiment moteur et le plancher. C'est sur cette structure qu'est boulonnée la carrosserie, ce qui permet de livrer les véhicules sans carrosserie à Serra, Touring ou Saoutchik. Les quatre roues sont indépendantes avec à l'avant une triangulation amortie par des amortisseurs et des barres de torsion. A l'arrière de la Z 102 se trouve un pont De Dion, un essieu rigide dont le carter est fixé au châssis afin de gagner de la masse non suspendue. Le pont est relié aux roues par des arbres à joints homocinétiques et les roues sont reliées entre elles par une barre rigide. Seuls les freins avant et arrière à tambours en aluminium non assistés sont le point faible de cette voiture malgré leur fort diamètre (355 mm) et leur bon refroidissement. Ils ont un circuit hydraulique double venant de chez Lockheed, rare système étranger monté sur la voiture avec l'allumage Bosch et les jantes à rayons Borrani.
EVOLUTION
En 1955 l'Enasa se désengage de la fabrication des voitures de sport Pegaso. Le manque d'argent contraint à réduire la coût de fabrication. Le projet Z 103 sur base de Z 102 est développé afin de rendre la voiture plus abordable. Wifredo Ricart revoit complètement le moteur pour en faire une version plus simple et plus fiable, le Z 104. Le V8 devient un plus classique V8 culbuté avec un unique arbre à cames central. Ce moteur est aussi disponible en trois cylindrées de 3988, 4450 et 4681 cm3 développant de 270 ch à 5800 tr/min à 300 ch à 5500 tr/min et jusqu'à 350 ch avec un compresseur. Cette version destiné au marché américain se dote aussi d'un pare-brise panoramique et d'un nouveau dessin tricorps.
LA PEGASO Z102 EN COMPETITION
Ayant une excellente sportive Pegaso se laisse tenter par la compétition avec la participation à des courses nationales et internationales, malheureusement le manque d'expérience, de moyens financiers et de fiabilité se feront sentir dans les résultats. Trois exemplaires de Z 102 sont engagés en 1952 aux 24 Heures du Mans mais restent sur liste d'attente. Ils participeront aussi au Grand Prix de Monaco. En 1953 au Mans ce seront deux Z 102 BS Spider avec le 2.8l compressé, mais sans succès puisque le pilote José Jover se crash à plus de 200 km/h lors des essais, les deux voitures seront retirées de la course. Les Spider gagneront quelques courses en France et en Espagne. Cette même année une Z 102 B piloté par Ceslo Fernanadez atteint 241,602 km/h et bat le record de vitesse sur un kilomètre départ arrêté et départ lancé précédemment détenu par une Jaguar XK 120. En 1954 une Pegaso Z 102 Coupole participe à la dernière Panamerica, sponsorisée par le dictateur dominicain Leonidas Trujillo avec un 3.2l à deux compresseurs de 360 ch.
CHRONOLOGIE
1946 : création de l'Enasa
1951 : présentation au Salon de Paris
1952 : apparition des version 2.8l et 3.2l
1953 : sous traitance à Touring et Saoutchik
1956 : sous traitance à Serra
1957 : arrêt du financement gouvernemental
1958 : arrêt de la production
PRODUCTION PEGAZO Z102
Berlinette Enasa : 12
Cabriolet ou Spider Enasa : 6
Berlinette Touring : 30
Berlinette Touring Panoramique : 8
Cabriolet Touring : 4
Berlinette Saoutchik : 14
Cabriolet Saoutchik : 5
Cabriolet Serra : 5
Z 103 : 4
:: CONCLUSION
En 1957 les « technocrates » prennent le pouvoir en Espagne et le financement gouvernemental des luxueuses Pegaso Z 102 et Z 103 n'est pas à leur goût. Il est rapidement décidé d'effacer toutes traces du projet. Les quelques voitures non finies, les moules, les pièces de rechanges et une grande partie des plans et des archives sont détruits. La marque automobile s'éteint donc brutalement en 1958 après avoir construit 84 exemplaires. La Z 103 n'aura pas le temps d'être réellement commercialisée et la production prendra fin en 1958.
Remerciements au site foro.pieldetoro.net
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