LUTTER CONTRE L'INFLATION !
Avec la commercialisation de la Porsche
911 et son Flat 6 unique, les nombreux propriétaires de Porsche
356 dotées de multiples cylindrées ne peuvent pas
tous accéder au mythe du six cylindres. Alors Porsche pioche
dans sa banque d'organe existante et créé la Porsche
912, totalement inconnu aujourd'hui des néophytes de la marque.
Histoire d'un rendez-vous manqué
Texte :
Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R.
Jusqu'en 1963, Porsche c'est un modèle
unique avec la Porsche 356. Déjà plusieurs générations
(pré-A, A, B et C), et de nombreux moteurs et carrosseries
sont disponibles. Les acheteurs pouvaient ainsi choisir un modèle
en fonction de leurs goûts et/ou de leur budget. Mais à
partir de 1963, le client Porsche en phase de renouvellement n'a
que le choix d'acheter une Porsche 911 coupé 2.0 litres 130
ch. Avec son Flat 6, qui fera école et sera partie intégrante
du mythe 911, et son coût d'entretien supérieur, c'est
surtout l'augmentation conséquente du prix d'achat qui va
faire tousser les propriétaires de Porsche 356. En 1966,
la revue Car & Driver observait : "valant près de
6 500 dollars, la Porsche 911 coûte plus cher qu'une Corvette,
moins qu'une Ferrari, mais n'est certes pas à la portée
de toutes les bourses !". La différence de tarif entre
la nouvelle Porsche 911 et la 356 est de l'ordre de 30%, sauf pour
l'exclusive 356 Carrera 2 litres à moteur quatre ACT de 130
ch. Devant les réclamations des clients, l'usine va devoir
étudier une solution en urgence pour démocratiser
sa nouvelle star, avec notamment un modèle d'entrée
de gamme à prix étudié. Elle s'appellera donc
Porsche 912
PRESENTATION
Devant une telle demande, les responsables de Zuffenhausen vont
concevoir un nouveau modèle qui devra répondre aux
attentes de ceux qui ne peuvent franchir le pas du six cylindres.
La Porsche 912 va donc reprendre intégralement la caisse
de la Porsche 911, ainsi que ses trains roulants et son intérieur.
Ce dernier sera toutefois un peu dépouillé par rapport
à la Porsche 911 puisque à la place des cinq compteurs
ronds VDO montés de série dans la 911, ce ne sont
que 3 compteurs ronds qui équipent la 912. Il est toutefois
possible pour le client d'opter pour les 5 compteurs ronds en option.
C'est sous le capot que se situe bien évidemment la plus
grande différence avec la Porsche 911. C'est le moteur quatre
cylindres à plat (à distribution par tiges et culbuteurs)
monté dans les Porsche 356 SC qui est réquisitionné
pour équiper la Porsche 912. Avec 1,6 litres de cylindrée,
il développe 90 ch contre 95 dans la Porsche 356. Mais c'est
surtout le couple qui, s'il stagne, est disponible dès 3
500 tr/mn au lieu de 4 200 tr/mn sur la 356. N'oublions pas que
l'argumentaire de l'époque chez Porsche à la présentation
de la 911 est la souplesse du six cylindres. Ce choix de courbe
d'utilisation du couple du 4 cylindres privilégiant la souplesse
à bas régime était sensé faire oublier
(?!) la perte des deux cylindres par rapport aux 911. En outre,
la Porsche 912 se démarque de la Porsche 356, sa donneuse
d'organe mécanique, par un silencieux d'aspiration qui dote
la Porsche 912 d'une sonorité différente de celle
de la Porsche 356. La boîte quant à elle est à
4 rapports de série et la boîte 5 est disponible en
option. Extérieurement, rien ne permet donc au néophyte
de distinguer une Porsche 912 d'une 911, surtout moteur arrêté.
Seul le monogramme sur le capot moteur pourra vous donner un indice
En 1975, Porsche a commercialisé le temps d'un millésime
une 912 E (E pour Einspritzung), spécifiquement étudiée
et diffusée sur le continent américain. Cette nouvelle
Porsche 912 reprend cette fois-ci intégralement la base et
l'aspect extérieur de la Porsche 911 2.7. Bien entendu, comme
elle est prévue pour le marché américain, les
entourages de phare sont chromés et les pare-chocs sont équipés
de gros butoirs. Equipés de jantes en tôles de série,
presque tous les modèles ont reçu en option les jantes
Fuchs. C'est le 2 litres développant 90 ch de la Porsche
914/4 qui est repris. Les supports ont été adaptés
pour poser le moteur dans le compartiment de la 912 E, une pompe
à air pour recycler les gaz d'échappement est montée
d'office. Les carters de canalisation d'air sont spécifiques
et une pompe à essence et une injection L-Jetronic se chargent
de l'alimentation du moteur en précieux carburant. Précieux,
car ce sont bien les crises pétrolières de 1973 et
75 qui ont justifié cette nouvelle Porsche 912 E. A cette
période, les Etats-Unis vont réagir très énergiquement
et drastiquement sur la pollution et la consommation des automobiles.
Les Muscle-cars américains seront les premiers touchés
par ces nouvelles normes et les Ford Mustang notamment connaîtront
la période la moins glorieuse de leur histoire avec des puissances
d'une modestie inavouable. Dans l'attente des Porsche 924 qui vont
bientôt être dévoilées, la Porsche 912
E va avoir la lourde tâche de soutenir les ventes de Porsche
aux USA. Une sorte de coup marketing, qui aura permis à Porsche
de diffuser plus de deux mille 912 E.
EVOLUTION
Présentée et commercialisée en avril 1965,
la Porsche 912 va donc répondre aux attentes des nombreux
Porschistes peu enclins à accepter ou assumer l'augmentation
des tarifs avec la nouvelle Porsche 911 commercialisée deux
ans plus tôt. Tout au long de sa carrière, la Porsche
912, qui hérite, on l'a vu, de toute la caisse et châssis
des Porsche 911, va bénéficier des mêmes évolutions.
Ainsi, dès le millésime suivant, Porsche va dévoiler
à l'automne au salon de Francfort la variante Targa de la
Porsche 912. Pour l'instant, c'est un système avec un arceau
de sécurité (gage d'une plus grande rigidité
et sécurité) et une lunette arrière souple.
Par la suite, toutes les Porsche 911 et 912 Targa hériteront
d'une lunette arrière rigide et fixe. Pour l'année
1966, Porsche améliore certains détails de sa 912
: Les freins sont renforcés, les voies augmentées
et certains détails de finition sont modifiés (poignées
de portes au dessin différent
). L'année suivante,
c'est la grande évolution des modèles 911 et 912 chez
Porsche. Afin d'améliorer le comportement routier, pour le
moins pointu des 911, l'usine augmente l'empattement de 57 mm. C'est
peu, mais l'impact sur la tenue de route est réel et les
Porsche 911 se montrent moins délicates en conduite sportive.
Certes, la Porsche 912 bénéficie également
de cette évolution, mais n'en avait pas besoin, car avec
ses 90 ch, le châssis n'était pas trop mis à
mal
En outre, les ailes gagnent un léger rebord, le
stabilisateur avant est abandonné, les essuie-glaces noirs
sont rabattus à gauche au repos et non plus à droite,
les garnitures de portes sont nouvelles, le volant est plus petit
avec un papillon central de sécurité, et le bloc chauffage/ventilation
est amélioré. Les jantes Fuchs peuvent être
montées en option. La carrière de la Porsche 912 est
écourtée en 1969, car depuis 1967 la Porsche 911 T,
au six cylindres " dégonflé " à 110
ch au lieu des 130 de la version standard, permet d'accéder
au mythe 911 déjà établit à un prix
plus accessible. Si 30 300 Porsche 912 ont été produites,
la plupart ont été commercialisées aux USA.
L'Europe a en effet toujours boudé ce modèle qui ne
méritait pas aux yeux des européens amateurs de Porsche
son blason prestigieux. La législation routière américaine
déjà très répressive, est peut être
la réponse à ce succès outre-Atlantique. C'est
justement le marché américain qui va connaître
le come-back de la Porsche 912 le temps d'un millésime entre
1975 et 76. Juste le temps d'écouler 2 099 exemplaires, qui
permettront ainsi à Porsche d'être présent sur
le créneau politiquement correct des autos à émissions
polluantes et consommation réduites.
ACHETER UNE PORSCHE 912
Trouver une Porsche 912 en Europe, et en bon état d'origine
avec un entretien suivi n'est pas une mince affaire. La plupart
d'entre-elles ont été écoulées sur le
continent nord-américain et la méconnaissance des
912 en Europe chez les passionnés de voitures sportives ont
plongé ces Porsche dans l'oubli. La motivation pour acheter
une Porsche 912, surtout lorsque le marché des voitures de
collection était alors à son paroxysme à la
fin des années 80, était surtout son prix d'achat
plus à la portée de tous que la mythique 911. Pourtant,
bon nombre d'acheteurs " par défaut " qui se sont
tournés vers la 912 en raison de son physique de 911, ont
été déçus. En effet, tout fan de la
Porsche 911 vibre tant par sa ligne que par ses performances élevées
et le son du Flat 6. L'achat d'une Porsche 912 doit donc être
déclenché pour l'intérêt que ce modèle
suscite en lui-même chez vous, et non pour sa représentation
de Porsche 911. Sur le marché actuel, comptez environ 10
à 12 000 euros pour un modèle en parfait état.
Si le moteur possède deux cylindres de moins, les coûts
d'entretien sont similaires à ceux des 911 contemporaines.
Il faut donc attacher une importance vitale à l'état
et l'historique du modèle convoité pour limiter les
mauvaises surprises et les frais élevés imprévus.
Se faire assister d'une personne qui connaît bien les Porsche,
ou un professionnel n'est pas superflu. Il faut fuir toute Porsche
912 qui aurait subi les affres du " Turbolook " ou des
kits de reconversions. Comme bon nombre de ses contemporaines des
sixties, sans tomber dans les excès transalpin, les Porsche
912 ne sont pas à l'abri de la corrosion. Les zones les plus
touchées sont celles traditionnelles (ailes, joues d'aile,
longerons,
). Le quatre cylindres, s'il est d'origine VW,
est de conception Porsche et possède bon nombre de pièces
spécifiques. Sa fiabilité n'est plus à démontrer
et seul un remontage hasardeux, oubliant certaines tôles de
refroidissement peut entraîner des fuites symbolisées
par une fumée bleue à l'échappement. Facile
à vivre, la Porsche 912 se contente d'une vidange et de contrôle
de niveaux tous les 5 000 km et d'un réglage allumage-carburation
minimum une fois par an. Attention, car le réglage des carburateurs
Solex demande expérience et doigté. Toutes les pièces
sont disponibles, facilitant la remise en état ou la réparation
des Porsche 912, mais elles sont très onéreuses, à
l'image des pompes d'injection L-Jetronic des Porsche 912 E, au
prix dissuasif.
CHRONOLOGIE
1963 : Présentation de la nouvelle Porsche 911 avec
un moteur 6 cylindres à plat en porte-à-faux arrière.
1965 : En avril, commercialisation du coupé Porsche
912 (type 902) : la caisse et les trains roulants sont identiques
à la Porsche 911 et le moteur de la Porsche 356 SC est ramené
de 95 à 90 ch.A l'automne, présentation au salon de
Francfort de la Porsche 912 Targa (hard top et lunette arrière
souple).
1966 : Les freins sont renforcés, les voies augmentées
et certains détails de finition sont modifiés (poignées
de portes
).
1967 : L'empattement augmente de 57 mm comme sur toute la
gamme Porsche 911. Les ailes gagnent un léger rebord, abandon
du stabilisateur avant, les essuie-glaces noirs sont rabattus à
gauche au repos et non plus à droite, nouvelles garnitures
de portes, volant plus petit avec papillon centrale de sécurité,
bloc chauffage/ventilation amélioré
Les jantes
Fuchs peuvent être montées en option.
1969 : Arrêt de la production des Porsche 912 après
30 300 exemplaires.
1975 : Réintroduction de la Porsche 912 E exclusivement
réservée au marché US. C'est la caisse de la
Porsche 911 2.7 qui est utilisée avec les pare-chocs à
soufflets. Moteur 4 cylindres de la Porsche 914 2 litres à
injection L-Jetronic et boîte 5.
1976 : Arrêt des Porsche 912 E après 2 099 exemplaires.
:: CONCLUSION
Aussi belle et racée que sa grande sur 911, la Porsche
912 est une opportunité sur le marché pour les amateurs
de sportives des sixties. Mais seuls les connaisseurs avertis l'achèteront
pour ses qualités intrinsèques et non comme faire-valoir
de Porsche 911. Prix d'achat abordable, un blason qu'elle mérite
réellement, la Porsche 912 saura séduire et possède
aujourd'hui un argument de taille : c'est l'une des rares sportives
qui vous permettra en ces temps modernes de conserver votre permis
sur autoroute. Les Porsche 912 n'ont jamais été autant
d'actualité...
Tous nos remerciements à André
Le Roux qui a bien voulu mettre à notre disposition certains
documents illustrants ce dossier : http://leroux.andre.free.fr
CE QU'ILS EN ONT PENSE :
"Voiture de tourisme sportive, c'est la véritable vocation
de la 912. Amusante à conduire, mais sans problème.
Rapide, mais sans tempérament excessivement fougueux, elle
ne demande pas à être maîtrisée, elle
est au contraire d'une exemplaire docilité."
SPORT AUTO - 1967 - Porsche 912 1.6 90 ch.
"Les Porsche 911 et 912 ont été
dessinées autour du moteur à six cylindres. Le quatre
cylindres de la 912 n'est simplement pas à la hauteur. Pour
suivre une 911 " en promenade ", une 912 doit donner son
maximum : le moteur 1600 ne manque pas de bonne volonté,
il est simplement impuissant face au six cylindres de 148 ch. Le
concept de la voiture est trop intelligent pour souffrir d'une motorisation
qui remonte à l'époque de la Coccinelle ; comme si
une Rolls-Royce avait un moteur d'Austin."
CAR & DRIVER - 1968 - Porsche 912 1.6 90 ch. |