© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (30/01/2004)
DES RACINES ET DES AILES
En 1974, une nouvelle ère commençait
chez Porsche. En même temps que Bmw et sa 2002 Turbo, la première
911 de série équipée d'un moteur turbocompressé
faisait son apparition. Son nom : 911 "Turbo", ou "930"
pour les intimes. Mais contrairement à la Bmw, qui resta
sans descendance, la Porsche 911 Turbo sera l'initiatrice d'une
grande lignée. 30 ans après, nous nous devions de
revenir sur cette véritable légende automobile, avec
émotion et nostalgie...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Si l'on observe
l'historique de l'entreprise Porsche, une chose semble certaine
: la marque a toujours offert à ses clients une série spéciale de
modèles aptes à la course et la 911 a confirmé à plusieurs reprises
cette règle. Dans cette logique, la 911 Turbo fut d'abord présentée
sous la forme d'un prototype au salon de Paris en septembre 1973
comme un véhicule pouvant être produit en petite série
pour l'homologation en Groupe 5 de la FIA. Entre temps, une Porsche
911 Carrera RSR Turbo développant près de 500 chevaux
(pour 2,2 L de cylindrée!) fut engagée au Mans et donna des
résultats encourageants en terminant 2ème en 1974. Cette performance
incita Porsche à continuer ses recherches dans l'utilisation du
turbocompresseur et ce fut donc un véritable évènement
lorsque la 911 Turbo de route fut présentée à
Paris dans sa forme quasi définitive, quelques mois plus
tard. Instantanément,
ce fut le coup de foudre pour de nombreux passionnés et le
début d'une longue et belle histoire d'amour.
PRESENTATION
La désignation usine "930"
correspondant à la nomenclature du moteur deviendra rapidement
le nom de baptême de la 911 à moteur turbocompressé
auprès des Porschistes, même si son appellation commerciale
officielle a toujours été "Turbo" et "Carrera
Turbo" aux USA. A l'origine, il n'était alors prévu
de fabriquer que les 500 exemplaires nécessaires à
l'homologation du groupe 5 de la FIA, étant donné
le contexte économique de crise pétrolière
peu favorable aux véhicules énergivores. Pourtant, cest en Février
1975 que débute la production de la célèbre
911 Turbo alors que la France vient d'imposer les limitations de
vitesse sur autoroute. Mais malgré cela, la 911 Turbo suscite
un tel intérêt et constitue un évènement
si exceptionnel que les commandes affluent rapidement au-dela des
espérances de vente. Devant l'enthousiasme, la production
sera augmentée dès l'année suivante. Extérieurement,
la 930 garde l'allure générale des 911 mais se distingue
tout d'abord par son large aileron arrière proéminent
qui assure une déportance supérieure aux vitesses
les plus élevées, en combinaison avec le becquet avant. Au premier regard, la Porsche
930 impressionne, puis ensuite, elle séduit, notamment par
ses ailes arrières gonflées. En effet, les voies de
la Turbo sont élargies de 60 mm devant et 120 mm derrière.
L'ensemble fait son effet et beaucoup tomberont amoureux de ces
anches larges et sexy qui deviendront ensuite une option très
prisée composant le fameux "Turbo-Look". Comme
c'était déjà le cas pour la 911 Carrera RS
3.0 de 1974, la Porsche 911 Turbo reçoit en série
les jantes Fuchs noires à bord poli de 7 pouces à
l'avant et 8 pouces à l'arrière. Les pneus sont de
dimensions généreuses pour l'époque même
si aujourd'hui ils paraissent ridiculement sous-dimensionnés.
De 185x70 VR 15 et 205x60 VR 15 sur les premiers modèles,
ils passeront toutefois en 1976
à 205x50 VR 15 pour l'avant et 225x50 VR 15 pour l'arrière,
avec l'arrivée des fameux Pirelli P7. Sur ce millésime,
on pouvait aussi choisir en option des jantes de 16" de diamètre
améliorant la tenue de route. Elles furent ensuite livrées
de série à partir de 1977. A l'occasion du
millésime 76, plusieurs autres modifications vont être
apportées à la 930 qui connait un succès grandissant.
Des sabots noir mat sur l'avant des ailes arrières protègent
désormais ces beautés des projections de gravillons.
Moins visible, mais très important, l'électrolyse
au zinc de la caisse permet à Porsche de garantir la 930
contre la corrosion pendant 6 ans. Conséquence négative
de ce traitement, le poids de la voiture prend d'un coup 50 Kg supplémentaires.
A BORD DE LA 911 TURBO 3.0
Intérieurement, en dehors du volant 3 branches spécifique,
l'habitacle de la 911 Turbo est rigoureusement identique à
celui d'une Carrera. On s'étonne même de ne voir aucun
manomètre de pression du turbo jusqu'au millésime
77. Mais étonnamment, Porsche a souhaité positionner
sa nouvelle sportive dans un créneau différent de
celui d'une voiture de sport pure et dure, dépouillée
à l'extrême comme pouvait l'être la Carrera RS
2.7L. De série, l'équipement est même plus complet
que lors de la présentation et très luxueux pour l'époque:
vitres électriques, air conditionné, sièges
en cuir, vitres teintées, sans oublier les lave-phares -
une première mondiale ! - un essuie glace arrière,
des antibrouillards avant, etc... Notez
aussi que parmi les options disponibles sur la 930, on trouvait
le chauffage des sièges avant, un différentiel autobloquant,
un kit levier de vitesse court, des sièges sport réglables
en hauteur électriquement et le pare brise teinté
dégradé. Pourtant,
la 930 est bien réellement une authentique sportive. Et pour
s'en convaincre il faut goûter à ce qu'il y a sous
son imposant capot moteur !
MOTEUR
Destiné à être une voiture de course, le modèle
leader de la série 911 était donc entièrement
axé sur la puissance et allait instaurer de nouvelles normes.
Pour comprendre le choix du moteur de la Porsche 930, il faut se
rappeller que les règlements sportif de l'époque avaient
imposé un facteur 1,4 applicable à la cylindrée
des moteurs turbocompressés afin de compenser leur avantage
mécanique face aux moteurs atmosphériques. Dès
lors, une cylindrée de 3L correspondait à 4,2L soit
le maximum autorisé à l'époque avec un poids
limite de 1210 Kg. Conçu pour la compétition, le Flat
6 de la 930, type 930/50, est donc dérivé de la Carrera
RS 3 litres. La cylindrée est de 2994 cm3 (alésage
95 mm, course 70,4 mm) et le moteur est alimenté par une
injection mécanique Bosch K-Jetronic et un turbocompresseur
KKK type 3LDZ, soufflant à 0.8 bar. Le taux de compression
est abaissé à 6,5:1. Porsche utilise également
des technologies avangardistes destinées à obtenir
une forte puissance sans que la fiabilité du moteur n'en
soit affectée. Les parois des cylindres sont couvertes de
Nikasil, les pistons sont en alliage forgé et le carter de
vilebrequin en aluminium. Le 6 cylindres à plat Porsche développe
ainsi la puissance de 260 ch à 5500 tr/mn et un couple de
343 Nm à 4000 tr/mn. Disponible aux USA, la 930 n'y délivrera
cependant que 245 ch (moteur type 930/51) soit 15 ch de moins que
la version européenne pour des raisons de dépollution.
Notez également que le ventilateur de la 930 comporte 11
pales et non 5 comme sur les autres 911. Dès 1976, le flat 6 reçoit l'ajout dune soupape
de dérivation au turbocompresseur et la pression de suralimentation
passe à 1 bar, sans modification de puissance. Enfin, au
millésime 1977, la pompe à essence est doublée.
La boite est une 4 rapports spécifique de type 930.30 puis
930.33 en 77. Il était en effet impossible de monter une
5ème pour cause de manque de place dans le carter de boite,
les pignons ayant été renforcés tout comme
l'embrayage de 240 mm. Offrant des performances de premier ordre,
la Porsche 930 se classe au niveau des meilleures sportives de l'époque
comme la Ferrari 512 BB. Pour passer de 0 à 100 Km/h, 5,5
secondes seulement lui suffisent, tandis que sa vitesse maximale
dépasse les 250 Km/h. Rien d'étonnant à cela
étant donné que le poids total s'en tient à
1140 kg seulement sur les modèles 75 ! Et quelles sensations
! Ah, évidemment, le grondement étouffé du
turbo ne vous remue pas les tripes comme les rugissements courroucés
des 12 cylindres italiens. On n'en est que plus étonné
de se sentir plaqué contre son dossier par des montées
en vitesse aussi irrésistibles! Au démarrage, quand
on lâche les chevaux, c'est à peine si les roues arrière
motrices patinent, écrasées par le poids du moteur
et collées à la chaussée par les P7 ultra-larges.
En août 77, donc au millésime 78, la Porsche 911 Turbo
passe encore la vitesses supérieure avec une cylindrée
augmentée à 3299 cm3 (moteur type 930/61) et l'adjonction
d'un échangeur qui permettra de faire grimper la puissance
à 300 ch à 5500 tr/mn et le couple à 42 mkg
à 4000 tr/mn. La carrière de la 930 prendra alors
un nouvel envol qui va la mener jusqu'en 1989.
SUR LA ROUTE
En dépit de caractéristiques dignes
d'une voiture de compétition, la Turbo 911 semble étonnament
adaptée pour une utilisation au quotidien. Dans ce domaine, Porsche
parvient également à concilier 2 contradictions pourtant flagrantes. En ville, la Turbo se conduit comme une 911 ordinaire, la souplesse
du moteur 3.0L étant ici très appréciable.
Une fois sur la route, il faut alors anticiper la double personnalité
d'une voiture dont la gestion du turbo à l'ancienne avait
de surcroit été voulue à l'époque volontairement
"brutale". En clair, on a rien fait pour lisser le caractère
du moteur ! Et en effet, une fois passé les 3500 tr/mn, le
déclenchement de la turbine s'opère en mode "tout
ou rien". Le 6 cylindres de la Porsche 930 vous propulse alors
dans une autre dimension, avec un mémorable coup de pied
au cul ! Le dos s'enfonce alors dans le cuir du siège et
l'on prend pleinement conscience des accélérations
fulgurantes de la 930 Turbo ! Imaginez alors un peu quel choc ce
fut à l'époque pour le monde de l'automobile qui découvrait
alors simultanément la turbocompression et l'arrivée
sur le marché d'une voiture de sport capable d'offrir des
sensations jusqu'ici inconnues en dehors du monde de la compétition.
Etant donné le couple du moteur, la boîte de vitesse à 4
rapports semble suffir. La 1ère pousse jusqu'à 80
km/h à l'abord de la zone rouge (située à 6900
tr/mn), la 2ème à 135 et la 3ème fait déjà
de vous un délinquant bon pour la prison, à 200 Km/H.
Vous irez ensuite expliquer à M. le "gendrame"
que vous n'aviez pas encore passer la 4ème... il risque d'apprécier.
Imaginez tout de même que la 4ème vous emmène
à 250 Km/H... Pourtant, les rapports tirent long pour compenser
le souffle brutal du turbo. Les reprises sont efficaces mais on
imagine qu'elles pourraient être bien meilleures encore avec
un turbo soufflant plus tôt et un cinquième rapport
qui permettrait un étagement plus serré. En virage
serré, la maniabilité et l'équilibre légendaires
de la 911 sont intacts, la limite d'adhérence étant
même repoussée très loin grâce aux pneus
et aux voies élargis. En revanche, ceux qui ont dépassé
cette limite, ce qui est assez facile sur route mouillée,
doivent encore s'en souvenir. En courbe, la voiture entre en sous-virage
et à la sortie une dérobade de l'arrière train
n'est pas difficile à obtenir. En effet, sur un levé
de pied, le turbo perd très vite son régime, et il
lui faut un certain temps pour le reprendre à la réaccélération,
ce qui peut donner une impression de paresse. Mais à la reprise
de son souffle, attention aux dérapages incontrôlés...
La tenue de cap à grande vitesse n'ayant jamais été
le point fort de la 911, on retrouve ce défaut sur la Turbo
car le surcroît d'appui généré par l'imposant
aileron arrière ne parvient pas à compenser l'allègement
de la direction en dépit du tablier ajouté au bouclier
avant. Sur mauvaise route, la séance de rodéo devient
vite de mise. La direction est précise, très dure.
Les pneus larges aidant, la 911 Turbo suit la moindre ornière.
Ajoutez à cela la réponse brutale du turbo, un freinage
de Carrera 2.7 sous-dimensionné face au poids et à
la puissance de la Turbo et vous comprendrez que le pilote doit
alors batailler virilement avec sa bête dont la réputation
d'indomptabilité n'est pas qu'une légende. En un mot,
la Porsche 930 c'est... sportif ! Et comme c'est bon ! Ce retour
aux source vivifiant nous rappelle combien les productions actuelles
sont parfois bien trop aseptysées.
ACHETER UNE PORSCHE 911 TURBO (930) 3.0
Aujourd'hui, cette voiture reste sûrement
l'un des rapports prix/plaisir les plus convaincants. Le look ravageur
fait toujours son petit effet et la 930 peut difficilement laisser
insensible. Du fait de sa longévité et du nombre relativement
élevé de voitures fabriquées, la 930 Turbo
3.3 est bien moins rare que la 3.0L. Pour cette dernière,
le nombre d'exemplaires produits dans l'année 1974 serait
de 159 seulement et 284 ex. pour le millésime 75, premier
millésime officiel de la Turbo. En clin d'oeil à la
935 de compétition, 200 très rares exemplaires de
930 couverts de bandes Martini Racing ont été produits
en 1976. Ces bandes pouvaient même être demandées
en usine et appliquées sur toutes les turbo. Au total, seuls
2850 ex. de la Turbo 3.0 auront été fabriqués.
Donc si vous avez le coup de coeur pour cette dernière, un
conseil : armez-vous de patience ! Pourtant, la Turbo 3.0 est aujourd'hui
plus accessible en occasion, sa cote étant inférieure
à la 3.3 malgré la valeur historique de ce modèle.
Sa position d'ancienne plus que de "classic" y est sans
doute pour beaucoup. Rares encore sont donc ceux qui osent se lancer
dans des restaurations complètes et il y a fort à
parier que dès que cela sera le cas, les cours de la 930
Turbo 3.0 devraient remonter en flêche. Actuellement, pour
20-25000 euros vous pouvez déjà vous offrir un très
bel exemplaire de "LA" 930. Les modèles 75 seront
à privilégier pour leur valeur historique mais attention
à la rouille ! Sinon, optez plutôt pour un modèle
76 ou 77 malgré leurs performances en retrait. Notez également
que les versions américaines sont moins puissantes mais, étant
autant répandues, il est tentant d'en importer pour un prix
attractif. Il vous faudra donc être vigilant lors de l'achat. Leur numéro de moteur commence à 6860001 pour
les modèles 76 et 6872001 pour les 77. Cependant, il faut le savoir, l'entretien d'une Turbo est plus onéreux
que celui d'une Carrera 3.2. La consommation est conséquente
et pour peu que l'on veille exploiter son fabuleux moteur, les 80
L du réservoir diminuent à vue d'oeil ! De plus, les
versions Turbo ayant été privilègiées
par des amateurs de performances pures, leurs moteurs ont souvent
été très sollicités. Les 3.0 L sont assez fragiles au niveau
des guides de soupapes, quelques cas de culasses à remplacer
ont été constatés. De même le tendeur
de chaine de distribution est à surveiller. La turbine a
une durée de vie limitée d'environ 100000 Kms et son
prix n'est pas particulièrement bon marché, tout comme
le reste des pièces. Comptez donc un budget d'utilisation au moins double d'une 911 atmosphérique.
Mais avec un entretien suivi et régulier, la 911 Turbo demeure
une 911, c'est à dire l'une des sportives les plus fiables
du monde.
CHRONOLOGIE PORSCHE 911 TURBO
1974 : Présentation officielle à Paris en septembre
de la 911 Turbo. Moteur type: 930/50, 260ch.
1975 : Avril, la production commence. Moteur type 930/51
aux USA, 245 ch.
1976 : Mai, livraison de la 1000ème Turbo. Ajout dune
soupape de dérivation au turbocompresseur. La pression de
suralimentation passe à 1 bar. Carrosserie traitée
anticorrosion.
1977 : Juillet, fin de la Turbo 3.0, la cylindrée
passe à 3.3 litres pour 300 ch (moteur 930/61) au mois d'août.
PRODUCTION : 911 Turbo 3.0 (1974-1977)
: 2.850 exemplaires
:: CONCLUSION
Pour de nombreux conducteurs, la 911 Turbo représentait la voiture
de sport par excellence. Au regard de toutes ses caractéristiques
exceptionnelles, elle constitue aujourd'hui un véritable phénomène
et un monument historique de l'Automobile. Un véhicule mythique
dont la réputation de bête sauvage a beaucoup contribué à l'aura
dont elle bénéficie encore dans le coeur de tous les passionnés.
Presque 30 ans après, nous lui souhaitons donc un joyeux
anniversaire, en imaginant qu'elle donnera encore longtemps du plaisir
à ses heureux propriétaires !
CE QU'ILS EN ONT PENSE :
"Quant à ses qualités de finesse, elles sont aujourd'hui dépassées,
comme le montre la comparaison avec les meilleures berlines actuelles
et les Porsche « nouvelle génération ». Néanmoins, avec son Cx de
0,40, la 930 Turbo est bien meilleure que la Ferrari 512 BB ou la
Lamborghini Countach, les seules rivales dignes de lui être confrontées.
Et, globalement, on concluera sur le chapitre des performances en
faisant ressortir que si la Porsche Turbo est un peu moins rapide,
elle est pratiquement aussi brillante et souple que ses super-sportives
concurrentes. C'est tout de même assez surprenant."
SPORT AUTO - 1983 - José Rosinski. |