TRIUMPH TR2 (1953 - 1955)
LE TRIOMPHE DE LA SIMPLICITE
John Black, le nouveau patron de Triumph après-guerre, est persuadé qu’une voiture de sport est la meilleure façon de pénétrer le marché américain où il rêve d'imiter le succès des Jaguar XK120. Mais plutôt qu'affronter directement son prestigieux voisin de Coventry, il choisit de cibler une clientèle moins fortunée avec une voiture plus simple. Archétype du roadster anglais, la Triumph TR2 invente une recette qui fera le bonheur de toute une génération de conducteurs...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : Bahman Cars
Créé en 1886 par un immigré allemand, Siegfried Bettmann, le fabricant de motos Triumph Cycle Company se convertit à la fabrication automobile en 1923 avec l'arrivée de son compatriote Moritz Schulte et la fondation de la Triumph Motor Company. Forte des profits réalisés durant la première guerre mondiale, la marque se consacre tout d'abord aux petites voitures économiques. Mais déjà on peut voir apparaître quelques dérivés sportifs baptisés roadster. La montée en gamme s'opère via les modèles Gloria et Dolomite mais cela se fait au détriment de la rentabilité. Finalement, Triumph est contraint de revendre sa branche motos avant de finalement être mise en liquidation en 1939. L'usine historique de Triumph, réquisitionnée pendant la guerre, est dévastée par les bombardements de 1940. En Novembre 1944, la Standard Motor Company, rachète alors ce qui devient sa filiale sous le nom de Triumph Motor Company (1945) Limited. La production est transférée chez Standard à Canley, dans la banlieue de Coventry.
Le premier modèle Triumph sorti d'usine après guerre est la 1800 Roadster, en 1946. Malgré son châssis tubulaire et sa carrosserie en aluminium (les stocks d'acier étant très limités), il ne peut séduire la clientèle américaine vitale à sa survie avec ses performances modestes et sa ligne baroque signée Frank Callaby. John Black, patron de Standard-Triumph, souhaite emboîter le pas à son ancien partenaire SS, devenu Jaguar, dont le roadster XK120 va afficher un succès insolent outre-Atlantique à partir de 1948. Pour gagner en puissance, la Triumph Roadster adopte le moteur 2088 cm3 de Standard en septembre 1948 mais sans plus de succès commercial. Comment John Black va-t-il faire de Triumph l'égal de Jaguar ? Dans un premier temps, ce n'est pas son idée et il préfère tenter un rapprochement avec Morgan. C'est suite au refus de Morgan que Black, sans doute blessé dans son orgueuil, se met réellement en tête de construire son propre roadster sportif.
TRIUMPH TRX
Un prototype ambitieux, baptisé Roadster TRX (TR pour "Triumph Roadster"), est exposé au salon de Londres en 1950. La voiture est dotée d'une caisse en aluminium, d'un overdrive, de phares escamotables et de gadgets électriques, tels l’ouverture du capot, ou commandés par la dépression d'admission moteur, comme les sièges et le déploiement de l’antenne radio. Malheureusement, à cause d'un coût de revient trop élevé, ce projet est finalement très vite abandonné.
TR1
Une nouvelle stratégie est mise en place, visant à produire un roadster économique utilisant de nombreux éléments de grande série. Par cette définition, la cible visée n'est plus tant Jaguar que MG. En 1952, le cahier des charges de la nouvelle étude confiée à Walter Belgrove se résume ainsi : produire la voiture la moins chère possible et être présent au "British Earls Court Motor Show" de Londres en octobre 1952 ! Basé sur un châssis de "Flying Standard Nine" d'avant-guerre, cette étude baptisée 20 TS pose les bases de la future Triumph de sport, plus moderne que les vieillissantes MG T et plus abordable que les Jaguar XK-120. La carrosserie de ce roadster biplace embarque le 4 cylindres Standard. Alimenté par 2 carburateurs SU, il développe 75 ch. Construite à la hâte par Harry Webster, la 20 TS, rebaptisée officieusement TR1 par la suite, s'avère inconduisible et Triumph doit revoir sa copie...
PRESENTATION
Afin de revoir la tenue de route et le châssis de son futur roadster, Triumph fait appel au pilote de Formule 1 Ken Richardson qui vient de quitter BRM. Ce dernier va réussir à transformer ce qui ressemble encore à un véritable cercueil roulant en une voiture de sport digne de ce nom. Les modifications visent en priorité à rendre le châssis plus rigide. Au niveau de la carrosserie, les lignes du roadster 20TS avec ses deux phares ronds à demi intégrés et ses portières échancrées dépourvues de vitres ont été globalement conservées, à l’exception de la poupe qui incorporait la roue de secours. Le travail sera consacré à remodeler cette partie pour obtenir un coffre plus logeable et une ligne plus gracieuse. La roue de secours est camouflée dans le coffre et accessible derrière une trappe supportant la plaque d'immatriculation tandis que le porte-à-faux arrière est allongé pour effiler la ligne.
En février 1953, avant sa présentation au salon de Genève, la nouvelle Triumph TR2 est encore loin d'être au point mais elle fait pourtant déjà parler d'elle comme rivale potentielle des Austin Healey, Morgan et Jaguar avec son rapport prix/performances très agressif. L'objectif de proposer une voiture robuste, économique, simple et performante est définitivement concrétisé en juillet 1953, lorsque la TR2 est commercialisée. Avec une longueur dépassant à peine les 3.80 m et une faible largueur, la Triumph TR2 est une petite voiture de sport, légère et attractive. L'habitacle, rudimentaire, est traité avec un certain soin et possède de nombreux manomètres. Le mariage des cuirs et des chromes fait quant à lui toujours son effet.
MOTEUR
Ken Richardson s’emploie également à tirer des chevaux supplémentaires du 4 cylindres en ligne Standard de 2088 cm3 équipant la brave belrien Vanguard. Dérivé du 1850 cm3 équipant aussi les tracteurs Ferguson et doté d'un simple vilebrequin à 3 paliers, ce bloc n'est pas fondamentalement sportif dans sa conception. Mais il est conçu pour durer. Des pistons en aluminum sont montés dans des chemises en alliage spécial (nickel-chrome). Selon le principe des chemises humides inspiré de la célèbre Citroën "Traction Avant", elles sont insérées dans le bloc-cylindres, qui se comporte comme un simple carter rempli d’eau.
Par ailleurs, Triumph songeant déjà à la compétition, l’alésage est judicieusement réduit pour obtenir une cylindrée de 1991 cm3 permettant de concourir dans la catégorie des moins de 2 litres. Triumph augmente aussi le taux de compression avec un nouvel arbre à cames et de nouveaux carburateurs SU H4. Au final, le moteur développe 90 ch SAE à 4800 tr/mn, soit 15 de plus qu'à l'origine.
A l'usage, ce quatre cylindres se montre coupleux et doté d’une jolie sonorité à la faveur d'une ligne d'échappement très libérée. Il procure au roadster Triumph TR2 des performances plus qu’honorables pour l’époque et le meilleur rapport prix/performances du moment. Pari tenu !
La boîte de vitesses à quatre rapports de la Vanguard entraînant les roues arrière est plutôt agréable à manier. La combinaison d’une vitesse supérieure à 160 km/h et d’une consommation de "seulement" 11,3l aux 100 km en conduite mixte offre à la Triumph TR2 un succès immédiat, notamment aux États-Unis qui vont absorber plus de 70 % de la production. Il faut dire que son prix de 2.400$ (soit environ 840.000 anciens francs de l'époque, contre plus de 1,1 million pour une XK120) était un autre argument majeur. On se rendra compte d'ailleurs assez vite chez Triumph qu'un prix aussi bas n'est pas tenable et ce dernier sera revu à la hausse de 20% en l'espace de 2 ans !
SUR LA ROUTE
En ordre de marche, la Triumph TR2 pèse 955 kg et son gros 2.0 en fonte n'a pas beaucoup de mal à la déplacer. Bien sûr, j'en vois déjà qui sourient au fond de la classe à la vue de rapport poids/puissance de... 10,6 kg/ch. Mais on vous parle là d'un temps, que les moins de vingt ans... feraient bien de connaître ! Les performances, effectivement d'un autre âge, sont suffisantes pour prendre un maximum de sensations, assis au ras du sol, un coude à moitié dehors, le pif et les esgourdes au grand air. Les commandes sont viriles, ça gronde, ça renifle l'huile et l'essence et ça tient la route... comme ça peut ! Equipée d’une suspension avant indépendante issue de la Triumph Mayflower, à ressorts hélicoïdaux et bras triangulaires, plus un essieu rigide à l'arrière, le tout posé sur un vrai châssis séparé à l'ancienne, la Triumph TR2 ne fait pas référence en matière de précision de conduite, malgré une certaine agilité. La direction à vis et galet ajoutant sa part de flou à un ensemble qui devient vite artistique dès que l'humidité vient s'intercaler entre le sol et les fines roues de la TR2.
Vigoureuse à bas et mi-régime, la poussée du moteur anglais s'éteint toutefois rapidement à l'approche des 5000 tours. Qu'importe, on se démène comme un forçat avec la boîte et l'embrayage qui permettent de savourer chaque ratatouillage et pétarade, lorsqu'on joue du double débrayage. Ajoutez à cela un freinage à tambours, fabriqué par Lockheed, aussi peu efficace que stable et vous obtenez un véritable concentré d'émotion pure garantie d'origine contrôlée. Aucun doute, rouler vite en Triumph TR2 c'est du sport !
EVOLUTION
On distingue les Triumph TR2 en deux séries. Les premières, ou long doors » (portes longues) produites à partir de 1953 ont les portières qui descendent jusqu'au bas de la carrosserie et des feux arrière différents de ceux montés ultérieurement. Les joncs de liaison des ailes sont peints et les 500 premiers exemplaires de cette série 1 étaient pourvus d’un capot en aluminium, d’un couvre roue de secours et d’un outillage de bord complet. Sur cette première série, quelques modifications et améliorations mineures sont rapidement apportées : des freins de même dimension à l’avant et à l’arrière et, en option, une overdrive Laycock. Viennent ensuite les TR2 Serie 2 ou « short doors » (portes courtes) produites à partir de la fin 1954 et dont les portes sont raccourcies et ne descendent plus jusqu'au bas de la carrosserie pour faciliter leur ouverture au dessus d'un trottoir. Les feux arrières sont également modifiés.
LA TRIUMPH TR2 EN COMPETITION
La Triumph TR2 est rapidement mise à l'épreuve pour se forger une image sportive. Ken Richardson devient le pilote officiel de la marque et obtient comme première mission un record de vitesse sur l'autoroute belge de Jabbeke. Le 20 mai 1953, sa TR2 simplement optimisée aérodynamiquement avec un fond plat et deux wind-screen, accroche 124,889 mph (environ 200 km/h). Cette performance n'est pas fortuite car elle fait justement écho à la Jaguar XK120 qui tire son nom de sa vitesse de pointe de 120 mph. Plus tard, au Rallye d'Angleterre (RAC) 1954, deux TR2 privées se classent aux deux premières places. Une voiture usine, spécialement préparée pour la course des Mille Miles est aussi mise en chantier et confiée au pilote hollandais Maurice Gatsonides. Partie le 1er mai 1954, elle finira 27ème au général après 998 miles parcourus à 120 km/h de moyenne. Au rallye des Alpes, la TR2 officielle termine 4ème de sa classe, puis on la retrouve au Rallye des Tulipes (2ème de classe) et au Liège-Rome-Liège en 1955 (3ème de classe).
ACHETER UNE TRIUMPH TR2
Se lancer dans l'achat d'une Triumph TR2, en France, n'est pas forcément aussi simple qu'on peut l'imaginer. Peu diffusée, la TR2 a surtout connu les routes américaines. De ce fait, certains se sont amusés à convertir des TR3, jugées plus banales, en TR2. Pourtant, ce qui est rare n'est pas toujours plus cher et la TR2, y compris les premières en "longues portes", ne s'échangent généralement pas plus cher que les TR3. Comptez environ 30.000 € en bon état.
En échange de cette somme, vous pourrez réaliser des économies substantielles sur l'entretien, d'une simplicité élémentaire. D'autant que le gros 2L Standard se montre particulièrement endurant. Une petite indication concernant les freins à tambours : quand ils sont réglés, ils freinent ! Mais ils faut les régler très souvent (1000 km).
Enfin, la majorité des pièces de TR2 peuvent s'acheter à un prix raisonnable via les revendeurs anglais. Certes, l'authenticité n'est pas toujours garantie à 100% et quelques pièces spécifiques de TR2 sont devenues rarissimes. Dans tous les cas, pensez à vous rapprocher des clubs officiels (Triumph Club de France) pour obtenir un maximum d'infos sur l'exemplaire convoité et les TR2 en général.
PRODUCTION
TOTAL TRIUMPH TR2 (1953-1955) : 8636 exemplaires
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES
TRIUMPH TR2
MOTEURType : 4 cylindres en ligne, 8 soupapes
Position : longitudinal AV
Alimentation : 2 carburateurs S.U. H4
Cylindrée (cm3) : 1991
Alésage x course (mm) : 83 x 92
Puissance maxi (ch SAE à tr/mn) : 90 à 4800
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 158 à 3000
TRANSMISSION
AR
Boîte de vitesses (rapports) : manuelle (4)
ROUES
Freins Av-Ar (ø mm) : tambours (254-229)
Pneus Av-Ar : 5.50-15
POIDS
Données constructeur DIN à vide (kg) : 955
Rapport poids/puissance (kg/ch) : 10,6
PERFORMANCES
Vitesse maxi (km/h) : 175
400 m DA : 18"6
1 000 m DA : NC
CONSOMMATION
Moyenne (L/100 Km) : 11,5
PRIX NEUF (1953) : 840.000 FF
COTE (2012) : 30.000 €
PUISSANCE FISCALE : 7 CV
CONCLUSION
L’histoire de l’automobile est riche de voitures remarquables conçues avec génie à partir de pièces déjà existantes et sans budget de développement digne de ce nom. L'Angleterre est rapidement devenue la patrie de ce type d'automobile et la TR2 de 1953 fait indiscutablement partie de cette catégorie. Triumph doit beaucoup à Sir John Black, qui fut à l’origine du projet et dont la longue saga ne faisait alors que commencer…
Ligne rétro pleine de charme
Moteur robuste
Machine à sensations
Entretien peu coûteux
Aucun confort !
Aspects pratiques...
Moteur peu sportif
Tenue de route approximative
Freinage
Rare en France
Remerciements aux membres du Triumph Club de France pour leur aide.