© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (26/07/2004)
RETOUR VERS LE FUTUR
En 1973 John Zachary DeLorean, alors
vice-président du groupe Général Motors Company, démissionne dans
le but de créer sa propre marque automobile, avec le projet de
développer une sportive abordable et moderne. Mais ce projet
a du mal à séduire les financiers
américains et les ennuis vont le suivre tout au long de la
courte, mais passionnante, épopée de la DeLorean DMC-12...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
En janvier 1974, John Zachary DeLorean crée
à Détroit sa société de consultant en ingénierie, John Z. De Lorean
Corporation. De Lorean commence à parler de la construction de sa
propre voiture de sport, qui doit être techniquement très avancée, d'une haute
sécurité et d'un prix de vente élevé : la voiture que General Motors
lui avait interdit de concrétiser en 1962... Une société annexe
rachète les droits pour un matériau composite destiné au châssis
moulé de la future Delorean et Bill Collins est engagé comme concepteur
et chef de projet.
DeLOREAN MOTORS COMPANY
Finalement, faute de pouvoir trouver des investisseurs
dans sa patrie et après différentes approches de pays
étrangers, DeLorean va s'expatrier en Irlande où le gouvernement
lui déroule le tapis rouge pour sauver l'emploi de la région du
Nord. Grâce aux fonds obtenus, plus d'une centaine de millions
de dollars de subvention de l'Etat (!), DeLorean met finalement
en chantier son projet. En 1975, la DeLorean Motors Company s'installe
en Irlande, à Dunmurry dans la banlieue de Belfast. Le projet de
coupé sportif abordable et innovant ambitionne des volumes
de ventes considérables, principalement aux Etats-Unis. Fruit
d'une collaboration internationale assez complexe, le projet se
montre rapidement trop ambitieux et plus compliqué que prévu
à mener à bien. Malgré un marketing soutenu
et une consécration cinématographique dans le rôle
de "machine à remonter le temps" de la trilogie
des films "Retour vers le futur", la DeLorean DMC 12 va faire tourner
le rêve américain en véritable cauchemar !
DESIGN
C'est en octobre 1974 que Bill Collins remit sa démission à G.M.
pour rejoindre John De Lorean. Ils avaient travaillé ensemble chez
Pontiac, où Collins fut un des hommes à l'origine de la première
GTO et du projet Trans-Am. Collins était persuadé
que le développement de la Delorean DMC-12 deviendrait la chose
la plus importante de sa carrière. Il est vrai que le cahier des
charges ambitieux de la DeLorean était alléchant : une voiture de
sport pour gentleman, d'une ligne percutante, avec le moteur à l'arrière,
la carrosserie en acier inoxydable, des portes-papillon et de bonnes
performances. La voiture devait aussi être un exemple dans le domaine
de la sécurité active et passive, elle devait pouvoir accueillir
les passagers de grande taille et garder une ligne indémodable au
fil du temps.
Les dimensions fondamentales de la Delorean étant
définies, Bill Collins se rendit chez Pioneer Engineering pour faire
réaliser une première maquette du cockpit. Mais pour le design
final de son coupé, DeLorean fait finalement
appel en 1975 à Giorgetto Giugiaro, chez Ital Design, qui compose
plusieurs croquis et une maquette fidèle à ses inspirations
du moment, notamment à moteur central arrière (Lamborghini Countach,
Lotus Esprit, Bmw M1...) avec un style aérodynamique très acéré.
En 1976, le premier prototype basé sur un moteur 4 cylindres Citroën
donne une idée générale assez précise
de ce que sera la voiture de série. Deux particularités
esthétiques la caractérisent rapidement ; tout d'abord ses
portes papillons qui donnent un style bien à part à la voiture,
ensuite sa carrosserie non peinte, en inox brossé brut. L'alliage
utilisé pour la carrosserie est en effet de l'acier inoxydable,
inox 304 austénitique, qui a la particularité d'être
non-magnétique. Cette catégorie d'acier inoxydable est très peu
répandue dans l'industrie automobile car il coûte environ cinq fois
plus cher que l'acier classique. En contrepartie, DeLorean réalisait
des économies sur la peinture et pouvait offrir une garantie
anticorrosion, chose très rare à l'époque.
Un an plus tard, un deuxième prototype voit le jour, avec le moteur
V6 et un volant doté d'un... airbag ! Qui le croirait, presque
30 ans plus tard ? La voiture est présentée au public
en 1980 et le 21 Janvier 1981, après moultes retards, les
premières DeLorean sortent de l'usine. Pourtant, la voiture en elle-même
a tout de la proposition alléchante... du moins, sur le papier.
HABITACLE
L'habitacle de la DeLorean offre à moindre coût une
ambiance digne des supercars de la décennie 70. L'intérieur,
entièrement couvert de cuir noir (un intérieur gris sera
introduit un peu plus tard) ne manque pas d'élégance
et la position de conduite très basse et facilement ajustable
et très agréable. Par ailleurs, l'équipement
de série est très complet pour une voiture qui se
négocie moins de 20 000 dollars : cuir, vitres et rétros
électriques, lecteur radio am/fm, air conditionné, verrouillage
centralisé à télécommande, etc..
MOTEUR
Malgré ce qu'on pourrait penser, la DeLorean n'est pas animée par
un gros V8 Yankee... Le premier prototype était basé sur un moteur
4 cylindres Citroën, rapidement jugé trop faiblard. En 1977
un deuxième prototype voit le jour avec un moteur V6 Franco-Suédois qui sera finalement retenu pour la production. L'une des grandes
erreurs de DeLorean dans la réalisation de la DMC-12 est
sans doute d'avoir opté pour ce V6 conçu par le trio
Peugeot-Renault-Volvo. Le fameux (...) "PRV" dont la modeste
puissance et la faible cylindrée semblaient bien dérisoires
pour s'attaquer au marché Américain des voitures de
sport, au milieu de V8 généreusement "cubés".
Certes, la DeLorean était du genre "poids-plume"
face à ses rivales d'alors et son implantation en position centrale
arrière avait l'avantage d'une noblesse architecturale issue
de la compétition. Mais le marketing ne fait pas tout. Conçu
à l'origine comme un V8, le V6 PRV possède un angle
d'ouverture de 90° peu usuel pour un 6 cylindres. Avec un alésage
de 91 mm pour 73 mm de course, la cylindrée totale s'établit
modestement à 2849 cm3. L'alimentation est assurée
par une injection Bosch K-Jetronic et le catalyseur est installé
d'office pour le marché US. Le rendement n'ayant rien d'exceptionnel,
tout comme le taux de compression de 8,8:1, on constate avec stupeur
que cette mécanique ne délivre que 130 ch au régime
de 5500 tr/mn pour un maigre couple de 22 Mkg, toutefois disponible
à 2750 tr/mn. En clair, ce moteur n'a rien de sportif... La transmission
est à 5 vitesses manuelles, ou 3 vitesses automatiques. 50
% des DeLorean devaient être en boîte automatique, mais la
boîte manuelle était plus appréciée et elle fut montée
approximativement dans 70 % des DeLorean produites.
Avec une masse
totale de 1233 kg, les performances de la DeLorean n'ont pas de quoi
vous faire remonter le temps : la vitesse maximale est de 210 km/h
et la voiture accélère de 0 à 100 Km en 10"
environ. Le réservoir de 51 L autorise une autonomie assez
limitée et, cela, même sans employer le convecteur
spatio-temporel... A prix égal, les performances de la Delorean
sont d'ailleurs en net retrait par rapport à ses concurrentes directes
Nissan 280 ZX, Porsche 944, Chevrolet Corvette C4, etc.. et la clientèle
ne va pas s'y tromper. Notez que certaines versions de la Delorean
furent dotées marginalement d'un, ou même deux turbos, par
des propriétaires jugeant, comme beaucoup, qu'une telle voiture
méritait mieux que 130 chevaux... Mais le mal était
déjà fait, les ventes sombraient désespérément
vers les abîmes.
CHASSIS
En 1978, le groupe Lotus fut contacté pour produire les premiers
prototypes de la DeLorean, en leur donnant des qualités de l'Esprit.
C'est d'ailleurs le petit constructeur Anglais, sous la tutelle
de Colin Chapman, qui fera le châssis de la DeLorean et aura
également bien du mal à tenir ses engagements en terme
de délais de réalisation... Confiée aux bons
soins de Lotus, le châssis en acier recouvert d'epoxy accueille
le V6 en position transversale centrale arrière.
La suspension à quatre roues indépendantes utilise
des triangles superposés avec jambe de force à l'arrière
et des combinés ressorts-amortisseurs hydrauliques. La direction
assez courte (2,65 tours de butée à butée)
autorise un rayon de braquage de 10,7 m. Le freinage est assisté
à quatre disques, de 254 mm à l'avant, et 267 mm à
l'arrière. Equipée de larges pneumatiques Goodyear
NCT, la DeLorean passe sans problème sa faible puissance
au sol par l'intermédiaire de roues de 14" et 15",
respectivement devant et derrière. Malheureusement, Lotus
traîne à finaliser le châssis et à obtenir
l'homologation indispensable à la commercialisation de la
DeLorean. Pendant ce temps, les créanciers s'impatientent
et les dettes s'accumulent. Heureusement, les clients ne seront
pas déçus du résultat, concernant l'agrément
de conduite. La Sport Car la DMC-12 est une auto plus agile et sécurisante
que ses rivales américaines au châssis en guimauve.
A l'inverse des habitudes du nouveau continent, le potentiel dynamique
du châssis de la DeLorean souligne encore plus la sous-motorisation
évidente d'une voiture ayant des ambitions de supercar.
ACHETER UNE
DELOREAN DMC 12
La production de la DeLorean tournera au ralenti et la DeLorean Motors Company connaîtra
rapidement les premiers problèmes financiers avant de fermer
définitivement en 1983. Au total, seulement 8583 exemplaires de la DeLorean
DMC 12 auront été fabriquées en 3 ans. Les deux particularités qui faisaient la fierté des
dirigeants ont en effet rapidement marqué le début des ennuis pour
les ingénieurs et les commerciaux. En effet, si la carrosserie
en inox est aussi brillante que remarquable à l'intérieur
des show-room, il va en aller autrement dès que les premiers
clients vont être livrés. Avec les agressions des éléments
(pluie et soleil), la carrosserie se tâche et se ternit.
Les problèmes liés aux traces de doigts sur la carrosserie agacent
certains clients car les empreintes sont relativement dures à retirer
si on ne dispose pas de produit spécial. Ces problèmes ont donc
amené des concessionnaires à peindre des voitures... avec
des résultats mitigés, car il est très difficile d'obtenir une bonne
adhérence sur l'inox. En outre, trois personnes au monde peuvent
se vanter de posséder une DeLorean plaquée Or 24 carats !
Si ! Fabriquées à l'aube de la faillite de John Zachary De
Lorean, ces voitures avaient été réalisées
à la demande d'American Express. Une série limitée de 100
exemplaires était même envisagée, à 85.000 USD
le supplément "peinture or" ! De plus, pour ne rien arranger,
les portes papillons avouèrent rapidement leurs faiblesses : mécanisme
défaillant, hermétisme et infiltrations mal maîtrisés.
Informés de ces défauts qui s'ajoutaient aux performances
modestes, les clients américains ne se précipitèrent
donc pas sur la DeLorean, malgré une deuxième usine
ouverte en Californie pour corriger les défauts des voitures
arrivant d'Irlande !
Accusé en 1982 d'avoir truqué les comptes de
la société, DeLorean amorce une chute dont il ne se remettra pas
lorsqu'en 1983, le gouvernement Américain l'inculpe pour trafic
de drogue. Deux ans à peine après le lancement de
la voiture, c'est la banqueroute pour la DeLorean Motors Company
qui met la clé sous la porte. Popularisée et immortalisée sur grand
écran par Robert Zemeckis, la DeLorean est pourtant, aujourd'hui
encore, une icône pour toute une génération
et s'arrache à bon prix aux Etats-Unis et dans les rares
autres pays où on peut en trouver quelques-unes. Il est d'autant
plus regrettable que cette voiture n'ait pas rencontré le succès
que ses qualités demeurent réelles et intéressantes.
Son moteur, il est vrai peu poussé, est robuste et fiable,
sa carrosserie ne craint pas la rouille (ce qui est plutôt
rare et appréciable pour une ancienne), son confort de roulage
est tout à fait honnête et son châssis procure encore un plaisir certain à son conducteur.
Contrepartie d'un équipement de confort abondant, les fonctions
électriques sont aussi nombreuses que peu fiables, la carrosserie
est très salissante et les pièces doivent quasiment
être refaites sur mesure, faute de pérennité
de l'entreprise. Toutefois, il est à noter qu'un Américain
a ressuscité l'entreprise DMC aux Etats-Unis et y assure
la remise en état de ce modèle mythique, très
apprécié des jeunes collectionneurs. Dans nos contrées,
la bête est rare, mais pas introuvable. Comptez alors 15 à
20.000 euros pour vous offrir cette attachante machine à
remonter le temps, ce qui n'est vraiment pas cher payé pour
retourner en enfance !
CHRONOLOGIE DELOREAN DMC-12
1974 : En janvier, création à Détroit de la
société de consultants en ingénierie John Z.
De Lorean Corporation.
1975 : La maquette dessinée par Guigiaro est dévoilée
en début d'année. En octobre, la Delorean Motor Corp.
voit le jour dans le Michigan.
1976 : En octobre, premier prototype roulant de la Delorean.
1978 : La construction de l'usine commence à Dunmery, près
de Belfast.
1981 : Les premières voitures sortent des chaînes au
mois de janvier. La voiture est présentée au mois
de juillet aux États-Unis.
1982 : L'usine qui fonctionne au ralenti est mise en liquidation
en février. En octobre, John Z. De Lorean est arrêté
pour trafic de drogue et l'usine déclarée en faillite.
PRODUCTION DELOREAN DMC 12
1981 : 6 539 exemplaires
1982 : 1 126 exemplaires
1983 : 918 exemplaires
TOTAL DeLorean DMC 12 : 8 583 exemplaires
:: CONCLUSION
La DeLorean incarne le rêve Americain, avec grandeur
et décadence. Elle est l'oeuvre d'un authentique passionné
d'automobile qui était prêt à tout pour mener
à bien son entreprise. Une aventure comme celle d'autres
petits constructeurs qui s'y sont risqués, souvent à
perte. Loin de ces considérations passionnelles et commerciales,
pour le grand public elle restera à jamais la star de "Retour
vers le futur". Et pour ses quelques collectionneurs, ce modèle
du passé demeure assurément une valeur sûre...
pour le futur. |