L'EUROPE EN MARCHE
Dans l'histoire, riche, du petit fabricant anglais, l'Europa (ou Europe selon les marchés) sera l'un des premiers modèles d'export de la marque et le premier modèle à moteur central arrière conçu par Colin Chapman. Et en emblème de la construction européenne, elle utilise même une mécanique issue de la grande régie des usines Renault !
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Durant les années 60, les berlinettes sportives sont très en vogue chez les petits constructeurs. Le principe de base est simple, à savoir une construction légère réutilisant un maximum de pièces de grande série. Malgré un moteur souvent modeste, on peut alors obtenir un rapport poids/puissance très favorable et des performances élevées pour un coût raisonnable. En France, la plus célèbre des berlinettes est sans aucun doute l'Alpine A110. Le projet est pour Colin Chapman un moyen de donner une nouvelle envergure à son entreprise de construction automobile, en proposant cette fois un modèle exportable "clés en mains", donc sans montage contrairement à la Seven ou l'Elan, et vendu à un prix plus abordable.
EUROPE / EUROPA S1
Présentée à la presse le 20 décembre 1966, la Lotus Europe (type 46) débarque en France à partir de février 1967. A ce sujet il convient de préciser que la voiture a eu deux noms de baptêmes, dont le premier fût Europe, pour le marché national et européen. Cette appellation fut conservée quelques temps pour certains marchés. S’appellent donc Europe les versions S1 et S2 destinées au marché continental européen. Sous l'appellation Europa on trouve également les versions S1, S2, TC et Special. Les S1 n’ont pas été vendues en Grande Bretagne mais elles étaient appelées Europa de même que dans les autres pays de langue britannique (USA, Australie…) où quelques unes ont été importées. Le même cas s’applique aux S2 en version Européenne type 54 vendues dans ces pays. A noter que la S2 n’a été vendue en Grande Bretagne qu’à partir de juin 1969 et que toutes les S2 Federal s’appellent Europa. Enfin, l’appellation Europa a été étendue à tous les pays (y compris francophones) pour les Twin Cam et Special. Destinée uniquement à l'exportation hors angleterre au départ, ce petit coupé biplace à moteur central se veut avant tout économique et donc spartiate. Très basse, l'Europe affiche un Cx de 0,29 seulement, profitable à la vitesse de pointe. L'Europa se caractérise par ses vitres de portes fixes d’une seule partie, l'absence de poignées de porte, un essuie glace unique, une planche de bord d'un seul tenant en alu, des fermetures de capots simplifiées, ou encore des sièges fixes moulés directement dans le plancher et la cloison moteur (le volant et le pédalier sont heureusement réglables, mais avec des outils...). Selon les préceptes de Sir Colin Chapman, la carrosserie ultra légère est en fibre de verre, collée au châssis. Les plus fins observateurs reconnaîtront l'origine des feux arrières en 3 parties, signés Lancia. Pour simplifier la production, la seule option disponible est un deuxième réservoir de 31 litres. Le dessous de la voiture est entièrement caréné et le châssis reprend les solutions techniques maison avec une poutre centrale en tôle, et des supensions à triangles. Les jantes sont en acier et la voiture est freinée par des disques Girling à l'avant et des tambours à l’arrière. Contre toute attente, le moteur 1470 cm3 n'est pas d'origine Ford mais emprunté à la Renault 16 TX ! Toutefois, pour faire meilleure impression il est légèrement revu par les motoristes de Lotus au niveau de son admission (arbre à cames et soupapes modifiés) et son échappement. Avec son carburateur double-corps Solex, il délivre 78 ch à 6000 tr/mn. Malgré cette mécanique pas spécialement brillante, la Lotus Europa peut mettre en avant sa bonne aérodynamique et son rappord poids/puissance favorable, proche de 7 Kg/ch, pour offrir des performances de bon niveau. Le moteur renault tout en alliage léger permet aussi de maintenir le poids au plus bas. En effet, la voiture pèse à peine plus de 600 Kg au total, ce qui aide le 1L5 français à se montrer bien plus convaincant que dans la R16. La boîte de vitesses à 4 rapports est fourni par la régie, le moteur et la boîte étant inversés pour obtenir une transmission aux roues arrières. En octobre 1967, l'’appellation devient Europe S1A suite à quelques modifications. Un déflecteur est ajouté sur les vitres de portes tandis que la partie principale, en plastique, est démontable. Les capots désormais articulés sur charnières reçoivent une fermeture à clé. Intérieurement, le tableau de bord adopte le bois. Un peu plus tard, une nouvelle partie arrière de carrosserie préfigure la Série 2. Une version compétition (type 47) est parallèlement mise au point avec un moteur 1594 cm3 Lotus-Cosworth à double-arbres à cames, boîte 5 vitesses Hewland, des suspensions améliorées et 4 freins à disques. Performante et très agréable à piloter, la Lotus Europa S1 n'est pas exempte de critiques. La vision minimaliste et sans confort de Chapman n'est pas du goût de tous les clients qui trouvent à la voiture des inconvénients évidents pour une utilisation "normale", sur la route. Le manque de ventilation de l’habitacle, causant rapidement buée ou grande chaleur est notamment mis en avant. Les vitres de portes démontables apparues sur la S1A, manquent encore cruellement de praticité, de même que le réglage de la position de conduite, impossible sans outils. Autre point noir, plus délicat, la carrosserie collée au châssis entraîne des coûts de réparation prohibitifs et les assureurs en tiennent compte avec des primes élevées au regard du prix d'achat de la voiture. De même, si l'architecture à moteur central est ce qui se fait de mieux en compétition, l'accessibilité mécanique n'est pas des plus aisées. Au terme d'une production de 644 exemplaires, ce qui constitue pour Chapman un semi échec, l'Europe S1 est remplacée en avril 1968.
EUROPE / EUROPA S2
Suite aux critiques recensées, Lotus revoit sa copie et sort une Série 2 (type 54) beaucoup plus "bourgeoise". Vitres de portes coulissantes, sièges réglables, carrosserie boulonnée et non plus collée au châssis; les principales critiques sont ainsi contournées. La Lotus Europa devient de ce fait plus « haut de gamme ». La nouvelle planche de bord entièrement redessinée avec façade bois et l'ajout d'une console centrale contribuent à cette impression. La liste des options est considérablement allongée : vitres électriques, assistance de freinage, radio avec 2 haut-parleurs dans les portes, enjoliveurs de roues, avertisseurs à dépression, pare-brise teinté. Extérieurement, les premières S2 diffèrent peu des dernières S1. Hormis les entourages de vitres, on reconnaît les S2 aux lettres L.O.T.U.S sur toute la largeur du capot moteur, Europe ou Europa en bas à droite, et sur le côté droit un badge S2. Un peu plus d'un an après la sortie de la S2, l'Europa est enfin proposée aux acheteurs anglais en conduite à droite. Comme la tradition le veut, cette Lotus est proposée montée, ou en kit. Mais à la même période, la Grande-Bretagne modifie ses lois sur les "kit-cars" et annule l'avantage fiscal lié à cette spécificité nationale. Fin 1968, on note l'apparition de la version "Federal". Elle inaugure un certain nombre de modifications pour répondre aux normes US. Pour des raisons d'homologation, de petits clignotants font leur apparition entre les phares principaux tandis que la forme des ailes avant a été modifiée pour rehausser les phares ainsi que des poignées de portes, empruntées à la MGB et un double balais d’essuie glace. Le pare brise devient collé au lieu de chaussé sur un joint, la planche de bord est enrichie d'un témoin de défaut de freinage et de feux de détresse. La plupart de ces modifications sont étendues peu de temps après à toutes les versions européennes, on parle alors du type 65, bien que quelques zones d'ombre demeurent au niveau de l'identification précise de certains exemplaires assemblés pendant la période de transition. Ce sont les aléas d'une production artisanale qui permet quelques "exceptions"... Autre différence majeure apportée par l'Europa Federal par rapport à la version européenne : son moteur de 1565 cm3 développant 83 ch à 5500 tr/mn, dérivé de la Renault 16 TS. La production des Europe/Europa S2 se termine fin 1971 avec un total de 4293 exemplaires.
TYPE 74 & EUROPA SPECIAL
En dépit de qualités sportive évidentes, l'Europa souffre pour son image d'un manque de noblesse mécanique. Le moteur Renault reste en effet son dernier vrai défaut et n'a pas l'aura attendue d'un multiple champion de Formule 1 tel que Lotus. Aussi, en 1971, le propulseur tricolore est remplacé par un bloc Lotus-Ford à double arbre à cames en tête qui développe 115 ch, alimenté par deux carburateurs double-corps Dellorto. La carrosserie a été montée légèrement plus haut sur le châssis qui est aussi légèrement plus long. Cette version appelée « Europa Twin cam » dans les autres pays porte le type 74. Sur la version « Fédéral », Lotus monte 2 carburateurs Zenith-Stromberg pour satisfaire aux normes de pollution. Enfin, en 1973, la dernière évolution baptisée « Europa Special » est lancée avec le moteur « Big-Valve » de 1558 cm3 développant 126 ch à 6000 tr/mn et 118 Nm à 4000 tr/mn, pour un poids de 660 Kg. La boîte à 5 vitesses permet d'atteindre 190 km/h en pointe. Les accélération sont également de très bon niveau pour l'époque, le 0 à 100 km/h est par exemple abattu en 8"5. Le modèle possède une présentation personalisée avec peinture noir / or ou argent et des liserets spécifiques sur toutes les faces de la voiture. Un bagde spécifique avec le numéro d'exemplaire est posé sur la planche de bord pour les 100 exemplaires d'Europa Special JPS fabriqués. Artisanat oblige, son emplacement semble différer selon les sources !
PRODUCTION LOTUS EUROPA S1 / S2
1967 : 443
1968 : 744
1969 : 1679
1970 : 1529
1971 : 1315
1972 : 1782
1973 : 1776
1974 : 622
1975 : 57
Total Production 9887
:: CONCLUSION
Cette petite anglaise, aux lignes un peu ingrates, possède malgré sa mécanique modeste tout le génie de Colin Chapman. Plus sportive avec le moteur "Twin Cam", elle en donne pour son argent et offre un grand plaisir de conduite et de pilotage. SA fiabilité n'est pas irréprochable, mais globalement, c'est une voiture simple, économique, performante et vivante; des valeurs de nouveau recherchées par les amoureux d'automobile. |