TUEUSE DE COBRA !
Lorsqu'on évoque la brève épopée des DeTomaso, c'est en général la Pantera qui vient immédiatement à l'esprit. Pourtant, cette dernière était essentiellement dérivée de la première DeTomaso de série : la Mangusta, elle-même étroitement dérivée du projet de voiture de course P70. Avec son gros V8 Ford et sa robe signée Guigiaro, la DeTomaso Mangusta reste l'une des plus désirables voitures de sport italiennes des années 70...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Alejandro De Tomaso est un homme de passion. Né en Argentine et exilé en Italie, De Tomaso devient un pilote talentueux, oeuvrant même au volant de voitures de course de sa propre conception. Ses premières créations sont motorisées par OSCA, avant de passer aux V8 Ford. DeTomas ambitionen également le marché en pleine explosion des voitures de sport et construit sa première sportive sur un concept cher à lotus : un châssis poutre et une carrosserie en fibre de verre, c'est la Vallelunga. Plus tard, De Tomaso conçoit une nouvelle voiture de course à moteur central et carrosserie roadster réalisée chez Fantuzzi et dessinée par Pete Brock styliste de Carroll Shelby. Ce prototype baptisé 70P (ou Sport 5000) s'apparente d'ailleurs à la Cobra. Un V8 5L en alliage léger est alors à l'étude chez DeTomaso et des plans sont prévus pour une entrée en compétition à Sebring en 1966. Malheureusement, la voiture n'est pas prête à temps et Shelby semble avoir profité de l'opportunité pour développer sa propre voiture de course en s'inspirant des idées de l'italien : la GT40. C'est alors que DeTomaso, furieux et ayant beaucoup investi dans ce projet, a l'idée de reconvertir le prototype en un show car pour le salon de Turin avant une éventuelle mise en production pour concrétiser une ambition née avec la Vallelunga. L'habillage de la base roulante est alors confié au carrossier Ghia. La Mangusta (ou mangouste), du nom du pire ennemi du Cobra, prend alors forme en Italie en guise de revanche...
DESIGN
Lorsque De Tomaso décide de se lancer dans la production de voitures de sport en série, il se tourne vers Ghia (qu'il finira par acquérir après Vignale) pour la construction des carrosseries. Le dessin de la robe qui doit habiller le châssis de compétition est alors confié au talentueux Giorgetto Giugiaro, ex-responsable du style chez Bertone et nouvelle recrue de Ghia. Présentée au salon de Turin de 1966, la Mangusta fait sensation aux côtés d'autres créations du carrossier. Le Style Giugiaro bouleverse le petit monde des voitures de sport. Avec le rachat de Ghia en 1967, De Tomaso se donne de nouveaux moyens pour ses ambitions et la production de la Mangusta peut alors démarrer. La voiture de série reste extrêmement proche du prototype et conserve ses lignes basses (1m10 !), fluides et agressives, qui feront école durant la décennie 70. Par rapport au prototype, le toit pour partie en verre est supprimé, ainsi que les caches en plexiglas disposés sur les projecteurs. Un petit spoiler sera également ajouté à la face avant pour réduire (ou tenter de...) la déportance à haute vitesse. Les panneaux de carrosserie sont en acier, et non en fibrede verre, tandis que le capot et les ouvrants arrière sont en aluminium. Le magazine Car and Driver n'hésite pas à qualifier la Mangusta de “plus belle voiture de série du monde... relevant plus de l'oeuvre d'art que de l'automobile.” L'histoire leur donnera raison puisqu'une mangusta finira au musée d'art contemporain de New York. La partie arrière avec le capot moteur en deux parties s'ouvrant façon "gull wing" (portes papillon) est l'un des éléments marquants de ce design, qui aujourd'hui encore fascine par ses codes stylistiques forts et ses proportions quasiment parfaites. Le cockpit reçoit en série un habillage cuir intégral, de beaux sièges baquets, l'air conditionné et des vitres électriques. L'instrumentation qui s'étale généreusement sur une planche de bord plane offre une belle ambiance course, accompagnée par la clé de contact à gauche du volant à 3 branches métalliques. la Mangusta ne manque pas non plus de raffinement et sa finition est soignée autant que possible. L'espace aux pieds est compté, ils se trouvent coincés et décalés vers la droite à cause du passage de roue, comme dans une vieille Lamborghini. l'habitabilité est d'ailleurs comptée et les plus d'1m80 auront bien du mal à profiter de cette belle diablesse avec une position de conduite satisfaisante. Les acheteurs qui pensaient couvrir le bruit du V8 logé dans leur dos et quasiment dépourvu d'insonorisants pouvaient même opter pour la radio AM/FM en option, et c'est à peu près tout.
MOTEUR
La Mangusta entre en production en 1967 et reçoit ses V8 Ford montés dans la nouvelle usine De Tomaso à Modène. Pour l'Europe, il s'agit du puissant V8 small block 289 c.i. (4,7 litres), qui développe 305 ch à 6100 tr/mn avec son gros carburateur quadruple corps. Il permet à la Mangusta de revendiquer une vitesse de pointe de 260 km/h et une accélération remarquable(ment optimiste) sur 1000 m départ arrêté en 24 secondes. Les culasses spécifiques du modèle européen étaient ornées du logo DeTomaso, forgées et montées en Italie. Leur dessin permettait d'obtenir un taux de compression proche de 10:1. Aux USA, les clients auront moins de chance et devront se contenter du V8 302 ci dégonflé à 230 ch. Elle y est importée par Kjell Qvale à San Francisco. William L. Mitchell, le célèbre chef designer et vice-président de la General Motors s'en achetera une à titre personnel... avant de se rendre compte qu'il ne pouvait pas la conduire à cause de sa grande taille ! Dommage pour lui, car son exemplaire était pourvu sur commande spéciale, d'un V8 Chevrolet 327 ci. Accouplé à une boîte de vitesses manuelle ZF à cinq rapports en position transaxle, le gros V8 Ford de la Mangousta européenne fait bien son office, avec une sonorité particulièrement équivoque. La transmission est dotée d’un différentiel à glissement limité qui optimise la motricité et permet de mieux gérer les dérobades - aisées - du train arrière. Belle et sauvage, la Mangusta est donc une vraie italienne !
CHASSIS
De Tomaso conçoit la Mangusta comme une authentique voiture de course, puisqu'elle reprend comme nous l'avons vu les bases du projet P70 à moteur central arrière. Celui-ci est posé sur un châssis-poutre à extrémité en Y, principe cher à Lotus ou encore Alpine, permettant de réduire le poids du châssis et d'améliorer sa rigidité. Dotée de suspensions indépendantes aux quatre roues, à bras triangulaires, la Mangusta est posée au sol sur 4 jantes Campagnolo en magnesium de 15" de diamètre. Elles font 7" de large à l'avant et 8" à l'arrière, chaussées de pneus Dunlop SP. Pesant environ 1300 kg, la Mangusta se révèle diablement rapide et nerveuse, aidée par le couple du V8 et une tenue de route très sportive. Malheureusement, l'acier est encore utilisé en masse (c'est le cas de le dire) et l'italienne souffre de kilos en trop pour vraiment venir contester des rivales visées par DeTomaso que sont les Ferrari, Lamborghini et Maserati.
ROULER EN DETOMASO MANGUSTA
Après avoir racheté Vignale puis Ghia, DeTomaso Automobili sera finalement intégré au groupe Ford en 1968 avec tous ses actifs. En 1970, la Pantera est amenée à remplacer la Mangusta avec des ambitions encores plus grandes. Construite jusqu’en 1970, la Mangusta connaîtra un certain succès commercial, sa production atteignant 402 exemplaires (numéros de châssis 8MA 500 à 1300), dont plus de la moitié seront vendus aux Etats-Unis. On note également un séduisant prototype de spider, toujours dû à Giugiaro, présenté un an après la berline mais malheureusement laissé sans suite. Sur le parc total, on estime qu'à peine la moitié des DeTomaso Mangusta serait encore en état de rouler, ce qui explique probablement que sa cote soit en hausse sensible depuis plusieurs années déjà. Les derniers beaux exemplaires ont changés de main moyennant près de 80.000 euros, ce qui reste toutefois très raisonnable pour ce type d'objet exotique et doté d'un pedigrée et d'une histoire aussi peu ordinaire.
LA MANGUSTA AU CINEMA
Dans le volume 2 du film Kill Bill de Quentin Tarantino, l'acteur David Caradine, alias Bill, arrive au volant d'une DeTomaso Mangusta pour les besoins d'une scène. Une brève apparition cinématographique qui ne manquera toutefois pas de relancer l'intérêt pour cette sportive oubliée du grand public. Tarantino, pas spécialement féru d'automobile avait imaginé au départ que le personnage devait rouler en Porsche mais la production estima qu'une Porsche ferait trop convenu, trop "banal". Caradine, grand passionné d'automobile (qui ne se souvient pas de Cannonball ?) insista également pour avoir autre chose, n'étant pas spécialement fan de la marque. Miramax demanda alors à Cadillac l'un de ses prototypes Cien mais la marque refusa, jugeant l'acteur trop "vieux" pour l'associer à l'image de son modèle ! C'est alors que la production proposa cette sublime DeTomaso Mangusta 1969 (n° de châssis 8MA784).
:: CONCLUSION
Lorsqu'on a goûté au charme unique des De Tomaso, il est bien difficile de ne pas succomber à la tentation de cette Mangusta ! En effet, malgré sa mécanique de grande série d'une insolente simplicité technique, la DeTomaso offre une ligne à couper le souffle, des performances remarquables, une tenue de route insolente et globalement, un pouvoir émotionnel très fort ! A découvrir avec intérêt, à acheter avec prudence, et à consommer sans modération...
L'Automobile Sportive remercie la société RM Auctions pour la mise à disposition de certaines photos. www.rmauctions.com |