DERNIER CHEF D'OEUVRE
Enzo Ferrari souhaitait plus que
tout construire les meilleures voitures de sport, ce qu'il fît
avec succès durant quatre décennies. Pour célèbrer
le quarantième anniversaire de sa marque, il mit donc en
oeuvre la réalisation d'une automobile sans concession qui
devait marquer l'évènement de la plus belle façon
et s'imposer comme la référence absolue parmis les
voitures de sport. Suite à un sale coup du destin, la F40
deviendra aussi le testament roulant du Commendatore
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Nous sommes en 1987, un an après la
Porsche 959,
véritable laboratoire technologique roulant, la Ferrari F40
vient bousculer la hiérarchie sur le marché encore
confidentiel des supercars. Célèbrant les 40 ans de
passion de la marque créée par Enzo Ferrari, la F40
est l'aboutissement le plus ultime jamais vu du concept de voiture
de sport homologuée pour la route. Légère,
puissante, elle a été conçue comme une véritable
automobile de compétition. Reine de l'asphalte, elle affiche
naturellement comme seule ambition d'être la meilleure voiture
de sport du monde.
PRESENTATION
S'il est une marque dont le destin commercial est inséparable
de la compétition et du sport automobile, c'est bien Ferrari.
Le fait qu'Enzo Ferrari lui-même ait commencé sa carrière
comme pilote automobile, n'y est pas étranger. Son ambition
sera d'ailleurs, en tant que chef d'entreprise et passionné
d'automobile, de construire les meilleures automobiles sportives.
En 1986, le "Commendatore", comme on le surnomme, avait
mal digéré l'arrêt brutal du groupe B des rallyes
qui avait brisé les espoirs fondés avec le développement
de la Ferrari 288 GTO
Evoluzione. Mais ce n'était qu'un mauvais coup du destin
qui a sans doute aussi exacerbé un peu plus la passion et
l'envie de créer la F40, sa F40.
Héritière
directe de la 288, la Ferrari F40 utilise ainsi des techniques et
technologies d'avant-garde comme l'emploi massif de matériaux
composites dont la fibre de carbone inaugurée par Ferrari
en F1 suite aux travaux de l'ingénieur anglais Harvey Postlethwaite,
puis sur la 288 GTO. On admire en particulier la complexité
du tablier qui sépare l'habitacle du moteur. Doué
des trois fonctions de rigidification, de pare-feu et d'isolation
phonique, il est en effet constitué de deux couches de Kevlar/fibre
de verre prenant en sandwich un matériau en nid d'abeille
d'aluminium. Le toit, la plage arrière et le capot moteur
qui ne pèse que 3,7 Kg sont en Kevlar/Nomex. La ligne de
la F40 est signée du bureau Pininfarina, comme à l'habitude
chez Ferrari, mais c'est Piero Camardella qui en est l'auteur. Abrupte
et massive, la carrosserie de la F40 répond aux impératifs
aérodynamiques et mécaniques prédominants le
cahier des charges. Son aileron monumental en est même l'élément
stylistique le plus impressionnant et fît sensation à
l'époque !
A BORD DE LA F40 !
Sous sa robe high tech dont les éléments
finements peints et assemblés à la main laissent apercevoir
la texture de la fibre qui la compose, la Ferrari F40 conserve un
classique châssis tubulaire en acier. Cher à la marque
ce type de structure possède une rigidité et une efficacité
déjà amplement prouvées en course. Forte de
sa conception ultra sportive, la structure de la F40 est globalement
plus légère de 20% qu'une structure conventionnelle
pour un gain en rigidité 3 fois supérieur. Les panneaux
latéraux et le plancher de l'habitacle laissent apparaître
le matériau brut avec lequel ils sont réalisés
: Le carbone kevlar.
Vidé des équipements de confort,
excepté la climatisation - qui d'avère d'ailleurs
bien utile ! -, l'intérieur de la F40 ressemble bien à
celui d'une voiture de course. Les sièges baquets laisse
passer un harnais de sécurité à 4 points et
le tableau de bord recouvert de tissu noir mat évite clairement
le superflu. Les vitres latérales sont en lexan, un composé
plastique très léger proche du plexiglas, et ne s'ouvrent
que par le biais de glaces coulissantes, comme sur les voitures
de course. Toutefois, les clients les plus urbains pouvaient à
l'époque opter pour de plus classiques vitres en verre...
malheureusement fixes car les intérieus de portes sont complètement
vidés et laissent admirer la texture caractéristique
des fibres de verre. Abandonnée par les modèles de
série, la roue de secours laisse place à une bombe
anticrevaison sous le léger capot avant.
MOTEUR : FERRARI SE MET AU TURBO !
Le capot arrière de la Ferrari F40 inaugure une vitre
en plexiglas pour mieux laisser admirer la merveille qu'il abrîte.
C'est en effet une pièce de choix qui s'y loge puisque l'on
retrouve ici le formidable V8 turbocompressé de la 288 GTO.
Mais Enzo Ferrari a encore motivé ses ingénieurs pour
en extraire une cavalerie impressionnante de 478 ch à 7000
tr/mn et 58,8 Mkg de couple dès 4000 tr/mn !
Pour cela, la
cylindrée a été portée à 3 litres
et avec des cotes d'alésage/course respectives de 82 et 69,5
mm, le moteur possède un rapport plus carré : 1,17:1.
Le taux de compression est réduit par l'appui de 2 turbines
IHI soufflant à 1,1 bar de l'air refroidi par l'eau des 2
gros échangeurs Behr. Leur entrée en action est d'ailleurs
plus douce et progressive que sur la GTO mais cela reste... viril.
Ouvert à 90° les deux bancs de cylindres du petit V8
italien reçoivent une culasse rouge - c'est la tradition
depuis la célèbre Testa Rossa - qui accueille quatre
soupapes par cylindre. Ces soupapes sont creuses et refroidies au
sodium, technique employée depuis un moment en compétition. Comme en compétition, l'intérieur des pistons
est refroidi par jet d'huile et le graissage s'effectue par carter
sec. 2 radiateurs d'huile prennent place derrière les roues
arrière, dans le porte à faux. Le carter, le bloc
moteur et les culasses sont en alliage d'aluminium-Silicium (nommé
Silumin) et les parois internes des chemises en aluminium sont renforcées
par un alliage Nikel-Silicium (Nikasil).
Tout cela procure à
la Ferrari F40 un rapport poids/puissance à tomber à
la renverse : 2,3 Kg / cheval !!! Non, non, il n'y a pas d'erreur
de frappe... Pour atteindre cette valeur digne d'un sport-proto
elle affiche, en plus d'une puissance hors norme, un poids de marathonien
en se limitant à 1100 Kg, c'est à dire à peine
plus qu'une citadine actuelle. Vous imaginez une citadine de 478
ch ??? La F40 réalise cet impossible challenge pour offrir
à son pilote un maximum de sensations, aussi proches que
possible de la compétition.
Aussi souple la F40 puisse-t-elle
se montrer en conduite coulée, elle est aussi et surtout
capable d'accélérations qui vous coupent la respiration.
En un mouvement du pied droit, votre tête devient très
vite lourde, votre nuque semble vouloir se briser et votre dos s'écrase
copieusement dans le baquet. Demandez-le leur et les 478 canassons
vous poussent avec rage dans le dos ! Deux chiffres pour illustrer
cela : un 0 à 200 Km/h en 12" et le 1000 m DA en 21"
!!! A tester sur circuit bien sûr...
SUR LA ROUTE
Qui oserait prétendre pouvoir emmener une telle machine
à sa limite ? Bien peu de clients et peu de conducteurs au
monde, assurément. Mickael Schumacher, fraîchement
titré de son premier championnat du monde victorieux eu le
plaisir d'en prendre le volant lors d'un essai qui opposait la Ferrari
F40 à ses rivales de l'époque et quelques autres apparues
après. Poussée dans ses retranchements sur circuit,
la F40 était clairement sa préférée,
celle avec laquelle il prit le plus de plaisir et ressentit les
sensations d'une véritable voiture de course. Les masses
bien réparties, le centre de gravité extrêmement
bas, les porte-à-faux réduits, la direction ultra
précise et directe, l'assiette stable et un poids plume,
tout cela permet à la F40 d'offrir un comportement agile
et rigoureux. Sous-vireuse en entrée de virage, elle se place
ensuite à l'accélérateur. Les réglages
possibles permettent à chaque client de personnaliser le
comportement de son auto. De la haute couture, du sur mesure, voilà
ce qu'offre la F40 !
Les trajectoires impeccables, la Ferrari F40
en est friande, se plaçant au millimètre, selon les
désirs de son pilote. Ce dernier, bien calé dans son
authentique siège baquet en Kevlar peut savourer une position
de conduite parfaite et une tenue de route époustouflante.
La suspension héritée de la 288 Evoluzione est constituée
de doubles bras triangulés à l'avant et l'arrière,
articulés sur le châssis à leur base et au porte-moyeu
à leur sommet. Les combinés ressorts/amortisseurs
agissent entre les porte moyeu et le châssis, sans liaison
par levier. La F40 est dotée de deux barres antiroulis. Le
correcteur d'assiette, à 3 positions, est commandé
de l'habitacle par un bouton. Il permet de réhausser la garde
au sol de 25 mm pour les manoeuvres. La tenue de route est celle
d'une voiture de course. Grâce à son fond plat, son
gros aileron et son plancher à effet de sol, la F40 reste
posée sur des rails jusqu'à sa vitesse maxi de 324
Km/h chrono, qu'elle atteint en quelques secondes seulement. Spectaculaire
!
Grâce à une adhérence exceptionnelle la fureur
du V8 turbocompressé passe au sol sans trop poser problème...
sur le sec et sur bons revêtements. Sur les mauvaises routes,
on se gardera bien de défier des autos plus modestes. La
F40 saute et les pneus suivent la moindre ornière, il faut
se battre avec l'auto pour rouler vite et bien. Sur la pluie, il
faut en plus rouler sur des oeufs pour éviter le tête
à queue sur un coup d'accélérateur trop généreux.
Le freinage est à double circuit hydraulique séparés
et les flexibles sont du type F1 pour ne pas se dilater sous l'effet
de la chaleur. Les disques ventilés de 330 mm sont en acier
pour la partie de friction avec les étriers à quatre
pistons et leur centre est en aluminium afin de réduire les
masses non suspendues.
Forte de cette débauche
de savoir faire, acquise en sport automobile, la F40 s'impose comme
la plus efficace des voitures de sport. Vous avez dit pure et dure
? Oui, la F40 se résume bien à cela. En contrepartie
de ce potentiel sportif ahurissant, ne lui demandez pas de voyages
au long cours. Le niveau sonore et l'inconfort général
de la Ferrari F40 auront tôt fait de casser une vitesse de
croisière moyenne qui aurait pu être celle du TGV...
Sans doute la voiture de sport la plus extrême de tous les
temps et le dernier chef d'oeuvre d'un maître et de sa passion.
LA FERRARI F40 EN COMPETITION
Née pour le circuit et la course, la F40 permit à de nombreux
client de courrir dans plusieurs compétitions internationales sans
trop modifier la voiture de base. La F40 LM fût développée par Michelotto pour le championnat GTC et développait jusqu'à 780 ch, mais faute d'engagement, les 2 modèles de Ferrari France seront reconvertis pour le championnat IMSA avec 700 ch pour un poids de 1040 Kg. Alesi, Jabouille et Laffite y prouveront en 1989 et 1990 le potentiel élevé de la F40 en compétition. 19 exemplaires de F40 LM furent ainsi produits entre 1989 et 1994 en complément du modèle de série et l'on peut noter parmis les clients livrés par Pozzi le dessinateur Albert Uderzo. Entre 1994 et 1996, une seconde vie fût donnée en course, via le championnat BPR (ex FIA-GT), aux F40 LM et GTE (des LM remaniées avec une cylindrée majorée à 3.5L ou 3.6L selon les circuits). la puissance est limitée à 660 ch avec les brides. La F40 décrochera plusieurs fois la 1ère place après de rudes batailles avec les redoutables McLaren F1 GTR qui s'imposeront toutefois au terme des deux saisons. Parallèlement, le team RFR Sport engagera 2 fois sa F40 LM bleue en GT1 aux 24 heures du Mans, en 1995 puis 1996 avec une jolie 12 ème place au général. Quatre F40 GTE se battront également au Mans de 94 à 96 et une F40 engagée par le Ferrari Club Italia décrochera la 9ème place en 96. Enfin, notons 7 exemplaires de F40 "GT" développant 560 ch furent utilisés dans les championnats GT italiens en 93-94 et GT japonais en 94 et 95. En complément on peut aussi reconnaître 9 F40 "Competizione" diversement préparées pour des clients en course.
ACHETER UNE FERRARI F40
Un an après le lancement officiel de sa F40, Enzo Ferrari
quitte à tout jamais son aventure humaine et industrielle.
Il s'en suit un vent de folie comme jamais le monde de l'automobile
n'en avait alors connu. Toutes les Ferrari s'arrachent à
prix d'or par les collectionneurs mais aussi par les spéculateurs
qui voient en cette fin d'année 1988 l'évènement
qui chamboule le monde des supercars. Parmis les autos les plus
convoitées, la F40 est en bonne place, notament parce qu'elle
est le dernier chef d'oeuvre signé de la main du maître.
Certaines F40 vont même se revendre jusqu'à cinq fois
le prix payé, avant même d'avoir été
livrées !
Face au succès de la demande, et notament
sur le marché américain, Ferrari s'accorde une augmentation
de la production des F40, par le biais de la Stabilimenti Scaglietti
rachetée par Ferrari en 1962, qui passe alors la production
400 exemplaires prévus à 1000 voitures, dont 700 pour
l'Europe. Au final, 1311 exemplaires de F40 auront été
vendus ainsi que quelques exemplaires préparés pour la course, les F40 LM et GTE (voir encadré ci-dessous).
Aujourd'hui, un bel exemplaire se trouve entre 240.000 et 280.000 $, soit 200.000 euros minimum. Bien entendu, l'entretien d'un tel bijou n'est pas à la portée de toutes les bourses car les pièces en carbone-kevlar notamment sont extrêmement coûteuses...
:: CONCLUSION
Superbe, puissante, magique, la F40 est résolument une automobile
née pour le circuit et la course. Bien plus à l'aise sur le tarmac
lissé des pistes elle offrira moins de plaisir à son pilote lors d'une
utilisation urbaine ou même routière tant elle semble inadaptée à
cet univers... à moins que ce ne soit l'inverse ? Peu importe. Son
royaume est la piste et elle y règne en maître. Capable de surclasser
les illustres Lamborghini Countach 5000S, Porsche 959 et Cizeta V16T,
la F40 est bien la meilleure supercar de son époque et ses gènes issus
de la compétition et des circuit trouvent ici tout leur sens et leur
bien fondé par une brillante et incontestable démonstration de supériorité.
CE QU'ILS EN ONT PENSE :
"En somme la F40 et la 959 se situent aux antipodes l'une
de l'autre. La première est un pur sang sans concession aux
tâches utilitaires et au confort, la seconde est le parangon
du grand tourisme."
SPORT AUTO - Septembre 1989 - MATCH SUPERCARS.
"La F40 représente l'achèvement
suprême d'une conception classique. En dehors de l'allumage
et de l'injection du moteur gérés électroniquement,
pas la moindre trace de puce dans cette Ferrari."
ACTION AUTOMOBILE - 1989 - SPECIAL 400 ESSAIS. |