LE MIRACLE
DE WEISSACH
Il était une fois,
dans une galaxie très lointaine... l'histoire de la Porsche
959. Un nom, un simple numéro qui résonne pour l'éternité
dans les oreilles des passionés d'automobiles de légende.
Imaginez, une 911 dont ont aurait poussé au paroxisme les
qualités intrinsèques. Aérodynamique, électronique,
moteur, châssis, performances. Une auto née pour la
compétition, le sport, et pourtant homologuée pour
la route. Tout semble suréaliste dans la 959 mais pourtant
quelques rares exemplaires de route, bien réels, ont fait
le bonheur de chanceux passionnés...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Au début des années 80
et le championnat du monde des rallyes occupe les gros titres du
sport automobile grâce au fameux Groupe B créé en 1982 pour remplacer les anciennes catégories Groupe 4 et Groupe 5. Les principaux constructeurs automobiles s'affrontent avec des bolides
aux puissances extraordinaires. Des monstres turbocompressés
de 400 à 500 chevaux, qui deviendront de véritables légendes
du sport automobiles. Parmi elles, citons la Peugeot 205 Turbo 16, les Audi Quattro Sport et Ford RS200 ou encore la Lancia
Delta S4. La règlementation du groupe B impose que la voiture engagée dérive d'un modèle
de série construit à au moins 200 exemplaires. Porsche, qui trouve
alors cette obligation coûteuse et contraignante, décide
donc de construire une voiture de course très proche d'un
modèle de série qui pourrait également être
commercialisé ultérieurement en garantissant sa rentabilité. Ce travail fut confié
au département compétition, situé à
Weissach.
GENESE DE LA 959
L'origine du projet remonte à 1981, lorsque Helmuth Bott, ingénieur en chef, approche Peter Schutz nouveau directeur du management pour lui proposer de nouvelles évolutions pour la 911 qui ne fait plus vraiment partie des projets de Porsche, concentré sur sa nouvelle gamme à moteurs avant. C'est alors que l'idée de la transmission intégrale finit par convaincre les dirigeants. Un prototype de 911 cabriolet à 4 roues motrices est exposé au Salon de Francfort en Septembre 1981. Le 21 février 1983,
les représentants des différents secteurs de l'étude et de l'expérimentation
de Weissach (Helmuth Bott, Peter Falk, Hanz Mezger, Paul Hensler
et Bantle lui-même) décident de construire une nouvelle voiture de rallye dérivant étroitement
de la 911 Carrera. Pour des raisons commerciales, la ligne d'ensemble de la carrosserie doit rappeler
celle de la plus célèbre sportive de Zuffenhausen. Pour la coque,
on garde donc la structure de base classique en acier de la 911, presque
sans changements, en y ajoutant une cellule centrale de sécurité
renforcée par de robustes longerons longitudinaux. Alors que la tendance est au moteur central, Porsche conserve le flat 6 en porte à faux arrière, ce qui limite les modifications de structure. Les composants
de la carrosserie sont toutefois modifiés et bénéficient de l'expérience
Porsche pour les matériaux composites; on utilise ainsi un toit et des ailes en résine Epoxy armée de fibre de verre et de Kevlar. Les portes et le capot sont en aluminium. La silhouette traditionnelle de la 911 est remodelée, étirée et "lissée" par les contraintes aérodynamiques et
dynamiques. L'avant est allongé, abaissé, les phares carénés,
tandis que l'arrière est allongé également. Ainsi, la partie arrière reçoit un aileron
imposant pour ajouter de l'appui ainsi qu'un capot moteur plat.
L'avant est plus profilé également avec des ailes avant
applaties (sans aller jusqu'au "Flat-noze" des Porsche 935) et un bouclier
très enveloppant. Pour accroître l'empreinte au sol et gagner en stabilité,
les voies sont encore plus larges que sur les 930. Au cours du printemps et de l'été 1983, la nouvelle Porsche passe rapidement par les différentes étapes de construction
et, moins de 8 mois à peine après l'approbation du projet, la voiture
est prête juste à temps pour sa première sortie officielle.
Le cadre choisi pour l'entrée en scène de cette nouvelle Porsche
est celui du salon IAA
de Francfort en 1983. La Porsche 959 n'est alors qu'un prototype, un concept-car baptisé "Gruppe
B".
LA PORSCHE 959 DE ROUTE
Porsche présente sa 959 de route définitive au salon de Francfort en septembre de la même année. Après la construction des deux premiers exemplaires,
la carrosserie fut modifiée suivant les indications ressorties de
la première série d'essais; ainsi a-t-on ajouté des prises d'air
à la hauteur des passages de roue avant et arrière et pratiqué une
large ouverture dans les ailes arrière, derrière la portière, pour donner de l'air frais aux intercoolers de turbos et mieux refroidir le 6 cylindres. L'intérieur est en revanche quasiment
le même que celui de la Porsche 911 Carrera, ce qui permet d'en conserver le confort et l'ergonomie si appréciables
au quotidien. D'autant plus que la 959 est dotée en série d'un équipement haut de gamme, comprenant la climatisation électronique, l'ABS, et même des
capteurs de pression de pneus.
Enfin, le soubassement
de la voiture a été caréné. La garde au sol est réglable sur la 959 "Confort" (nom donné aux versions de route ou "street legal" les mieux équipées). Tout cela donne un Cx de 0.31, bien meilleur que celui d'une 911 turbo 3.3 (0.39). Une finition "Sport" dépouillée des équipements électriques et de la suspension réglable est toutefois proposée et permet d'alléger la voiture de presque 100 kg. Initialement, seules 3 couleurs sont proposées : rouge, blanc et gris métallisé. La Porsche 959 avait enfin atteint sa pleine maturité. La première 959 de série (désignée F3) fut sacrifiée
dans l'indispensable crash-test d'homologation qui permit de constater que les passagers étaient effectivement très bien protégés en
cas d'accident, bien davantage que dans n'importe quelle autre voiture.
Les premières 959
ne sont livrées qu'à partir de 1987, vendues essentiellement à des clients aisés et fidèles à la marque. Dès le début, Porsche avait décidé d'un tarif très élevé pour les
200 exemplaires de route de la 959 Groupe B, destinés à obtenir l'homologation tout en étant rentables. De 300.000 marks
dont on parlait à l'IAA en 1983, le prix va monter
vertigineusement pour atteindre, en 1987, les 420.000 DM au début des livraisons. Conçue comme une véritable vitrine de la technologie Porsche,
la 959 est une GT d'avant-garde capable
de s'imposer parmi les ténors de l'époque, Ferrari Testarossa et Lamborghini Countach, autant par ses performances que par son confort d'utilisation.
MOTEUR
Le principal défaut du moteur de la 911 turbo (type 930) est
que le gros turbocompresseur implique un temps de réponse, appellé "turbo-lag", important et pénalisant à
la conduite. Pour se conformer aux normes du Groupe B, Porsche doit
toutefois équiper la 959 d'un moteur suralimenté. Un petit turbo
règlerait le problème, mais aux dépends de la puissance à haut régime.
Porsche va alors, une fois de plus, faire preuve d'innovation. En reprenant la base moteur des 962 C, avec une cylindrée spécifique de 2849 cm3 (code 959/50) obtenue par réduction de la course, on
monte deux turbos de tailles différentes, un petit pour le couple
à bas régime (dès 1200 tr/min) et un gros pour la puissance à haut
régime (au-dessus de 4000 tr/min). Ainsi, les deux turbocompresseurs KKK refroidis
par eau soufflent l'air par deux intercoolers air/air à une
pression de suralimentation de 1,9 bars. Ils sont positionnés l'un
derrière l'autre et s'activent avec l'augmentation de la charge.
Grâce à ce système de turbocompression à double étage
le temps de réponse des régimes les plus bas a pu être supprimé.
Pour améliorer la respiration dans les tours, Porsche monte des culasses
à 4 soupapes par cylindre (avec rattrapage hydraulique du jeu) animées
par 2 arbres à cames en tête. Cette technique implique
un refroidissement liquide de celles-ci, solution éprouvée par Porsche en compétition dès 1981 avec la 936/81, puis en 1982 avec la 956. Le moteur conserve son habituel
refroidissement par air pour le bloc. Equipé également
d'une injection électronique à contrôle automatique de l'allumage
Bosch Motronic, les 6 cylindres traités au Nikasil du moteur
Boxer Porsche en aluminium accueillent des bielles en
titane dont le système de lubrification est refroidi par
deux radiateurs d'huile. Le rapport volumétrique de 8,3 à 1 pour
une puissance finale d'environ 450 chevaux à 6500 tr/mn et un couple
de 51 mkg. Avec 158 ch par litre, cette perle de technologie possède la plus haute puissance spécifique jamais encore
atteinte sur une voiture de série. Cette puissance prodigieuse est
transmise aux roues depuis une boîte de vitesses à 6 rapports et une transmission intégrale à répartition
variable. Un bouton sur la console permettra de faire
varier la répartition de la puissance sur les essieux selon 4 modes:
sec, humide, neige/glace et traction. Selon les conditions de conduite, la puissance passe ainsi de 50 à 80% par les roues arrières. Résultat, une accélération
éblouissante de 0 à 100 km/h en 3"9 malgré un poids de 1450 kg. La vitesse maximale de cette "911 groupe B" s'établit à 310 Km/h, à la faveur de son aérodynamique soignée. Pourtant, certains prétendent qu'elle manque de saveur
et qu'une Ferrari F40 procure beaucoup plus de plaisir...
LA PORSCHE 959 EN COMPETITION
LA 959 AU PARIS-DAKAR
Après sa présentation officielle, l'usine de Weissach continuait
à travailler dur au développement de la 959 en vue de sa production
et l'intérêt autour de cette voiture s'accrut démesurément. Jacky
Ickx, pilote Porsche officiel depuis plusieurs saisons, maître incontesté
des 24 Heures du Mans et vainqueur du Paris-Dakar 1983 sur une Mercedes-Benz,
comprit vite les perspectives que pouvaient offrir une Porsche à
traction intégraledans ce très exigeant marathon du désert.
En janvier 1984, l'engagement de Porsche dans la plus grande compétition de Rallye Raid, le Paris Dakar, se traduit par la mise au point de 3 voitures à
quatres roues motrices, baptisées 911 SC 4x4 (953) ou "911 Safari". Si la voiture conserve la ligne classique de la 911, elle permet de tester la transmission intégrale dans des conditions particulièrement rudes. En janvier 1985, la Porsche 959
fait enfin son entrée dans les rallyes internationaux, également dans le très médiatique Paris-Dakar. Mais la course se solde par l'abandon des 3 voitures.
Après
la 911 SC 4x4 (953) en 1984, le nom "959"
fait son entrée dans les rallyes internationaux en 1985. Cette version
était légèrement "improvisée", car à l'arrière, le moteur Carrera
de la série 911 remplissait encore ses fonctions. A quelques détails
près, la transmission intégrale a parfaitement fonctionné et a effectué
un travail exceptionnel dans les conditions difficiles du désert.
Ce premier test en compétition de la 959 devait surtout permettre
à un modèle plus évolué de prendre le départ en 1986 dans le championnat du monde des rallyes, dans le but
de s'imposer rapidement.
L'année suivante, la 959 court désormais avec la puissance
du moteur final, un six cylindres quatre soupapes refroidi par eau
avec un système de turbocompression à deux turbocompresseurs et
la transmission intégrale de l'année précédente. malgré l'abandon des 3 voitures en 1985, la domination des 959 au Dakar 1986 récompense la ténacité de Porsche, avec un
doublé des équipes Metge / Lemoyne et Ickx / Brasseur, la 3ème voiture de Kussmaul / Unger terminant 6ème. Malheureusement, avec l'arrêt du groupe B suite à l'accident mortel d'Henri Toivonen et de son copilote, Sergio Cresto, lors de la 30ème édition du Tour de Corse, le 2 mai 1986, la 959 se retrouve orpheline de compétition. Tous les espoirs de Porsche sont réduits à néant, ou presque.
LA 959 DEVIENT 961...
Grâce à une adaptation du règlement de l'ACO et de la FIA, Porsche va pouvoir "recycler" la 959 pour les courses d'endurance sur piste, et notamment les 24H du Mans. Lors
des essais préliminaires du Mans" 1986, la 959 prend le départ sous la désignation
961. Cette référence interne se traduit par une évolution aérodynamique importante (aileron, ailes arrière, spoiler avant) ainsi qu'une puissance moteur de 680
ch pour un poids d'environ 1150 Kg. La vitesse maximale dans la ligne droite avoisine les 400 Km/h. Les passages de roues arrière surélevés constituaient
la caractéristique esthétique marquante de la 961 LM. Débutant dans
la catégorie IMSA-GTX, la première voiture de course à transmission
intégrale à franchir la ligne d'arrivée du Mans termine au septième
rang du classement général. L'année suivante, la 961 du team Rothmans est malheureusement contrainte à l'abandon suite à un incendie au virage... Porsche.
PRODUCTION PORSCHE 959
Lorsque la chaîne de production
de la 959 fut arrêtée au printemps 1988, le nombre de voitures construites
s’élevait à 283. Sur ce total, 12 étaient
des véhicules d’essais, 7 des voitures de présérie et 10 des
voitures de course (dont 3 châssis en version Dakar et un châssis type 961). Parmi les 959 de route, 246 étaient des versions Confort et les 37 restantes des versions Sport.
:: CONCLUSION
L'une des toutes premières, sinon la première, véritable GT d'exception,
capable de réunir en une seule voiture un caractère sportif et bourgeois.
Porteuses de haute technologie, la 959 démontre ce qui était
alors le summum des possibilités techniques offertes notamment par
l'électronique. La 959 pouvait s'imposer tant à un usage routier quotidien,
qu'à l'usage sportif le plus exigeant. Elle a repoussé les limites,
de la compétition comme du grand tourisme pour gagner le marché des
supercars. Sans aucun doute, le "miracle de Weissach"
restera dans l'histoire. |