© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (24/02/2013)
LA
MACHINE A REVES
De l'avis de tous,
la Peugeot 205 Turbo 16 reste la meilleure voiture du légendaire groupe
B. Mais derrière l'hyper-médiatisation du modèle de compétition,
on aurait tendance à oublier que Peugeot fabriqua 200 exemplaires
"clients" de cette bête de course, pour obtenir son homologation.
Communément appelés "série 200", ces engins atypiques
font aujourd'hui le bonheur de quelques rares passionnés...
Texte : Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Le 23 février 1983, Jacques
Calvet, Jacques Boillot et Jean Todt lèvent le voile sur le "sacré
numéro", la 205, ainsi que sa déclinaison sportive, la 205
Turbo 16. Dopé par les bons résultat de l'équipe avec la Talbot Sunbeam Lotus,
Peugeot Talbot Sport entreprend le développement d'une voiture totalement
nouvelle, avec un moteur central arrière et quatre roues motrices, entièrement
conçue pour le Groupe B des Rallyes, discipline très médiatique
car mettant à la lutte des monstres de plus de 400 chevaux. Dans cette
optique de médiatisation, la 205 T16 a également pour mission de
dynamiser l'image et les ventes de la gamme 205 dans son ensemble, dont la survie
d'Automobiles Peugeot dépend totalement. En clair, il n'y a pas d'autre
alternative que la victoire ! Et des victoires, la 205 Turbo 16 en aura : sur
ses 26 participations en championnat du monde des rallyes, la Peugeot 205 Turbo
16 remporta 16 victoires, soit 2 titres de champion du monde des constructeurs
et 2 titres pilotes pour Timo Salonen et Juha Kankkunen en 1985 et 1986. Mais
en 1986, le tragique accident de Toivonen au Tour de Corse avec sa Lancia Delta
S4, sonne le glas des monstrueuses Groupe B et donne un coup d'arrêt au programme
sportif de la Peugeot 205 Turbo 16, alors quasiment invincible. La FISA change
la réglementation et interdit ces bêtes de course trop puissantes. Peugeot se
tourne alors vers une discipline de reconversion, également très
médiatique, les rallyes-raids dont le fameux "Paris-Dakar". Sur
les pistes cassantes et à travers les déserts de sable, Ari Vatanen
hisse une nouvelle fois la lionne sur la plus haute marche du podium, en 1987.
Ce sera sa dernière consécration mondiale. Un an plus tard, la 405
T16 prend sa succession mais sa carrosserie différente n'est qu'une illusion
: c'est bien la 205 Turbo qui se cachait dessous ! Elle complètera le palmarés
sportif de Peugeot Sport par une victoire à Pikes Peak en 1988, un an après
la défaite de la 205 derrière les Audi quattro S1.
DESIGN
Produite dans l'usine Talbot de Poissy, la 205 Turbo 16 est le fruit d'une équipe
d'ingénieurs menée par André de Cortanze, responsable du
châssis et Jean-Pierre Boudy pour le moteur. Sous une robe qui doit rester
proche du modèle standard de la 205, l'équipe de Peugeot-Talbot-Sport
réalise une authentique voiture de course, avec notamment, un châssis
spécifique abritant un moteur turbocompressé en position centrale
arrière. Le règlement du groupe B autorise à produire 10%
de la quantité de véhicules homologués pour les besoins de
la compétition. Ces modèles seront assemblés à la
main chez Peugeot-Talbot à Boulogne, à partir de caisses fabriquées
par le carrossier Heuliez. Parlons de cette carrosserie justement. La 205 Turbo
16 a tout de la voiture atypique malgré son apparente similitude avec la
205 de base. En réalité, seules les portes, le pare-brise et les
phares sont identiques ! Visuellement, la 205 T16 étonne et séduit
le regard, à la manière d'une R5 Turbo, autre engin de passion,
avec ses voies larges et ses grandes prises d'air. La surprise extérieure
commence par son immense hayon, qui englobe les ailes et les vitres arrière
latérales. Autre originalité de ce hayon, le moteur de l'essuie-glace
est fixé... en haut de la vitre. De 50 Kg sur la version de série, le poids
du hayon perd 10 Kilos avec le kit PTS. Mais ce n'est rien comparé à l'Evolution
2, sur laquelle son poids n'est que de 9 Kg, grâce à l'emploi de
matériaux composites ! La traditionnelle plaque en plastique entre les
feux est remplacée par une grille à 3 bandes, dénuée
de toute insertion. Plus de logo, plus de monogrammes, plus de serrure, le nom
de la bête est indiqué en gros (en très gros même !)
par un adhésif rouge vif sur la partie supérieure. Pas discret,
mais efficace !
A BORD DE LA 205 T16
A l'intérieur, il est encore plus difficile de sentir la
parenté avec la 205 "normale". La planche de bord, spécifique
dans toute sa partie supérieure, est réalisée comme celle
d'un sport prototype. Une multitudes de manomètres isolés renseignent
le pilote sur l'état de la mécanique. Au milieu du cockpit, la console
au dessin très... "spécial", est bien celle des premières
205. Les propriétaires de Peugeot
205 GTI 1.6 1ère génération reconnaîtront également
le fameux volant à deux branches, tout aussi peu agréable mais orné
ici de l'inscription "Turbo 16" en son centre. Au passage, on remarque
juste en-dessous, un pédalier sportif en aluminium perforé, qui
ne fait pas partie des pièces standards. Les sièges baquets sont
également dédiés à la T16 et très enveloppants.
Leur habillage cuir bicolore séparé par une bande rouge rappelle
l'intérieur de la 205 GTI
1.9L. Sur leur dossier, un gros lion indique tel un blason guerrier, l'appartenance
au constructeur de Sochaux. Avant même d'avoir soulevé le capot et
démarré le moteur, il ne fait donc aucun doute que la Peugeot 205
Turbo 16 n'a que peu de choses en commun avec sa lointaine soeur de grande série.
La Série 200 transpire la compétition par toutes ses tôles
et d'un seul clignement d'oeil, elle vous invite irrésistiblement à
prendre la route en sa compagnie.
MOTEUR
Comme l'impose le règlement du groupe B, l'emploi de la suralimentation
est compensé par une cylindrée majorée d'un facteur 1,4 qui
détermine le poids minimum autorisé de la voiture. Peugeot utilise
alors comme base de développement le nouveau moteur de la famille XU, entièrement
en alliage d'aluminium. Le XU8T, c'est son nom, est d'une cylindrée inédite
de 1775 cm3 afin de conserver une course courte (82 mm pour 83 mm d'alésage)
plus favorable aux régimes élevés. La lubrification est assurée
par carter semi-sec et le refroidissement comprend des chemises humides. Le vilebrequin
est à 5 paliers. Equipé de 2 arbres à cames en tête
et d'une culasse à 16 soupapes, ce 4 cylindres est donc historiquement
le premier multisoupapes commercialisé par Peugeot, même si on attribue
souvent ce titre à la 405 MI16, bien plus connue. La suralimentation repose
sur un turbo KKK soufflant à 0,7 bar avec échangeur air/air. Elle
est gérée par une injection électronique Bosch K-Jetronic
et le taux de compression est descendu à 6,5:1. Dans sa version client,
le moteur développe "seulement" 200 ch à 6750 tr/mn et
26 Mkg de couple à 4000 tr/mn, nous sommes donc loin des 350 ch de l'Evolution
1 ou des 430 à 480 chevaux et des 50 mkg de l'Evolution 2 ! Malgré
toute sa noblesse, le caractère de ce moteur est peu agréable, il
manque de tonus et ne procure pas la hargne attendue d'une telle machine de compétition.
Hélas, c'est un déception qui va entâcher la réputation
de la Série 200. La transmission aux quatre roues passe par une boîte
de vitesses manuelle à 5 rapports tirant un peu trop long, et le passage
de la puissance au sol est complété par un autobloquant à
répartition fixe (17% Av, 40% AR) et des DGL avant et arrière. Le
moteur est implanté en position centrale arrière, transversalement
à droite et incliné de 20° vers l'arrière avec la boîte
en bout. Pour contenter les clients les plus exigeants, Peugeot va proposer un
kit compétition élaboré par le département PTS, sous
la tutelle de Jean-Pierre Nicolas... vendu la coquette somme de 180 000 FF de
l'époque ! Avec ce kit, la démarche est double : plus de puissance,
moins de poids et avec un châssis plus affûté. Autrement dit,
la même, en mieux ! Pour la partie moteur, la plupart des pièces
mécaniques du kit PTS sont les mêmes que celles de l'Evolution 1,
comme les arbres à cames à la levée supérieure, les
pistons et les chemises. Bien que conservant le même système d'injection,
le même turbo et le même échangeur, la T16 kitée adopte
une pression de suralimentation de 0,85 bar. Enfin, l'angle d'ouverture des soupapes
d'admission et d'échappement passe réciproquement de 10° à
30° et de 40° à 50°. Le résultat donne 300 ch à
6500 tr/mn et 35 Mkg de couple à 4500 tr/mn. En revanche, le système
DPV permettant de réduire le temps de réponse du turbo, inventé
chez PTS par l'ingénieur français Jean-Pierre Boudy pour l'Evolution
2, n'est pas installé d'où le caractère assez brutal de ce
moteur suralimenté. La transmission raccourcie est également issue
de la voiture de compétition, les réglages de répartition
du couple restant ceux de la "série". Autrement dit, une mécanique
transfigurée, dont les performances sont très proche de la version
course Evolution 1.
CHASSIS
Les dimensions
de la 205 Turbo 16 sont assez compactes. Longue de 3,82 m elle mesure 1,67 m de
large. L'empattement est de 254 cm et les roues posées aux quatre coins de
la caisse sont fixées sur des voies de 143 cm de large. Autour d'une cellule
centrale monocoque en acier, le châssis avant et arrière est caissonné
en tôles d'acier. La carrosserie, en matériaux composites sur la
version de course, est fixée sur cette structure. L'assemblage tubulaire
de la partie arrière n'est finalement qu'une illusion puisqu'il ne sert
de support qu'au moteur, à la transmission et à la suspension. L'amortissement
est composé de combinés ressorts amortisseurs Bilstein avec le soutien
d'une barre stabilisatrice. Pour le freinage, les disques ventilés sont
de 273 mm de diamètre et pincés par de gros étriers monopistons.
Le poids atteint 1210 Kg sur la Série 200, tous pleins faits, ce qui donne
un rapport poids/puissance de 6,05 Kg/ch qui n'est finalement pas aussi exceptionnel
qu'on l'imaginerait pour une "voiture de course" mais néanmoins très intéressant pour une "petite" sportive comme cette 205 T16. Le montage du kit
PTS quand à lui impose de reprendre toutes les soudures de la coque et
d'ajouter certains renforts en tôle. Il en va de même pour tout le
berceau tubulaire arrière. Les amortisseurs comprennent des combinés
doubles et des articulations rigides. La hauteur de caisse est ajustable avec
des débattements variables pour une utilisation asphalte ou terre. Les
disques passent à 298 mm de diamètre avec des étriers 4 pistons.
Contrairement aux deux évolutions, l'arceau n'est pas intégré
à la structure mais rapporté et en alliage léger. La chasse
aux kilos (110 en moins) et le surplus de puissance font tomber le rapport poids/puissance
à 3,66 Kg/ch, ce qui est déjà nettement moins ordinaire !
La répartition de la puissance aux essieux s'effectue via un différentiel
central ZF, à glissement limité (type Fergusson à viscocoupleur)
complété par deux autres différentiels à l'avant et
l'arrière.
LA 205 TURBO 16 EN COMPETITION
L'aventure sportive de la Peugeot 205 Turbo 16 est l'une des plus belles du sport automobile français. Tout commence en 1984 au Championnat du monde des rallyes, des débuts qui se soldent par 3 victoires du pilote Ari Vatanen, faisant ainsi trembler la concurrence impressionnée par la rapidité et la fiabilité de cette nouvelle venue. L'année 1985 confirme ce potentiel avec la victoire de Timo Salonen qui remporte le titre pilote. Avec la surpuissante 205 T16 Evolution 2, reconnaissable à sa carrosserie bodybuildée, les premiers accidents graves du Groupe B arriver malheureusement, notamment pour Vatanen. Le championnat 1986 est marqué par la domination des 205 : Juha Kankkunen gagne le titre pilote et Peugeot le titre constructeur pour la 2 ème année consécutive. Mais la Fédération Internationale du Sport Automobile doit se résoudre à mettre un terme à une série d'accidents tragiques et signe l'arrêt du Groupe B. Privée de rallye en 1987, Peugeot décide de se tourner vers le rallye-raid et la mythique épreuve du Paris Dakar. La 205 T16 « Grand Raid » est étroitement dérivée de la T16 WRC et c'est une nouvelle fois les pilotes Ari Vatanen puis Juha Kankkunen qui vont conduire la 205 Turbo 16 à la victoire deux années de suite. Parallèlement, pour compléter une carrière en compétition et un palmarès mémorable, la Peugeot 205 T16 va s'offrir un autre challenge avec la course de côte la plus célèbre et la plus haute du monde : Pikes Peak. Avec ses 550 chevaux pour 850 kilos elle va manquer de peu la victoire en 1987. La 205 T16 sera exploitée par Peugeot Sport jusqu'en 1989, date où elle est progressivement remplacée par la Peugeot 405 Turbo 16, construite sur la même base et dotée de la même mécanique. C'est la 405 T16 qui offrira à Peugeot sa victoire mémorable à Pikes Peak.
ACHETER UNE PEUGEOT 205 TURBO
16 SERIE 200
Souffrant d'un prix de vente prohibitif à l'époque
et d'un moteur décevant en matière d'agrément comme de performances,
la 205 turbo 16 a déçu de nombreux acheteurs qui pensaient sans
doute s'offrir la même voiture que le monstre évoluant en Groupe
B. Et on les comprend ! De ce fait, les 205 T16 sont longtemps resté à un niveau de prix très en deçà de celui des autres ex-groupe B de route, comme l'Audi Quattro Sport, la Ford RS200, Auston Metro 6R4, ou encore les Lancia Delta S4 et Lancia 037. Cependant, il ne faut pas renier les réelles qualités
dynamiques de la 205 Turbo 16, dont un châssis exceptionnel et une tenue
de route impressionnante. Enfin, le côté atypique et exclusif de
cette voiture la rend vraiment attachante. De plus, comme avec tout moteur turbo,
il est facilement possible de gagner une grosse poignée de chevaux, en
s'inspirant notamment du kit PTS, pour aller se faire plaisir sur circuit de temps
en temps. Mais les propriétaires de Peugeot 205 Turbo 16 gardent précieusement
leur auto au chaud. La plupart sont très peu kilométrées
et leur statut de Collector tient à leur grande rareté. 219 voitures
clients ont été produites, combien en reste-t-il aujourd'hui en
France ? Difficile à dire. L'offre est donc très restreinte
et les cours de la T16, qui étaient encore à 30.000 euros en 2005, sont en hausse très nette puisqu'il faut désormais compter au moins 40.000 € pour T16 série 200 et près de 100.000 € pour une ex-compétition. Généralement, les 205 T16 de route ont très très peu roulé. Les pièces mécaniques et de carrosserie étant
très chères, on comprend pourquoi les propriétaires hésitent
à se prendre pour Vatanen au volant d'un tel bijou. Mais au-delà
des aspects purement chiffrés, cette auto ne craint pas la concurrence,
ni le temps. Car avant même de la conduire,
le simple fait de posséder ce Collector procure déjà un immense
plaisir, celui de se prendre à rêver avec nostalgie de la grande
épopée de la 205 Turbo 16, entrée à tout jamais dans
la légende des Rallyes et du mythique Groupe B, symbole fantasmatique de
puissance et de vitesse. Les deux mains sur le volant, on ferme les yeux et déjà,
des flots d'images et de souvenirs d'enfant passionné refont surface. Enregistrées
à l'époque où elle brillait vaillamment sur tous les terrains,
ces images sont toujours aussi nettes. Elle, la 205 Turbo 16, devançant
un nuage de poussière de sable, ou de neige, fonçant, bondissant
et volant, dans les mains de pilotes qui nous semblaient alors venus d'une autre
planète tant leur maîtrise de la vitesse n'avait de commune mesure
avec la conduite "normale" d'une automobile. Et voilà, la nostalgie,
un des premiers symptômes psychologiques du vieillissement, qui nous reprend
! Et rien que pour cela, la Peugeot 205 T16 mérite que l'on se souvienne
d'elle longtemps.
::
CONCLUSION
Malgré sa mauvaise image en collection et son moteur
décevant, la Peugeot 205 Turbo 16 demeure un engin vraiment atypique et
attachant. Sa conception d'authentique voiture
de compétition lui confère un charme irrésistible et un comportement
routier bluffant d'efficacité. A son volant, impossible de ne pas se prendre
à rêver de spéciales endiablées, au coeur de la lutte
avec les autres monstres du mythique Groupe B. Aaaah... cette 205, quel sacré
numéro !
Tous
nos remerciements à André Le Roux qui a mis à
notre disposition certains documents illustrants ce dossier à partir de catalogues d'époque.
CE
QU'ILS EN ONT PENSE :
"Les 200 chevaux sont discrets, presque décevants
et les montées en régimes n'ont pas la vivacité, la légèreté
que l'on pouvait attendre d'une telle mécanique. Le quatre cylindres Peugeot
manque de souplesse et le temps de réponse reste assez prononcé.
La boîte se manie aisément malgré sa fermeté. Seul
le cinquième rapport paraît trop long. Cela n'empêche pas notre
Turbo 16 de croiser à plus de 210 chrono. Heureusement, la voiture se rattrape
par son comportement. Deux petits tours sur la piste de Cergy-Pontoise suffisent
à nous faire découvrir un équilibre vraiment remarquable,
une excellente vivacité mais aussi un amortissement particulièrement
inadapté à cet usage et aux deux bosses accentuées que comprend
le circuit utilisé."
ECHAPPEMENT - N°209 - ESSAI PEUGEOT
205 TURBO 16. |