LE LUTIN FRANÇAIS
Après une solution bancale avec la Matra Jet, petit coupé artisanal,
efficace mais peu pratique né René Bonnet Djet, Matra conserve une
architecture centrale moteur pour sa nouvelle venue. C'est elle
qui doit représenter la firme française et sa créativité sur les
routes, alors qu'en Formule 1 puis en prototype au Mans, une belle
aventure était en marche...
Texte :
Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R.
Matra est une société spécialisée
dans l'armement. Pourtant dans le courant des années 60,
Jean-Luc Lagardère souhaite diversifier son activité.
Et comme le hasard fait parfois bien les choses, les difficultés
de René Bonnet qui commercialise alors le coupé Djet,
première voiture de série à disposer d'un moteur
central arrière comme sur les Formule 1 de l'époque,
le contraignent à céder son affaire à Matra.
C'est l'occasion rêvée pour Matra de démarrer
sa diversification. Ainsi, c'est Matra Automobiles qui va commercialiser
le coupé Jet (et non plus "Djet"). Sous la direction
de Philippe Guedon, qui sera le père de toutes les Matra
de série, le coupé Jet va évoluer très
légèrement. Mais dès l'année 1965, il
faut songer à le remplacer car, bien que pétri de
qualités, le coupé Jet se révèle peu
pratique à l'usage. C'est donc avec un cahier des charges
très précis qu'est lancée l'étude du
coupé Matra 530 A. Ce doit être un coupé 2+2, avec
un moteur central arrière, la ligne doit être originale
et sportive et les acheteurs potentiels doivent être âgés
de 20 à 30 ans. Mais en fait, réaliser un coupé
2+2 à moteur central arrière ne facilite pas la tâche
des stylistes. Même Pininfarina pour les Ferrari Mondial aura
du mal à réaliser une ligne harmonieuse qui fera date.
Ce sont ces contraintes qui expliquent en partie la ligne originale
du coupé 530. Heureusement, le petit moteur V4 Ford ne prend
pas trop de place
LA TECHNOLOGIE D'UN MISSILE ?
Le châssis plate-forme ne pèse que 140 kg, mais au
prix de nombreuses alvéoles percées dans une fine
tôle (8/10e). Il est composé de 274 éléments
soudés, sans traitement anticorrosion. La carrosserie complète
est en polyester (les premiers exemplaires ayant été
réalisés en résine époxy), ce qui amène
évidemment de nombreux avantages pour des productions à
petite échelle : légèreté (la carrosserie
complète ne pèse que 54 kg !), fabrication rapide,
manutention aisée, absence de corrosion potentielle,
Composée d'une vingtaine d'éléments, la carrosserie
est boulonnée sur le châssis. Elle fut dessinée
par Nochet, un ancien de Simca. La ligne générale
n'est pas sans rappeler celle du prototype M620 apparu en 1966 et
équipé du moteur BRM. La proue se distingue par une
finesse aérodynamique et un modernisme qui tranche avec la
partie arrière, plus conservatrice. Le plus amusant, est
que malgré une ligne un peu torturée et des dimensions
restreintes, un coffre de 215 dm3 a tout de même pu être
aménagé. Dernier détail sympa de la carrosserie,
le toit est démontable en deux parties et amovible, transformant
alors le coupé 530 en Targa. Les deux parties du toit peuvent
alors se ranger sous le capot avant en se posant sur la roue de
secours et la batterie. Au fait pourquoi le nom de 530 ? Tout simplement
parce que le missile phare de Matra industrie à l'époque
s'appelait R 530. De-là à comparer le coupé
Matra 530 A à un missile, il y a un fossé en terme de performances
que nous n'oserons pas franchir, car on ne pourra pas réellement
parler de sport avec le coupé 530 A. Non, ce qui a dicté
toute l'étude, c'est la mouvance de l'époque : le
temps des copains. Ce véhicule, devait, selon ses concepteurs
être "la voiture de la joie de vivre". L'intérieur
est des plus sobre et l'originalité de l'extérieur
ne s'y retrouve pas. Il est normalement
prévu pour accueillir 4 personnes. Nous dirons plutôt
2 adultes devant et 2 enfants en bas âge.
PAS DE MOTEUR
Matra a étudié diverses options pour motoriser son
coupé. Le coupé Jet était équipé
d'un moteur Renault Gordini, mais si dans un premier temps, les
hommes de Philippe Guedon ont envisagé de monter celui de
la Renault 16 sur le coupé 530, c'est ensuite vers un 1800
BMW, puis un VW 1500 que Matra Sports avait retravaillé. Et c'est
finalement le V4 Ford de 1700 cm3 qui équipe la Ford Taunus
(Type P 5S) qui a été choisi par les ingénieurs
de Matra Automobiles. En échange de ce choix, dit-on, Ford
s'était engagé à distribuer la 530 au Etats-Unis.
Mais cela ne sera jamais concrétisé. La boîte
de vitesses à 4 rapports était également fournie
par Ford Europe. Equipé d'un carburateur Solex simple corps
de 67 à 69, le V4 Ford (type C3) développe 70 ch à 4800 tr/mn et 13,7 mkg de couple à 2400 tr/mn. Heureusement
pour le coupé Matra 530 A, son aérodynamique est particulièrement
fine (à Vélizy on annonce un Cx de 0,34) et son poids
de 935 kg lui permet d'atteindre 172 km/h en vitesse de pointe.
Pas mal pour l'époque, cela ne représentait toutefois
pas des performances exceptionnelles surtout pour un 1,7 litres.
Pas très nerveux le V4 Ford, mais en revanche sa fiabilité
est démontrée. Tant mieux, car l'accessibilité
mécanique est des plus difficiles. Alors, une ligne originale,
un concept à mi-chemin entre voiture sportive et loisirs,
un moteur peu convaincant sur le plan des performances, c'est en
quelque sorte le cocktail offert aux clients par Matra Automobiles.
Il est à noter qu'à partir de 1969, le V4 Ford (type P5S) sera
équipé de carburateurs Solex double corps qui fera
grimper la puissance à 75 ch. La boîte est celle de la Ford Taunus "15 M RS".
LA RELANCE
Si tout le monde loue unanimement les qualités dynamiques
du coupé Matra 530 A, force est de constater que son look
perturbe le plus grand nombre, et que nombre de clients potentiels
se détournent du petit lutin français en raison de
performances et d'un moteur peu convaincants. Alors c'est avec l'aide
du marketing de l'époque que Matra Automobiles va tenter
de relancer la carrière de son seul modèle. Tout d'abord
un carburateur Solex double corps remplace l'ancien simple corps,
donnant par-là quelques poignées de chevaux et de
couple supplémentaires. Puis dès l'année suivante,
Matra change les appellations commerciales de sa gamme 530. Distribués
par le réseau Chrysler Europe (Simca en France) ; les coupés
530 vont se décliner en 2 finitions. Les SX, que la publicité
surnommera "Pirate" sera en quelque sorte une entrée
de gamme. Les phares escamotables sont supprimés pour de
peu élégants phares fixes, les enjoliveurs sont traités
en noir mat, il n'y a plus qu'une seule grille d'aération
moteur à l'arrière au lieu des 4 ouies de la LX, la
jupe arrière est de couleur caisse, les sièges arrière
ont été supprimés et le tableau de bord est
en alu brossé. De son côté la LX, que la publicité
surnommera la "Matra des seigneurs", se positionnera plus
en haut de gamme. Et pour relayer ces changements, Matra met le
paquet sur la publicité mettant notamment en avant une éventuelle
filiation entre le coupé 530 et le proto V12 3 litres qui
sera vainqueur aux 24 Heures du Mans.
PREPARER LE TERRAIN
La carrière du coupé Matra 530 n'a pas été
une franche réussite commerciale. Mettre cela sur le compte
de son moteur et des performances quelconques de l'auto est en réalité
une fausse excuse. C'est plutôt sur son côté
inclassable qu'il faut tenter de chercher une explication. Ajoutez
à cela dans ses premières années, un réseau
embryonnaire, une image de marque à construire, et surtout
une société jeune (Matra Automobiles) qui avait encore
tout à apprendre de l'industrie automobile, et il n'en faudra
pas plus pour que le coupé Matra 530 s'éteigne après
9 609 exemplaires. Pourtant, durant sa carrière longue de
6 ans, quelques idées avaient été étudiées.
Un très intéressant prototype avec des voies élargies
équipé d'un V6 Ford de 2,6 litres pouvait concurrencer
des Ferrari 308. Il ne lui fallait que 27 secondes pour abattre
le kilomètre départ arrêté !! Ce proto
devait en réalité s'aligner au Critérium des
Cévennes mais l'accident survenu au Mans à Henri Pescarolo,
prévu pour le piloter, arrêta net le développement
de ce très intéressant coupé 530 V6. Michelotti
y est allé de son prototype baptisé Laser en 71 sur
base de 530, tout comme Vignale en 68 avec une ligne évoquant
furieusement la ligne de la Maserati Indy. Enfin, le seul fait d'arme
du coupé Matra 530 est d'avoir été utilisé
pour la parade des pilotes au Grand Prix de Formule 1 de France
en 1969. Finalement si le succès commercial n'a pas été
au rendez-vous, ce coupé 530 si attachant et étonnamment
moderne a joué un rôle important : celui de relayer
les succès en compétition de Matra sur la route, et
de faire connaître Matra comme constructeur à part
entière permettant les préparatifs du succès
de la Bagherra
ACHETER UNE MATRA 530
Acheter aujourd'hui un coupé 530 s'avère être
un exercice délicat. Délicat car on a quitté
depuis longtemps le monde de l'occasion pour entrer sur le marché
de la collection. 35 ans d'âge pour les premiers modèles,
alors vous imaginez bien que des notions comme le kilométrage
d'origine, le carnet d'entretien tamponné et des selleries
nickel chromes sont des références qui n'ont pas cours
dans le monde de la collection. Au niveau des prix pratiqués,
là encore l'esprit décalé du coupé Matra
530 qui lui fit un certain tort dans les années 60, lui colle
encore à la peau aujourd'hui. Les prix pratiqués sont
donc des plus raisonnables. Comptez 6 100 à 6 700 Euros (40
à 45 000 F) pour un coupé Matra 530 A ou LX en très bon
état. Les coupés SX, plus dépouillés
et moins charmeurs sont évidemment moins cotés et
pour des très bons exemplaires, comptez 4 600 Euros (30 000
F). Le plus dur est d'en trouver un en état concours. A l'image
des autos mal aimés en leur temps ou décalées
au niveau du style et/ou du concept, elles regagnent leurs galons
en collection à l'image des Citroën Ami 6/8 par exemple.
C'est également le cas de la Matra 530. Les performances
pures ne sont pas l'objet premier d'une ancienne car c'est plus
la flânerie et l'esprit GT qui prévaut. Pour les points
à surveiller, comme sur la plupart des anciennes, la rouille,
pas sur la carrosserie en polyester mais sur le châssis non
galvanisé qui rouille secrètement. La mécanique
Ford est très fiable, et nombre de V4 ont parcouru des kilométrages
inavouables. Plusieurs modèles équipés du toit
amovible ont connu et connaissent des problèmes d'étanchéité.
Le plastique travaille au fil des ans ce qui nuit à la justesse
des assemblages et à la qualité et à la tenue
de la peinture dans le temps. Et la finition intérieure était
dans le ton de l'époque des réalisations françaises
contemporaines. No comment ! Quelques pièces deviennent très
dures à trouver et il ne faut pas hésiter à
fréquenter les clubs Matra et même l'amicale 530 qui
pourra vous donner toutes les adresses utiles ainsi que les conseils
les plus efficaces.
HISTORIQUE MATRA 530
1965 : Matra Sport démarre une étude d'un coupé
sport dont la cible serait les 20/30 ans.
1967 : Présentation du coupé Matra 530 A le 6 mars
à Genève. La production des coupés démarre
en avril : les châssis sont fabriqués chez Carrier
à Alençon et l'assemblage est effectué chez
Brissonneau et Lotz à Creil.
1969 : La production des coupés 530 est transférée
dans l'usine Matra de Romorantin-Lanthenais. Modification des rapports de boîte.
Puissance portée à 75 ch avec carbu double corps. Alliance de Matra avec Chrysler
qui permettra la diffusion de la 530 par le réseau Chrysler
Europe dès l'année suivante.
1970 : Au salon de Genève les 530 portent désormais la marque Matra-Simca. La 530 LX
est retouchée par Michelotti et remplace la 530 A. Le tube protecteur à l'avant disparaît, et des changements au niveau esthétique interviennent.
1971 : Commercialisation du coupé 530 SX (production à partir d'octobre 1970). version économique, à toit fixe, et phares posés sur le capot.
1972 : Les enjoliveurs de roues sont remplacés par des cabochons
centraux.
1973 : Fin de production des Matra 530 SX et LX en février. Commercialisation des Bagherra.
PRODUCTION MATRA 530
MATRA 530 A (1967-1969) première série : 2063 exemplaires
MATRA 530 A (1969-1970) deuxième série : 1669 exemplaires
MATRA 530 LX (1970-1973) : 4731 exemplaires
MATRA 530 SX (1970-1973) : 1143 exemplaires
::
CONCLUSION
Alors la Matra 530, une vraie affaire ? Assurément, car
plus sympa et décalée qu'une Bagherra, plus rare qu'une Murena,
elle demeure la vraie voiture du temps des copains. Vous voulez
ressentir ce qu'ont vécu les babyboomers ? Achetez un coupé 530… |