ALFA-ROMEO 75 Turbo (1986 - 1992)
CONTRE-BRAQUAGE A L’ITALIENNE
Perpétuant l’héritage reçu de ses aînées, la 75 est une automobile faite de contradictions. Ceci eut pour conséquence de ne pas l’épargner des critiques. Surprenante à tous les niveaux, il était temps de démêler le vrai du faux sur ce qui concerne la dernière vraie Alfa Romeo…
Texte :
Maxime JOLY
Photos : Cédric AUGUSTO
Au début des années 80 Alfa Romeo vit des heures difficiles, ses plus sombres sans doute. Contraint à d'importantes restrictions budgétaires, la marque n’a d’autre choix que de conserver la base vieillissante de la Giulietta II pour sa remplaçante, la 75. Et quand on sait que cette base elle même héritée de l'Alfetta était déjà dépassée dix ans auparavant, il n’y a pas de miracle à espérer sur les qualités intrinsèques de la voiture… de surcroît un jour de pluie ! Nous avons d'ailleurs dû organiser la séance photo dans un parking sous-terrain. Ce n’est pas dans notre habitude mais avec du recul, cela donne un petit côté décalé à une auto qui l’est tout autant. Un large point sera également fait sur les différentes variantes apportées à la 75 Turbo, et elles furent nombreuses. Mais d’abord un focus complet sur la version Europa…
PRESENTATION
C’est le 17 mai 1985 que le projet 162B est présenté, d'après un dessin réalisé au Centro Stile Alfa Romeo sous la direction d'Ermanno Cressoni. Mais il faudra attendre neuf mois supplémentaires pour trouver en concession la déclinaison Turbo. Pour la petite histoire, l'exemplaire que nous vous présentons ici est le premier à avoir été vendu dans la région Ile-de-France. Avant de voir cette 75 Turbo, il faut reconnaître que nous avions quelques a priori sur l’esthétique de cette Alfa. Les nombreux modèles massacrés par le "tuning maison" avaient fini par dégoûter bien des passionnés de sa plastique. Au placard toutes ces idées reçues ! Cet exemplaire propre (pour un daily de 24 ans évidemment) nous a réconcilié avec cette auto pleine de caractère.
Malgré son look passe-partout, on remarque qu’elle n’est pas comme les productions de l’époque et qu’elle a ce grain de folie en elle. La ligne est atypique, dans la continuité des dessins carrés de la marque italienne. A l’avant, entre les optiques trapézoïdaux on retrouve la large grille et ses bandes horizontales tandis qu’à l’arrière, un filet réfléchissant fait la liaison entre les feux arrière, eux aussi en forme de trapèzes. Comme sur d’autres modèles historiques (le Coupé Bertone entre autres), l’échappement est central. Bien sûr, le tout donne un design relativement peu sexy mais qui attire la sympathie pour quiconque aime se distinguer. Fin 88, à l’aide des moyens mis par Fiat, devenu propriétaire d'Alfa Romeo, un facelift a lieu. Nouvelle calandre, prises d’air, feux arrière rouges et spoiler de la version 2,0l déclinée sur tous les modèles, voici résumé le programme de résistance de ce remaniement.
HABITACLE
Quel drôle d’intérieur ! Telle est la première chose que j’ai dite à Adrien en m’asseyant dans sa Turbo. Avec son intérieur d’origine si particulier (de plus en plus dur à trouver en bon état) ses boutons lèves-vitres placés au plafond (!), son frein à main tout droit sorti d’un avion et son ordinateur de bord old-school dont tout bon geek raffolerait, ça sent bon les années 80 et l’exotisme à l’italienne. Les adeptes d’un intérieur fonctionnel et habitable, d’une finition soignée et d’une qualité de fabrication au-dessus de la moyenne prendront leurs jambes à leur cou…
L’équipement va des vitres électriques (vous l’aurez compris à travers ma remarque sur l’emplacement des boutons) à la fermeture centralisée des portes mais point de direction assistée. Du fait de son emplacement, le réservoir n’empiète pas sur le coffre, gigantesque, mais malheureusement peu pratique pour y stocker des affaires tant son accessibilité n’est pas des plus aisée. Défaut que l’on retrouvera plus tard sur la 156.
MOTEUR
En lisant les données techniques de la voiture et en voyant une puissance de 155 chevaux, certains lecteurs ont dû se demander s’il n’y avait pas de faute de frappe. Imaginez aujourd’hui une berline dotée d’une puissance équivalente, pensez-vous prendre réellement du plaisir à son volant ? Déjà qu’il n’est pas acquis d’en avoir sur une compacte si généreusement fournie…
Mais une fois replacé dans le contexte d’une propulsion à l’ancienne – c’est-à-dire dépourvue de toute aide électronique – vous risquerez bien de changer d’avis sur la puissance qu’il faut avoir pour s’amuser. Le temps de 7,5 secondes pour abattre le 0 à 100 km/h est plus qu’honorable.
Revenons à nos moutons et à ce 1779 cm3 qui nous intéresse. Moteur longitudinal (de type 06.134) en alliage léger à double arbre à came en tête reçoit un Turbocompresseur Garrett T3 Intercooler dont la principale caractéristique est son temps de réponse. Lorsqu’il se déclenche entre 2500 et 3000 tours/min, ça "envoie" si vous me passez l’expression ! Ce turbo lag rend ce moteur bien plus pointu à conduire que le linéaire V6, pourtant plus puissant. Le refroidissement des soupapes d’échappement se fait au sodium, le radiateur est séparé pour une meilleure lubrification et l’injection électronique est à commande numérique.
Pour économiser le carburant, il y a le « cut-off » : l’injection cesse d’alimenter les cylindres en phase de décélération. La consommation moyenne est de l’ordre de 10l/100.
La boîte manuelle à cinq rapports manque de précision, la faute à la disposition boîte-embayage-différentiel en bloc unique à l’arrière, garant d’une répartition des masses optimale.
SUR LA ROUTE
Je confesse avoir un peu mordu sur ce paragraphe dans le précédent mais il reste encore à dire sur le sujet. Les suspensions avant sont à guidage vertical (des quadrilatères transversaux avec des amortisseurs courts obliques et des barres de torsion à la place de ressorts hélicoïdaux auquels nous ne sommes plus habitués. Autant vous dire que la maîtrise du roulis n'est pas le point fort de cette architecture. L’arrière se caractérise quant à lui par la présence du fameux essieu rigide "de Dion" transaxle, vieille connaissance des alfistes. Les suspensions sont fermes, davantage typées sport que confort, mais sans que cela ne rende les longs trajets trop pénibles. Le maintien des sièges est aussi pour beaucoup dans le plaisir pris au volant même si une meilleure position de conduite aurait été appréciable.
Privée de toute aide castratrice, il faut gérer le caractère on/off du 4 cylindres turbo et sa puissance qui arrive d’un seul coup sans prévenir. Le fougueux train arrière ne demande pas mieux que de décrocher et de passer devant le train avant, lui-même peu à la fête. Les passages en courbe sont sportifs, ça sous-vire puis survire. Ce caractère joueur apporte son lot de sensations et la transpiration qui va avec. Les frayeurs ne sont pas loin mais l’impression de pilotage non plus…Preuve d’un véritable tempérament sportif, un autobloquant ZF à 25% est généreusement fourni en série. Si sur sec ce phénomène reste largement gérable dans la majorité des circonstances, sur le mouillé il en est tout autrement. La 75 devient une véritable savonnette… à ne surtout pas mettre entre toutes les mains. Indomptable cette 75 Turbo, tellement que les professionnels du contre-braquage devraient s’en donner à cœur joie ! L’absence de direction assistée (même en option) donne l’impression de conduire un poids lourd et ne favorise pas les trajets urbains. Vous maudirez votre 75 au premier créneau venu…
EVOLUTION
En 1987 est commercialisée au Etats-Unis l’Alfa 75, appelée là-bas Milano. En son honneur, la version 75 America est lancée et se distingue par bien des détails. Un logo America sur la carrosserie, des bas de caisse, des passages de roue élargis, des pare-chocs spécifiques à amortisseurs de choc (qui accusent un poids plus élevé que sur les Europa), un accoudoir central, un échappement latéral et de nouvelles jantes 15 pouces en options. Le réservoir, plus gros (60l) prend place dans le coffre diminuant de beaucoup sa capacité de chargement. De nouveaux sièges font leur apparition, caractérisés par un velours gris/bleu à coutures rouge. La phase 2 sort fin 89 avec quelques subtiles différences esthétiques, mineures. Les différences entre les versions America et Europa au niveau de la conduite sont notables, l’America étant beaucoup moins brutale et plus accès sur le confort…
En 1991, une nouvelle déclinaison apparaît. Appelée en Italie Potenziata, que l’on peut traduire par améliorée, elle s’appelle chez nous Quadrifoglio Verde. Bien sûr, vu l’année de production, la carrosserie est basée sur la phase 2. La principale modification mécanique concerne le nouveau ECU (Engine Control Unit) de la gestion électronique, équipé d’une nouvelle sonde de température sur l’échangeur air/air. Son rôle ajuster la pression du turbo selon la température du moteur. Suffisant pour grappiller 10 chevaux supplémentaires mais aussi pour perdre en caractère... Le train arrière est lui aussi un peu modifié et la direction assistée est désormais accessible en option. En toute fin de carrière, une version limitée à 1000 exemplaires vit le jour. Des nouveaux rétroviseurs de la couleur de la carrosserie, des jantes spéciales en alliage léger, des nouveaux sièges Recaro et une plaque numérotée apportent leur lot d’exclusivité.
ALFA ROMEO 75 TURBO EVOLUZIONE
Alfa Romeo envisage en 1987 d’homologuer sa 75 pour la compétition en Groupe A de la FIA mais pour cela, il lui faut une production de 500 exemplaires. 137 seront destinés au marché français. Le problème est que la 75 Turbo telle qu’elle existe ne remplit pas les conditions d’homologation, la faute à son moteur un peu trop gros. Par conséquent, la cylindrée passe à 1762 cm3 (1761,7 pour être précis). Les modifications moteur se résument à de nouveaux pistons de 0,4 mm plus petits, la pression du turbo qui grimpe à 0,9 bar, le bloc-cylindre renforcé et un nouveau collecteur d’échappement. Ceux qui espèrent un gain de puissance en sont pour leur frais puisque la puissance n’évolue pas. Et les performances non plus, si ce n’est une vitesse de pointe qui augmente de 10 km/h… La raison officielle invoquée est la volonté de ne pas faire trop d’ombre au 3.0 V6, supposé servir de haut de gamme. Pour améliorer le comportement, l’autobloquant d’origine à 25% est remplacé par un à 45%, les freins sont de plus grandes dimensions et une plus grosse barre anti-roulis est montée à l’arrière. Le kit carrosserie ne passe pas inaperçu. Il comprend un immense autocollant, un spoiler arrière, des boucliers avant et arrière en GFK (matériau composite), des élargisseurs d’ailes, des jupes latérales, une calandre peinte en rouge Rosso Alfa Pastello comme la carrosserie et les nouvelles jantes 15 pouces Campagnolo. Leur dessin reprend celui de celles qui équipent le GTV6 mais ont un gros défaut, celui de ne pas avoir un bon déport. Ce kit aérodynamique a été étudié en soufflerie pour permettre un meilleur refroidissement du moteur (d’où la disparition des anti-brouillards avant) obtenir un meilleur Cx (0,30). La 75 Evoluzione reste un modèle plein de potentiel, injustement bridé. Mille fois dommage.
L'ALFA ROMEO 75 TURBO EN COMPETITION
La version compétition de l'Alfa Romeo 75 Turbo n'aura aucun succès en WTCC lors de la saison 1987 avec des pilotes pourtant talentueux comme Jacques Lafitte. Le chapionnat fait l'objet de nombreuses protestations et disqualifications douteuses, au point qu'Alfa Romeo abandonne avant la fin de la saison qui est remporté par Ravaglia et sa BMW M3 e30. C'est la dernière saison d'existence du WTCC, remplacé brièvement par le championnat européen ETC. La 75 Turbo est pour sa part engagée dans le championnat italien (ITC) en 1988, que remporte Gianfranco Brancatelli. En 1988 et 1989 une Alfa Romeo 75 Evoluzione IMSA gagne le Giro d'Italia ( Tour d'Italie), équivalent du Tour de France auto chez nous.
ACHETER UNE ALFA-ROMEO 75 Turbo
L’Alfa Romeo 75 souffre d’un important déficit d’image et la Turbo n’échappe pas à la règle. Pourtant, même si certains problèmes sont connus, parmi lesquels le ciel de toit qui a tendance se décoller (j’avoue que ce n’est pas très glorieux…), la fragilité de la boîte de vitesse et l’usure prématurée du turbo, l’auto est globalement plutôt fiable (à la condition de ne pas la faire dormir dehors) et le bloc peut dépasser allègrement les 200 000 km. Les propriétaires peu scrupuleux ne sont pas non plus exempts de tout reproche… La distribution par chaîne garantit de nettes économies d’entretien et ne nécessitent que la vérification ponctuelle du tendeur. Si vous trouvez les voitures trop modernes et que vous voulez goûter aux joies de la propulsion pure et dure, l’Alfa Romeo 75 Turbo devrait vous combler. Surtout qu’il faut compter au maximum 3000 € pour un modèle en excellent état et peu kilométré, la majorité des modèles se négocie bien en-dessous. Mais méfiance sur le modèle convoité, une inspection minutieuse s’impose…
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES
ALFA-ROMEO 75 Turbo
MOTEURType : 4 cylindres en ligne, 8 soupapes
Position : transversal AV
Alimentation : Injection électronique Bosch LE2 Jetronic + turbo Garett T3
Cylindrée (cm3) : 1779
Alésage x course (mm) :
Puissance maxi (ch à tr/mn) : 155 à 5800
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 226 à 2300
TRANSMISSION
AR
Boîte de vitesses (rapports) : manuelle (5)
POIDS
Données constructeur (kg) : 1200
Rapport poids/puissance (kg/ch) : 5,71
ROUES
Freins Av-Ar (ø mm) : Disques ventilés
Pneus Av-Ar : 195/60 VR 14
PERFORMANCES
Vitesse maxi (km/h) : 208
1 000 m DA : 28"5
0 à 100 km/h : 7"5
CONSOMMATION
Moyenne (L/100 Km) : 10
PRIX NEUF (1986) : 127.369 FF
COTE (2010) : 3.000 €
PUISSANCE FISCALE : 7 CV
CONCLUSION
:-) Italienne de caractère Conduite virile Propulsion à l’ancienne Autobloquant Look Distribution par chaîne La dernière berline authentiquement Alfa... |
:-( ... mais de conception ancienne Tenue de route... Intérieur "spécial" Beaucoup d’exemplaires massacrés Mauvaise image Version America moins brutale Pas de gain de puissance sur l’Evoluzione |
Sortie dans un contexte difficile pour Alfa Romeo, la 75 Turbo s’en tire avec les honneurs. Grâce à son tempérament aussi bouillant que ne l’est son turbocompresseur, les sensations procurées à son volant sont réelles. On lui pardonne d’autant plus facilement ses nombreux défauts que l’essentiel est bien là, le plaisir de conduite…
Un immense merci à Adrien qui a traversé en long et en large toute l’Ile de Frane et n’a pas hésité à braver la pluie pour nous présenter sa 75 Turbo Europa. Nous remercions aussi Alexandre de nous avoir accompagnés.
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Que de (bons) souvenirs, une 75 turbo ça vous marque à vie. Habitué aux anciennes Alfa avec leurs défauts (il en faut pour s'attacher à une voiture) mais aussi leur joie de vivre ! Sonorité, caractère... Une gtv6 avait la musique, la 75 turbo le coup de pied au c... Une fois maîtrisée en ayant compris le mode de fonctionnement elle procure de très bonnes sensations, routes de montagnes, autoroute. Côté fiabilité, en prenant soin des temps de chauffe, de la périodicité de l'entretien, il n'y avait pas grand chose à redire coté mécanique, seule la boite (synchro) peut se fatiguer plus vite. Très confortable et vraie 5 places. Des autos comme on en fait plus...