ALPINE A108 (1958 - 1965)
EMANCIPATION
Evolution logique de toute première Alpine A106 accompagnant les nouveaux moteurs Renault, le type A108 va marquer la prise d'indépendance de Jean Rédélé qui progressivement s'accapare la majorité de la production Alpine dans son usine de Dieppe. Malgré une tentative désespérée des frères Chappe pour rester dans la course, c'est définitivement Jean Rédélé qui va imposer les idées novatrices dont la première berlinette et son premier châssis-poutre... base de la future A110.
Texte : Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
La 4 CV a donné vie à la première Alpine, mais désormais, ave cle lancement de la Dauphine chez Renault, elle souffrant d'une image vieillissante et sa conception désormais archaïque pénalise le coût de fabrication des Alpine autant que leur tenue de route. Jean Rédélé reste trop dépendant de Renault et la gamme Alpine doit impérativement évoluer pour gagner tant en esthétique qu'en rentabilité. La modernisation est lancée avec le type A108 qui va marquer la transition entre l'artisanat pur et un début d'industrialisation.
PRESENTATION
On aurait pu penser qu'elle s'appellerait A109, du fait de l'utilisation des composants mécaniques de la Dauphine (née projet 109 et homologuée sous le type R1090 en 1956) mais c'est l'Alpine A108 qui prend vie en juillet 1958. Pour quelle raison ? Difficile à dire, car il a bien existé chez Renault un projet 108 ayant précédé le 109 ! Il s'agissait alors de compléter la 4 CV avec une berline haut de gamme concurrente notamment de la Citroën Traction. Le projet 108 était toutefois extrapolé de la 4 CV, avec un gros moteur 2 litres placé lui aussi en porte-à-faux arrière. La 108 sera finalement abandonnée au profit de la Frégate (type R1100). Revenons donc à l'Alpine A108. Au Salon de l'Auto 1958, un nouveau pare-choc avant équipe le cabriolet Alpine. Finie la lame chromée, place à un nouveau support en polyester de plaque d’immatriculation entouré de deux bananes chromées. Issues de leurs homologues équipant la Dauphine, elles sont affinées avant montage. Deux butoirs modifiés de Simca P60, déjà utilisés pour l’arrière, viennent en complément.
A l'exception du Coach, toujours construit chez Chappe & Gessalin, toutes les futures Alpine assemblées par RDL (Cabriolet, Coupé Sport et Berlinette) vont adopter quasi simultanément le type A108 précédent l'arrivée du nouvel avant de la berlinette Tour de France de deux ans. Du coup pour la même appellation (cabriolet A108 ou Coupé Sport A108) il existe deux carrosseries bien différentes... Sans compter qu'à Brie-Compte-Robert, chez Chappe, on continue de produire les coaches A106 et A108. D'où certaines difficultés pour s'y retrouver dans ce passé trouble des Alpine de l'ère artisanale ! L'usage veut qu'on leur ajoute un qualificatif décrivant la face concernée. Ainsi on distingue les A108 « à phares droits » pour les premières versions et les A108 « à phares englobés » pour les secondes. Le coach n'ayant, lui, jamais changé de face avant il est inutile de faire une distinction.
MOTEUR
Pour accueillir le nouveau moteur 845 cm3 "Ventoux" de la Dauphine, la plateforme de la 4CV est modifiée à l'arrière avec l'installation de la traverse de suspension de la Dauphine.
Trois versions de l'Alpine A108 sont proposées au catalogue 1959. Le coach ou le cabriolet sont pourvus du moteur 845 cm3 longue course de la Dauphine de base (vendu 1.150.000 FF et 1.250.000 FF respectivement) ou de sa version Gordini (type R1091), poussé à 37 ch à 5000 tr/mn (40 à partir de 1959), pour un couple de 65 Nm à 3300 tr/mn, grâce à une nouvelle culasse, à l'augmentation du taux de compression ainsi qu'à l'utilisation d'un carburateur Solex 32 PICBT, de ressorts de soupapes plus durs et de conduits d'admission-échappement agrandis.
Au-dessus, Alpine propose également l'A108 "904" avec un moteur réalésé à 904 cm3 réalisé par Marc Mignotet et délivrant 53 ch pour une vitesse de pointe de 153 km/h.
EVOLUTION
Pour le millésime 1960, apparaît un nouveau modèle, le Coupé Sport A106 et A108. Dsponible avec les moteurs de 4 CV (A106) et de Dauphine (A108), le Coupé Sport est en fait un cabriolet sur lequel a été soudé le hardtop ! La partie derrière les sièges est un peu plus grande que sur le cabriolet grâce à la suppression du compartiment de rangement de la capote mais pas de quoi enf aire une 2+2 toutefois. Pour le coach et le cabriolet rien ne change, hormis l'apparition d'une nouvelle motorisation 998 cm3. Il s'agit du moteur de la Dauphine Gordini réalésé, développant maintenant 70 ch SAE. Avec le 998 cm3, les Alpine deviennent des sportives redoutables, d'autant qu'il est équipé de série d'une boîte 5 vitesses à crabots qui permet d'accrocher 185 km/h. Il faut alors débourser 1.700.000 FF pour le coach et 1.900.000 FF pour le cabriolet. En option est disponible une boite 4 vitesses (69.000 FF) ou la fameuse boîte 5 vitesses "Claude" de la maison (145.000 FF), un couple conique 7x29 (22.500 FF), la suspension arrière "mille miles" à 4 amortisseurs (39.000 FF), une direction plus directe (19.500 FF) et sur commande une couleur de carrosserie personnalisée (45.000 FF), chose que la production artisanale peut encore proposer. RDL à Dieppe propose également sur son cabriolet et sur le nouveau Coupé Sport, un tableau de bord plus dans l’air du temps qui utilise le compteur de Dauphine installé dans une planche de bord redessinée à la manière de la Renault Floride. Début 1960, les Alpine A108 reçoivent des déflecteurs vitrés sur les portes.
Par petites touches, la production de RDL s'affine alors que le Coach produit par la carrosserie Chappe & Gessalin reste dramatiquement figé. Il est temps pour Alpine de se détacher définitivement de la 4CV afin de présenter une modernité plus en phase avec ce changement de décennie. Il est également vital pour Jean Rédélé d'augmenter la production sous peine de fermer boutique. Ainsi, c'est encore la base du cabriolet Michelotti qui va permettre à un jeune styliste dieppois âgé de 17 ans d'imposer le nouveau style de la maison Alpine. Au Tour de France Auto 1960, la première Berlinette Alpine fait une apparition remarquée. C'est elle qui va désormais porter les couleurs sportives de la marque au détriment du Coach qui vit ses dernières heures. Rapidement, les versions à phares droits vont passer la main aux versions à phares englobés inspirées par le dessin de la Berlinette. Sur le stand Alpine du salon de l'auto 1960, toute la gamme affiche le nouveau visage. En effet, même le coach Chappe n'est plus exposé car remplacé par une toute nouvelle variante : le coupé A108 2+2 !
ALPINE A108 2+2
Sentant la fin de vie inéluctable du Coach A106/A108 produit dans son atelier, la carrosserie Chappe propose à Jean Rédélé une inédite 4 places sportive construite sur un châssis-poutre maison. L'A108 2+2, souffre toutefois d'une ligne déséquilibrée qui n'enthousiasme pas spécialement Jean Rédélé. Mais ce nouveau modèle qui ne lui a rien coûté permet d'élargir encore l'offre commerciale d’Alpine. Raison pour laquelle l'A108 coupé 2+2 est intégrée au catalogue dès 1961. Moins d'une centaine d'exemplaires de ce modèle seront produits faute de succès commercial, mais le principe du coupé 2+2 restera présent chez Alpine, l'A108 2+2 devenant ensuite GT4 (type A108L et A110L) puis avec les A310 et GTA jusqu'à la denière A610.
1961 marque aussi une évolution majeure pour Alpine puisque le châssis plateforme de la 4CV est abandonné au profit d'un châssis-poutre maison qui augmente la rigidité tout en abaissant le poids. L'Alpine A108 prend enfin son envol commercial en profitant désormais du succès de la Berlinette Tour de France intégrée au catalogue et du contrat de production sous licence à l'étranger (voir encadré sur la Willys Interlagos) améliorant la rentabilité. Alpine va profiter de l’arrivée du nouveau moteur 956 cm3 à 5 paliers chez Renault pour surprendre le grand public lors du salon de l'Auto de 1962. Avec une Berlinette qui inaugure la nomenclature A110, Alpine vient ni plus ni moins de mettre au point la sportive la plus mythique de son histoire ! Dans la foulée, le cabriolet A110 remplace son homologue A108 mais conserve la grille arrière originelle. L'A108 2+2 reçoit également le nouveau moteur et subit une mutation plus importante. Jean Rédélé allonge son empattement et modifie tout le dessin de la partie arrière. Cette nouvelle 2+2 devient commercialement l'A110 GT4. Au millésime 1963, les motorisations Dauphine et Dauphine Gordini sont abandonnées, ces modèles étant suppimés du catalogue Renault. Pour 1964, on retrouve de série la direction plus directe, la suspension mille miles, un radiateur avant et une boîte 4 vitesses de série. Sur demande le 998 cm3 peut recevoir une culasse hémisphérique à 1 ou 2 carburateurs. Au millésime 1965, l'Alpine A108 Berlinette tire officiellement sa révérence après avoir adopté les freins à disques de la R8.
WILLYS INTERLAGOS
Le concept de l'export chez Alpine est né avec l'objectif d'abaisser le coût de l'investissement en multipliant les sites de production sous licence. Bientôt Rédélé va trouver un nouveau débouché au Brésil avec la société Willys-Overland, après une première tentative infructuseuse en Belgique (environ une cinquantaine d'Alpine A106 Coach produites par l'industriel Small de fin 1957 à février 1962). La Willys Interlagos, soeur jumelle de l'Alpine A108/A110, sera ainsi produite à 822 exemplaires, de 1962 à 1966, dans les carrosseries coupé, cabriolet et berlinette. Ensuite ce sera au tour de l'A110 d'être fabriquée au Mexique (Dinalpine) ou encore en Espagne (Fasa) ou en Bulgarie (Bulgaralpine).
L'ALPINE A108 EN COMPETITION
En compétition, la berlinette conserve le moteur de l'A106 pour des raisons de règlement (catégorie 750 cm3). La première sortie officielle de l'A108 remonte au Tour de France auto en 1960. Malheureusement, la première voiture engagée abandonne suite à un bris de boîte de vitesse et la seconde à cause d'un piston crevé. Néanmoins, la marque persiste à engager sa berlinette en course, malgré de faibles budgets et de simples victoires de classe (1953 : Liège-Rome-Liège, 1956 : Coupe des Alpes, 1956 : Mille Miglia). A partir de 1963, Renault s'engage à fournir des moteurs préparés par Amédée Gordini et à soutenir financièrement Alpine en rallye. En 1963, l'A108 décroche une victoire au Rallye d'Automne de La Rochelle puis en 1964 au Rallye Monte-Carlo, en catégorie 1000 cm3. Cet accord va amener Alpine à être présent sur d'autres fronts, en endurance mais également en Formule 2 et Formule 3 avec des monoplaces. eC'est désormais au tour de la berlintte A110 de prendre le relais et inscrire fièrement son nom !
CHRONOLOGIE ALPINE A108
1958 : Sur la base du châssis de la 4 CV, Alpine ajoute à son offre le type A108 (moteur 845 cm3 de Renault Dauphine) sur le coach produit par Chappe & Gessalin et le cabriolet produit par RDL (à phares droits)
1959 : Arrivée du coupé-sport produit par RDL sur la base du cabriolet. Apparition du 998 cm3 de 70 ch SAE de la Dauphine Gordini.
1960 : RDL engage sa nouvelle Berlinette au Tour de France.
Un peu plus tard, le cabriolet et le coupé-sport A108 reçoivent la face avant de la berlinette.
1961 : La Berlinette est intégrée au catalogue ainsi que le coupé 2+2 produit par Chappe & Gessalin. Le coach A108 est arrêté. Tous les modèles adoptent un châssis-poutre. Production sous licence de la Willys Interlagos (cabriolet, coupé et berlinette).
1962 : Lancement de la Berlinette A110 avec le nouveau moteur 956 cm3 à 5 paliers de Renault. Le coupé 2+2 A108 est rallongé et devient A110 GT4.
1963 :
Fin de la production du cabriolet et du coupé-sport A108.
1965 : Montage des freins à disques et fin de la production de la Berlinette A108 (y compris Interlagos A108).
PRODUCTION ALPINE A108
A108 "phares droits" : environ 300 exemplaires
A108 "phares englobés" : environ 1200 exemplaires
Willys Interlagos : 822 exemplaires (A108 + A110)
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES
ALPINE A108 R1062 / R1063 Mille Miles
MOTEURType : 4 cylindres en ligne, 8 soupapes
Position : porte-à-faux AR
Alimentation : Carburateur Solex
Cylindrée (cm3) : 845 / 904 / 998
Alésage x course (mm) : 58 x 80 / 60 x 80 / 63 x 80
Puissance maxi (ch SAE à tr/mn) : 37 à 4250 / 53 à 5000 / 70 à 6200
Couple maxi (Nm à tr/mn): 65 à 3300
TRANSMISSION
AR
Boîte de vitesses (rapports): manuelle (4) / (5)
ROUES
Freins Av-Ar (ø mm) : tambours
Pneus Av-Ar : 135x380 / 145x380 / 145 x 380
POIDS
Données constructeur (kg) : 600
Rapport poids/puissance (kg/ch) : 16,2 / 11,3 / 8,6
PERFORMANCES
Vitesse maxi (km/h) : 145 / 153 / 185
CONSOMMATION
Moyenne (L/100 Km) : 8,5
PRIX NEUF (1959) : 1.150.000 FF
COTE (2012) : 25.000 €
PUISSANCE FISCALE : 5 CV
CONCLUSION
:-) La première berlinette ! Moteurs plus performants que sur l'A106 Châssis-poutre généralisé Carrosseries RDL plus séduisantes Originale et rare version 2+2... |
:-( ... mais au dessin ingrat Versions difficiles à distinguer Annonces rares Condamnée à rester dans l'ombre de l'A110 |
Introduisant la première Berlinette, l'Alpine A108 ne jouit pas du palmarès ni de la réputation de sa descendante l'A110. Elle représente pourtant un jalon majeur dans l'évolution de la marque Alpine et permet d'accéder notamment au mythe Berlinette à moindre coût. La vraie difficulté restant d'en trouver une !
Remerciements au site alpine-passion.com pour ses informations.