© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (30/03/2006)
NOUVELLES AMBITIONS !
Malgré
les succès enregistrés par la Berlinette Alpine A 110, il est temps
pour Alpine et pour Renault de ratisser plus large. L'Alpine A110 présente
d'indéniables qualités sportives, mais sa diffusion ne peut rester
que limitée en raison de son caractère et de son format. L'heure
est donc venue pour Jean Rédélé et son équipe d'envisager
de faire évoluer la gamme Alpine. La référence à suivre
(et peut être à battre) est bien entendu la Porsche 911. L'Alpine
A310 débutera donc sa carrière en 1971 avec un quatre cylindres
seulement puisque le V6 PRV n'était alors pas encore disponible. Mais n'allez
pas penser que l'Alpine A310 1600 VE est une Alpine au rabais, au contraire...
Texte : Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R.
Malgré la renommée
de la marque Alpine grandissante dans les années 60, avec des Berlinettes Alpine
A110, la petite firme de Dieppe est à l'orée de l'industrialisation.
Pour survivre dans ce monde automobile si impitoyable pour les petits constructeurs,
il n'y a que la croissance qui est gage de pérennité. Jean Rédélé
et son équipe démarrent alors le projet d'une nouvelle Alpine dès
1968. Lié par son contrat avec la Régie Renault,
Alpine doit donc se contenter des mécaniques existantes dans le groupe.
Pas évident alors de concevoir une GT performante et véloce avec
pour moteur le plus performant, le type 807 qui équipait déjà
les berlinettes Alpine A110 1600 S. Porsche, le grand rival longtemps pris pour
étalon, proposait en effet depuis les années 60 une GT dotée
d'un 6 cylindres noble et mélodieux, d'une ligne devenue un grand classique
et surtout d'une finition et fiabilité à toute épreuve. Alpine
pour sa part devait patienter pour la sortie effective du futur V6 PRV conçu
en partenariat entre Renault, Peugeot et Volvo. Toute la petite équipe
de Dieppe va donc travailler d'arrache pieds pour développer et concevoir
la nouvelle Alpine A310 1600. Malheureusement, différents retards liés
soit à des fournisseurs, soit à Renault (pour la fourniture des
moteurs, éléments de suspension et boîtes) soit à des
errements techniques ont contraint Jean Rédélé à commercialiser
son Alpine A310 1600 VE avec quelques détails à revoir. Après
la présentation au salon de Genève en mars 1971, les livraisons
clients interviendront en septembre de la même année. Quelques soucis
seront à déplorer pour les premiers clients dont les interventions
seront prises en charge par la garantie constructeur. Cela ne va pas arranger
les finances de la firme de Dieppe, dont la situation avait déjà
pressé la commercialisation des Alpine A310. Le rachat d'Alpine par la
Régie Renault interviendra d'ailleurs en 1974. Trop longtemps, l'Alpine
A310 1600 a été considérée (à tort) comme une
Alpine transitoire ou bas de gamme. Pourtant, il n'en est rien et elle est peut
être l'Alpine A310 la plus sportive du lot, la version A310
V6 jouant plus dans la catégorie GT. Finalement, l'Alpine A310 1600
VE est bien le chaînon entre la Berlinette Alpine A110 et l'Alpine A310
V6
DESIGN
Dès 1968, Yves Legal et Marcel Béligond
vont déterminer les grandes lignes de l'Alpine A310. Restera ensuite à
figer tous les détails. Certains choix seront d'ailleurs dictés
à la dernière minute par notre service des Mines, toujours aussi
enclin à empêcher les constructeurs français d'innover. Ainsi,
les feux arrière devront changer de place pour redescendre sous le pare-chocs
(alors qu'ils étaient totalement intégrés dans la poupe),
et les persiennes (alors très en vogue dans les années 70) ont été
purement et simplement refusées. Un des paramètres importants qui
a dicté la ligne de l'Alpine A310 est bien entendu son implantation mécanique.
Le moteur en porte-à-faux arrière impose un arrière imposant
et un habitacle avancé vers l'avant pour pouvoir ménager 2+2 places.
Malgré cela, la proue de l'Alpine A310 1600 VE est très fine et
agressive. Un des traits caractéristiques est la batterie de six phares
cachée derrière du plexiglas. Deux prises d'air Naca sont apposées
de chaque côté du capot au ras de la baie de pare-brise. Au fil des
millésimes, ces prises changeront de positionnement. De profil, l'Alpine
A310 1600 VE possède une ligne très pure et est traversée
par une ligne. La découpe des vitres de custodes reprend les thèmes
des dessins de Legal et Béligond, tandis que des petites prises d'air sont
là pour alimenter le moteur en air frais. Les jantes alu sont celles partagées
avec les Berlinettes Alpine A110 contemporaines. A l'arrière, seule la
position des feux arrière semble rapportée grossièrement
(puisque non prévu à l'origine) et reprise du catalogue Renault.
Petit détail très révélateur de l'indépendance
encore relative d'Alpine, un macaron Alpine bleu et blanc est apposé sur
chaque flanc au-dessus des roues arrière tandis que l'inscription "
Renault " n'est posée que sur la poupe en complément de la
marque " Alpine ".
HABITACLE
Dans l'habitacle, la place est toujours comptée,
mais un gros effort a néanmoins été apporté. Désormais
de vraies (petites) places arrière sont aménagées, tandis
que les sièges baquets avant sont plus cossus que sur les berlinettes A110.
La position de conduite est très typée Alpine avec le pédalier
décalé légèrement vers la droite et le volant qui
n'est pas, lui non plus, aligné avec le siège. Pour le reste, le
levier de vitesse tombe idéalement sous la main, et les sièges offrent
un bon maintien. La planche de bord initiale, prévue pour être anti-reflet,
a finalement été abandonnée pour des difficultés de
lisibilité des instruments de bord pour une planche de bord plus classique.
On notera la position originale de l'autoradio situé sur la console centrale
dans le sens de la hauteur ! C'est avec ce genre de détail que l'on perçoit
mieux l'exiguïté de l'A310 1600 VE. La finition est moyenne et la
grosse moquette notamment vieillira assez mal.
MOTEUR
C'est le
moteur " Cléon alu ", type 807, qui fut monté sous le
capot arrière de l'A310 VE. Ce moteur avait fait ses premières armes
avec la Renault 16 TS. L'intérêt de ce bloc pour les automobiles
sportives, était son poids réduit en raison de sa fonderie en aluminium
et ses prédispositions pour être amélioré tout en conservant
une certaine fiabilité. D'ailleurs, Colin Chapman lui-même, adepte
intégriste de la légèreté pour ses Lotus,
s'était alors laissé séduire par cette mécanique pour
motoriser sa Lotus Europe. Le moteur type 807 avait été revu pour
pouvoir équiper avec brio la Renault
12 Gordini. Avec sa longue course, ce moteur était particulièrement
apprécié des sportifs. Sur l'Alpine A310, bien qu'il soit repris
presque intégralement, le moteur subit quelques modifications. Sa cylindrée
passe à 1605 cm3 contre 1565 cm3 sur la R12 Gordini par l'augmentation
de l'alésage de 77 à 78 mm. L'admission et l'échappement
sont également retravaillés (soupapes plus grosses), un arbre à
cames plus pointu permet l'ouverture allongée des soupapes et un collecteur
spécial reçoit deux carburateurs double corps horizontaux Weber
45 DCOE sans starter (qui seront rapidement remplacés par des Weber 40
DCOE). Enfin une tubulure d'échappement directe Autobleu autorise une évacuation
des gaz optimale et rapide. Les moteurs étaient livrés à
Dieppe dans cette configuration directement par Renault. La boîte de vitesse
provient de la Renault 12 Gordini avec quelques modifications sur certains rapports
et couples coniques différents. Les performances pour l'époque étaient
flatteuses, malgré une mécanique ayant moins de noblesse sur le
papier que certaines rivales huppées de l'A310 1600 VE (Porsche
911 2 litres, Maserati Merak, Citroën
SM
). Avec une vitesse de pointe de plus de 200 km/h, l'aérodynamisme
de l'Alpine n'est plus à démontrer. Comptez moins de 30 secondes
pour le kilomètre départ arrêté et moins de 9 secondes
pour le 0 à 100 km/h. Des performances, qui, aujourd'hui encore permettent
de se faire plaisir dans une ambiance encore non aseptisée.
CHASSIS
Pas d'Alpine sans châssis poutre ! On peut d'ailleurs affirmer cela avec
certitude, puisque malheureusement les dernières Alpine produites, les Alpine
GTA et les Alpine
A610, furent toujours équipées de châssis poutre et que
depuis la marque a cessé d'exister. L'intérêt de cette technique
est d'avoir un rapport résistance-rigidité-poids-prix qui est difficile
à battre. D'ailleurs, Claude Poiraud et Gérard Godefroy s'inspireront
du châssis poutre Alpine pour la Venturi 200. C'est par cette poutre
(à l'intérieur en fait) que passent les canalisations du circuit
de refroidissement (le radiateur étant devant et le moteur derrière)
et la tringlerie de boîte. Fini l'essieu arrière brisé des
Berlinettes A110. Désormais, l'Alpine A310 possède un train arrière
à double triangulation à carrossage constant, inspiré de
la compétition. Une solution retenue qui en dit long sur les ambitions
de Dieppe pour son Alpine A310. Le train avant est également à double
triangulation reprenant les éléments supérieurs de la R12 Gordini. L'intérêt de cette solution technique pour l'A310 est
une finesse et une rigueur de comportement routier accrues. En revanche, l'Alpine
A310 1600 VE exige donc des réglages adaptés et ne souffre pas l'à
peu près en la matière, sous peine de conduite délicate.
Ce fut d'ailleurs un des problèmes sur les autos de lancement, insuffisamment
au point mais donc la commercialisation à été hâtée
(Cf. plus haut). Rapidement une image injustifiée de mauvaise tenue de
route affecta alors les Alpine A310 1600 VE qui possèdent pourtant certainement
une des tenues de route les plus équilibrées et efficaces de la
généalogie Alpine. Quatre freins à disques repris de la Renault
12 Gordini à l'avant et de la Renault 16 TS à l'arrière sont
montés d'office. La dimension des disques et le double servofrein seront
modifiés au fil des millésimes. La direction à crémaillère
est celle de la Peugeot
504 et est placée en avant des roues. Ces dernières en alliage
léger sont d'un diamètre de 13 pouces et chaussées de pneus
Michelin XAS FF (AV 165/13 - 70 et AR 185/13 - 70). On l'a dit, une Alpine A310
1600 VE bien réglée est une sportive des plus efficaces. Son châssis
est alors très rigide et lit admirablement la route. La compacité
de l'Alpine A310 1600 VE, son poids contenu et sa direction directe contribuent
également à cette tenue de route digne d'une voiture de compétition.
Nous sommes alors loin du comportement pointu des voitures à " sac
à dos " dotées certes d'un V6 plus puissant et performant,
mais d'une répartition des masses dégradée (40% AV et 60%
AR pour l'Alpine A310 1600 VE et 33% AV et 67% AR pour l'Alpine A310 V6 2700 VA).
Dommage donc que l'Alpine A310 1600 VE n'ait connu qu'une carrière en demi-teinte,
altérée par la crise pétrolière et la situation financière
précaire d'Alpine.
ACHETER UNE ALPINE A310 1600 VE
Son statut d'anti-star n'a pas permis à l'A310 1600 VE de connaître
un statut serein et connu en collection. Très longtemps, les Alpine A310
1600 VE servirent de faire valoir à ceux qui n'avaient pas les moyens de
s'acheter une Alpine A310 V6 (un peu à l'instar des Porsche
912 pour les Porsche 911). Il n'était pas rare alors de voir de nombreuses
Alpine A310 1600 VE avec des kits carrosserie de V6, voire de Pack GT mis après
coup. Aujourd'hui, les choses ont changé. Heureusement. Les Alpine A310
1600 VE commencent à sortir de la période trouble pour revenir à
l'avant scène. D'ailleurs, cela se ressent immédiatement sur leur
cote où certains modèles, en parfait état d'origine et de
fonctionnement, atteignent les 12 000 euros, soit le prix de certaines Alpine
A310 V6 première version. Sinon on en trouve à partir de 6000 euros
dans un état correct. Les Alpine A310 1600 VE sont les plus recherchées
des Alpine A310 1600 en raison de leur caractère affirmé comparé
à aux VF et VG. L'entretien sur les Alpine reste simple et accessible,
tant pour les prix des pièces, pour les documentations techniques que pour
le réseau Renault très présent. Toutefois, n'imaginez pas
amener votre Alpine chez le premier atelier Renault sans leur poser la question
avant sur leurs connaissances et volontés de réparer et entretenir
des vieilles Alpine. Le réglage des deux carburateurs double corps Weber
est notamment délicat à faire et très souvent les jeunes
mécaniciens n'apprennent plus à l'école comment marchent
des carburateurs. Peu répandues dans les petites annonces, les A310 1600
VE doivent être donc guettées, et en bon état, car sinon les
coûts de restauration dépasseront très largement la valeur
marchande de l'auto. Par ailleurs tous les carrossiers ne sont pas toujours experts
pour travailler le polyester. Il faut donc rester vigilant à l'achat puis
ensuite sélectionner avec minutie son garagiste.
CHRONOLOGIE ALPINE A310 1600 VE
1971 : Le 11 mars, présentation au salon de Genève de la
nouvelle Alpine A310 1600.
En septembre interviennent les premières
livraisons aux clients.
En fin d'année, l'embrayage ainsi que les carburateurs
seront modifiés plusieurs fois. Suppression des répétiteurs
de clignotants des ailes avant.
1972 : De nombreuses modifications interviennent
sur le modèle.
1973 : De nombreuses modifications interviennent
sur le modèle (châssis et équipement).
En mai, Alpine commercialise
l'A310 1600 VF avec système d'injection en lieu et place des carburateurs.
Le
1er juin, Renault rachète Alpine.
1974 : Arrêt de la commercialisation
des Alpine A310 1600 VE, les versions VF à injection électronique
étant désormais commercialisées en France.
1975 : Fin des versions Alpine A310 1600 VF et commercialisation des versions Alpine
A310 1600 VG.
1976 : Arrêt de commercialisation des Alpine A310
1600, la version V6 arrivant.
PRODUCTION ALPINE A310 1600 VE
1971 : 120 exemplaires
1972
: 575 exemplaires
1973 : 432 exemplaires
1974 : 128 exemplaires
TOTAL
Alpine A310 1600 VE : 1255 exemplaires
TOTAL Alpine A310 1600 tous types :
2340 exemplaires
Chiffres extraits du très bon ouvrage de Frédérick
Lhospied "Alpine A310".
A LIRE :
Alpine A310 - Guillaume Maguet - ETAI
Longtemps restée dans l'ombre de l'A110, l'Alpine A310 sera vendue à ses côtés jusqu'en 1977. Retrouvez son historique, de sa conception jusqu'aux modèles quatre-cylindres, puis six-cylindres. Chaque année de production amène son lot de modifications. Apprenez à différencier une A310 d'une autre. Modèle après modèle, les diverses manières de déterminer les versions de l'A310. Un bon complément du chapitre précédent sur l'évolution de l'Alpine. Livret d'utilisation perdu ? Ce chapitre permet de retrouver l'essentiel des explications sur le fonctionnement des instruments de bord des A310 quatre-cylindres et six-cylindres. Réglages, démontage, explications de fonctionnement et astuces de réparation sont décrits ici. Mais aussi l'entretien courant, le freinage, l'échappement... avec une estimation du temps passé et de la difficulté de l'opération.
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CONCLUSION
L'Alpine A310 1600 VE commence à se faire un nom
dans le milieu de la collection Alpine. C'est amplement mérité tant
cette auto est pétrie de qualité. A commencer par son châssis
digne d'une auto de course que l'on ne retrouvera plus après sur une Alpine.
Pas encore trop chère à l'achat, d'une fiabilité correcte
à condition de l'utiliser régulièrement, et dotée
d'un blason que de nombreux nostalgiques refusent d'oublier, l'Alpine A310 1600
VE pourrait bien être l'auto de demain avec une cote à la hausse.
Les sorties clubs sur circuit devraient mettre en valeur cette belle de Dieppe... |