FORD MUSTANG (6) Bullitt (2018 - )
La grande évasion
Icône de l'Amérique des baby-boomers, la Ford Mustang est aujourd'hui encore la voiture de sport la plus vendue au monde. Un succès dû en grande partie à une politique commerciale visant à proposer un rapport prix/performances défiant toute concurrence. Mais cette recette née dans les années 1960 a-t-elle encore sa place au 21ème siècle ?
Texte & photos : Sébastien DUPUIS
En 1908, Henry Ford a déclaré « je construirai une voiture automobile pour le plus grand nombre ». Quelques mois après démarrait la production de son modèle T, première automobile populaire de l'histoire qui ouvrira la démocratisation de ce nouveau mode de déplacement dans le monde moderne. Cette devise, Ford y est resté fidèle depuis toujours à quelques rares exception près, telles que la Ford GT.
Beaucoup moins élitiste, la Mustang est bien celle qui a mis la performance et le style à la portée du plus grand nombre d'américains. Au début des années 50, une frange de jeunes américains dont le pouvoir d'achat a été boosté pendant la guerre cherchent de nouvelles sources de plaisir et l'automobile en fait partie. En plein "Americain Way of Life", beaucoup commencent à se tourner vers les voitures de sport principalement anglaises, italiennes ou allemandes, comme un nouvel art de vivre la route. Ayant senti le vent tourner, Ford dégaine la Thunderbird en 1955 pour répondre à la Chevrolet Corvette. C'est sa première voiture de sport mais, malgré le succès, elle reste un peu trop luxueuse.
Il faut attendre le début de la décennie suivante pour que la pony-car de Ford transforme la tendance en phénomène de société. Un phénomène qui va évidemment trouver rapidement sa place au cinéma. Le film Bullitt, porté par la performance de Steve McQueen, est probablement celui qui a le plus contribué à l'aura dela Mustang, voilà 50 ans. Une aura qui permet encore à Ford d'en tirer profit aujourd'hui. Bien qu'ayant connu un revival assez inattendu depuis une décennie, le clan des Muscle Cars né aux USA paraît pourtant de plus en plus anachronique dans un monde où la chasse au gaspillage d'une ressource énergétique encore bon marché devrait devenir la règle numéro 1 de l'industrie. Mais tout miser sur des aspects rationnels en occultant le champ émotionnel ne peut que difficilement s'imposer au genre humain...
LA MUSTANG DE BULLITT
Sorti en salles le 17 octobre 1968 aux Etats-Unis, Bullitt fait partie des films cultes pour tous les fans d'automobile et de Steve McQueen. Si ce polar réalisé par Peter Yates
est entré dans la légende, ce n'est pas tant pour son scénario assez quelconque, ou son casting de luxe, que grâce à une extraordinaire course-poursuite de presque 10 minutes, filmée en décor naturel dans San Francisco. Portées par la musique jazzy-funky de Lalo Schifrin, les deux premiers rôles motorisés que sont la Ford Mustang Fastback GT 390 verte et la Dodge Charger noire volent pour ainsi dire la vedette au "king of cool" lui-même. McQueen avait beaucoup insisté pour que les poursuites et cascades aient l'air réelles et il ne sera pas déçu. Pour le tournage, le studio de production Warner Bros. commanda à Ford deux Mustang identiques, peintes en couleur vert Highland. Elles portent d'ailleurs des numéros de châssis consécutifs (558 et 559), choses extrêmement rare. Les deux voitures seront ensuite envoyées chez le préparateur Max Balchowsky pour des modifications en vue des scènes d'action (arceau, pont court, suspensions durcies, etc.). La rumeur raconte que Ford aurait également fourni deux modèles Galaxie pour les voitures des méchants mais que, celles-ci étant trop lourdes pour réaliser les sauts correctement, elles auraient finalement été remplacées par la célèbre Dodge Charger V8 440 Magnum. Le deal publicitaire n'étant pas respecté, Ford aurait alors annulé sa participation financière et, en réaction, McQueen aurait donc décidé de supprimer tous les logos Ford des Mustang... La n°558 ayant servi aux cascades, pilotée principalement par le cascadeur Bud Ekins et non McQueen pour une question d'assurances, fut revendue à l'issue du tournage. On perdit sa trace durant près de 40 ans avant de la retrouver en 2017, à l'état d'épave dans une casse au Mexique ! La seconde voiture a été précieusement conservée par Robert Kiernan depuis 1974, celui-ci refusant même de la revendre à McQueen. Aujourd'hui c'est son fils qui continue à prendre soin de cet héritage très convoité...
PRESENTATION
Pour éviter de passer en revue le restylage de la Mustang déjà abordé, allons à l'essentiel de cette édition Bullitt. Au premier abord, on reste en face d'une Mustang GT avec un peu de déco. La recette est bien connue puisque c'est en effet la troisième Mustang Bullit de l'histoire, les précédentes datant de 2001 et 2008, respectivement sur la base des Mustang MkIV et MkV. Cependant, les quelques touches d'exclusivité donnent une véritable personnalité à cette série limitée.
Parmi les gènes communs à toutes les Bullitt, on retrouve en premier lieu la mythique couleur "Highland green" sur la carrosserie mais cette sixième génération peut aussi se couvrir de noir "Shadow Black". Dans les deux cas, la peinture métallisée est donc incluse. Le désiglage des logos, Ford sur la calandre noire et GT à l'arrière remplacé par un logo Bullitt stylisé, a également été reconduit pour respecter la tradition. Comme ses devancières, la génération 2019 se distingue enfin par des jantes exclusives à cinq branches "Torq Thrust", peintes en noir et finies avec un bord poli, clin d’oeil à la Fastback du film.
HABITACLE
L’intérieur de la Mustang restylée comporte un combiné d’instruments désormais totalement numérique et proposant plusieurs modes d'affichages. La finition Bullitt s'accompagne en série d'une sellerie cuir et de sièges chauffants et climatisés ainsi que d'un système audio haut de gamme B&O PLAY à 12 haut-parleurs. Les coutures des sièges, de la console centrale et du tableau de bord sont assorties à la couleur extérieure et chaque Mustang Bullitt reçoit une plaque individuelle numérotée, remplaçant le traditionnel symbole Mustang sur le tableau de bord, ainsi que des seuils de portes siglés Bullitt. Le volant est également dépourvu de son cheval, remplacé par un logo Bullitt en forme de cible.
Enfin, vous aurez remarqué le fameux pommeau de vitesse blanc façon "boule de billard", inspiré de l'originale. Dommage que ce soit du plastique, un peu cheap au toucher. Dans l'ensemble, la qualité des matériaux à bord de la Mustang est d'ailleurs moyenne, mais compte tenu du tarif on s'accommode volontiers d'une finition moins léchée qu'à bord d'une Porsche 991... En option, on pourra choisir des sièges baquets Recaro mais même sans, la position de conduite est excellente et le maintien très correct.
MOTEUR
Mécaniquement, la nouvelle Bullitt ne se distingue pas non plus énormément du modèle de série, déjà bien pourvu avec son V8 5 litres "Coyote" Gen3 (voir notre essai de la Mustang 5 GT restylée pour les détails techniques). Les motoristes Ford ont toutefois cherché à amplifier le caractère du V8 en adoptant une admission d'air directe. Pour accompagner le meilleur débit d'air, le collecteur hérité de la Shelby GT350 améliore lui aussi le débit d'air et le papillon prend un diamètre de 87 mm.
Le premier effet est une augmentation symbolique de la puissance de 10 ch, à régime identique, tandis que la valeur de couple maxi homologuée demeure inchangée à 4600 tr/mn. Mais ne vous fiez pas aux apparences car la se muscle malgré tout entre 4800 et 7400 tr/mn. Par ailleurs, comme avec toute admission de ce type, le gain obtenu en matière de volume sonore est aussi mesurable, et quel régal ! Voilà qui vient s'ajouter au système d'échappement à clapets, déjà de série sur la Mustang V8 restylée, comme la cerise sur le gâteau. Evoluer en ville et se faire caresser les oreilles par les glouglous du V8 vous plonge immédiatement dans les scènes du film et son inimitable parfum suranné d'Amérique des années 70... Mais ce bloc, par ailleurs très moderne, est aussi capable de gravir les sommets du compte-tours avec plus d'allégresse que par le passé. La zone rouge fixée à 7400 tr/mn n'est pas là pour faire joli, ça pousse fort et longtemps !
La Mustang Bullitt est uniquement livrée avec la boîte manuelle à six rapports. Ford a même renforcé le plaisir du levier en ajoutant un "rev matching", sorte de double-débrayage automatique, pour ajouter un petit coup de gaz au rétrogradage. C'est certes un peu artificiel mais franchement plaisant ! Ajoutons à cela que le maniement du levier, rapide et précis comme celui d'une Focus RS et non typé camion comme dans une Corvette, contribue directement au plaisir de changer les rapports. Et ce, même si l'étagement long (la boîte est techniquement une 4+2) de cette boîte Getrag MT82 n'y invite pas souvent.
Enfin, il nous semble important d'évoquer le sujet sensible de la consommation pour remettre en perspective certaines idées reçues. En effet, nous avons relevé sur notre essai une moyenne d'environ 12 L/100, similaire à celle annoncée par Ford. Il apparâit donc deux choses en pratique : tout d'abord, que la nouvelle norme WLTP se montre tout à fait réaliste dans ce cas précis, mais aussi qu'elle ne pénalise pas ceux qui ne trichaient pas...
SUR LA ROUTE
La météo de décembre nous a gâtés pour cet essai avec des conditions froides et humides pas vraiment idéales pour exploiter le plein potentiel d'un V8 de 460 ch. Qu'importe, il faut savoir s'en accomoder, comme pour la séance photos, ce n'est pas toujours un métier facile...
Heureusement, Maxime avait déjà eu l'occasion de tester pleinement la Mustang GT restylée sur sol sec et pour avoir essayé la phase 1 en Ecoboost, je savais à peu près à quoi m'attendre. C'est donc l'occasion de voir que, dans ces conditions, avec l'aide d'excellents Michelin PS4S et d'une électronique bien calibrée, la Mustang V8 se conduit tout aussi sereinement, pour peu qu'on évite d'appuyer comme un imbécile avec le volant braqué et l'ESP désactivé...
Aux antipodes d'une Muscle Car "old school" des années 70 qui excellait surtout en ligne droite, cette 6ème génération de Mustang en capte subtilement l'esprit pour n'en retenir que l'essentiel et l'infuser à bord d'un coupé sportif contemporain. Cette version apparaît ainsi, et d'assez loin, comme la plus aboutie, la plus efficace et par conséquent la plus plaisante. Mais soyons francs, la différence de puissance est totalement imperceptible et c'est essentiellement le bruit du moteur, plus présent, qui ajoute un peu d'intérêt à cette série limitée.
Les éloges se prolongent en matière de freinage, mordant et puissant, ou encore d'amortissement qui, ici avec l'option MagneRide, concilie superbement le confort et le maintien de caisse. Une tâche pas si facile compte tenu des quelques 1900 kg en mouvement, conducteur et passager à bord. Mais tout ça vaut aussi pour la Mustang GT.
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Au moment du choix, ce sera donc à vous de trancher. On peut se dire au premier abord que Ford tire une bonne grosse ficelle marketing pour augmenter significativement le prix de ce qui reste, globalement, une Mustang 6 GT restylée. Bien entendu, pour la différence de tarif, vous avez droit à quelques touches d'exclusivité et un caractère encore un peu plus addictif. Mais est-ce pour autant suffisant pour justifier un écart de tarif de 7000 € ? D'autant qu'à ce prix, on ne bénéficie pas de la suspension MagneRide (+2000 €) ni de la sellerie Recaro (+1800 €).
L'aspect à prendre en compte est peut-être moins passionnel que rationnel, sachant que la Bullitt bénéficiera potentiellement d'un effet "rareté" qui devrait lui permettre de conserver une valeur de revente significativement plus élevé qu'un exemplaire standard. Et ce, même si Ford nous avait caché qu'il s'agirait finalement d'une nouvelle finition du catalogue 2019 après avoir écoulé les 82 exemplaires de la série limitée...
Enfin, avec son gros V8 atmo, le coupé Ford était déjà lourdement malusé et par conséquent, "bonne" nouvelle, rien ne change en 2019 à ce niveau ! Malgré tout, la Ford Mustang GT offre toujours des performances de super sportive à prix d'ami comparé à ses rivales européennes. Profitez-en avant qu'il ne soit trop tard car un gros V8 abordable ça ne pourra pas durer éternellement...
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES
FORD MUSTANG (6) Bullitt
MOTEURType : 8 cylindres en V à 90°, 32 soupapes, double distribution indépendante à calage variable
Position : longitudinal AV
Alimentation : Injection indirecte multipoint
Cylindrée (cm3) : 5038
Alésage x course (mm) : 93 x 92,7
Puissance maxi (ch DIN à tr/mn) : 460 à 7000
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 529 à 4600
TRANSMISSION
AR + DGL
Boîte de vitesses (rapports) : manuelle (6)
ROUES
Freins Av-Ar (Ø mm) : disques ventilés (380), étriers fixes 6 pistons - disques ventilés (330), étriers flottants 1 piston+ ESP
Pneus Av-Ar : 255/40 - 275/40 R19
POIDS
Donnée constructeur (kg) : 1776
Rapport poids/puissance (kg/ch) : 3,9
PERFORMANCES
Vitesse maxi (km/h) : 263
400 m DA :
1000 m DA :
0 - 100 km/h : 4"6
CONSOMMATION
Moyenne homologuée (L/100 km) : 12.4
Moyenne de l'essai (L/100 km) : 12.1
CO2 (g/km) : 277
PRIX NEUF (01/2019) : 55 400 €
PUISSANCE FISCALE : 33 CV
CONCLUSION
:-) Look ! V8 enragé Sonorité dantesque Commande de boîte Performances Comportement équilibré Freinage Amortissement/confort du Magneride... |
:-( ...mais optionnel Hausse de tarif importante Boîte longue Poids |
Hommage à un film, hommage à un homme, hommage à une époque, hommage à un moteur, la Ford Mustang Bullitt nous embarque dans un voyage plein de nostalgie. Mais derrière cette vision passéiste d'un monde en pleine crise existentielle, la Mustang V8 cultive les paradoxes, à l'image de son pays d'origine, en se montrant parfaitement moderne et civilisée. Tel un fruit défendu dans le jardin d'Eden, goûter à ce V8 ravive la faiblesse humaine face au péché originel. On nous dit que c'est mal, et ça fait pourtant tellement de bien...
Nos remerciements aux scieries Leloup pour la séance photo.