© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (24/02/2012)
POWER AND BEAUTY
Un dessin italien, une luxueuse construction anglaise et un puissant moteur américain : c'est avec ces trois ingrédients que Jensen bâtit une voiture de légende, pionnier des grandes GT bourgeoises...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
C'est aux jeunes frères Richard et Alan Jensen, ingénieurs de formation, que l'on doit la création de la marque qui porte leur nom, après avoir uni leur savoir-faire avec la carrosserie Smith basée à West Bromwich en Grande-Bretagne dans les Midlands. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, ayant oeuvré pour le compte des plus grands constructeurs anglais, Jensen reprend la construction de voitures en son nom, marquant son orientation vers le segment du haut de gamme grâce au soin tout particulier apporté à ses réalisations. Le designer Eric Neale est recruté et signe la première Interceptor en 1950 puis quelques pièces maîtresses comme la Jensen 541, en 1955, qui se distinguait par son originale carrosserie en fibre de verre et ses quatre feins à disques. Enfin, on lui doit la C-V8 en 1962. Parallèlement, Jensen continue à travailler pour d'autres constructeurs, à l'instar de la Volvo P1800. Son heure de gloire va enfin sonner avec deux modèles tout à fait remarquables : l'Interceptor et la FF.
PRESENTATION
Quand le moment de remplacer la CV8 se présenta, Jensen fit appel à l'extérieur et demanda une proposition à la Carrozzeria Touring de Milan. Mais faute de pouvoir fournir les quantités demandées, Touring dû laisser la réalisation des éléments de la carrosserie en acier à Vignale. Ceux-ci étaient initialement montés sur les châssis directement en Italie mais les exigences de qualité de Jensen allaient bientôt compromettre le partenariat. Toute la production fût rapatriée en Angleterre, à l'usine Jensen de West Bromwich où arrivaient les panneaux emboutis et peints en Italie. La Jensen Interceptor voit le jour en 1966 lors du salon Earl's Court Motor Show, un an après la présentation du prototype P66. Ses lignes modernes habillent un châssis qui n'a pourtant rien de nouveau puisqu'il n'est qu'une évolution de celui de la C-V8. Un très long capot abrite la mécanique et à l'arrière, une gigantesque bulle vitrée fait office de lunette arrière. Cette lunette fait de l'Interceptor l'ancêtre des "aquariums roulants", bien avant la Pacer d'AMC ! À l'intérieur de l'Interceptor, les luxueuses carpettes en laine Wilton, ainsi que la finition à la main et le cuir Connolly omniprésent font partie des plus hauts standards de qualité anglaise et de fabrication à la main. L'accès à bord est très facile grâce aux larges portes et les places arrière, bien que restreintes, permettent également de conserver un volume de coffre très fonctionnel. Sa rivale toute désignée est la nouvelle Aston Martin DB6. A cette même période les frères Jensen se retirent de leurs activités et laissent le contrôle de la compagnie à l'américain Carl Duerr.
JENSEN NOVA
Michelotti dessine pour Vignale en 1966 une carrosserie en fibre de verre sur la base d'une Jensen Interceptor. Exposé au salon de Genève 1967, le prototype baptisé Nova restera un exemplaire unique, revendu en 1968 à un français. Entièrement rénovée depuis, au terme d'un travail de 17 ans, la Jensen Nova resurgit en 2000 au Meeting international de la Jensen Owners cup puis au Technoclassica à Essen en 2003. Considérablement allégée, la Nova utilise le V8 Chrysler 6.3 de 330 ch de série.
MOTEUR
La Jensen Interceptor Mk1 est mue par un V8 Chrysler de la famille B (Mopar) de cylindrée respectable avec ses 6276 cm3. Ce V8 délivre 330 BHP (brake horse power) SAE soit environ 335 ch au régime de 4600 tr/min avec un taux de compression de 10:1. Associé à la boîte automatique "Torque Flite" A-727 à 3 rapports, ou en option à la boîte manuelle à 4 rapports A-833, ce gros V8 incarnait la force tranquille d'un coupé 2+2 luxueux dont les performances étaient pourtant celles de sportives bien plus renommées telles que les Jaguar Type E, Aston DB6 et Porsche 911 S. L'Interceptor était une voiture formidablement rapide, véritable pionnière des GT modernes. Elle n'avait pour seules faiblesses que son poids élevé et sa consommation démesurée, heureusement compensée par le prix dérisoire du carburant avant les années 70. Hormis cela, ses performances étonnent encore aujourd'hui et le rugissement monstrueux de son V8 big block n'en finira jamais d'étourdir les oreilles automophyles ! Dès la mise en route le V8 prend aux tripes en explosant à travers la ligne d'échappement qui résonne quelques secondes des crépitements. Jugée un peu moins sportive que la C-V8, en raison de son poids élevé et d'une meilleure insonorisation, l'Interceptor en conserve les trains roulants, avec un essieu rigide à l'arrière et des ressorts semi-éliptiques complétés par une barre Panhard. Les amortisseurs Armstrong Selectaride sont réglables en dureté depuis l'habitacle mais la boîte automatique particulièrement lente n'encourage guerre à une conduite réellement sportive. La direction assistée et les quatre freins à disques se chargent quant à eux de faire oublier l'embompoint. La tenue de route est très équilibrée, faisant de la Jensen Interceptor une formidable machine à voyager. En ville, la docilité de sa mécanique qui glougloute au ralenti impressionne également au moins autant que sa consommation...
EVOLUTION
INTERCEPTOR MkII
En octobre 1969, après avoir modifié toute la suspension avant et le freinage (étriers Girling 3 pistons à la place des étriers Dunlop 2 pistons) sur les dernières Interceptor Mk1, l'Interceptor II (ou Mark 2) est lancée. Kjell Qvale est alors en discussions pour racheter l'entreprise Jensen à Carl Duerr dont le succès commercial est indéniable. L'Interceptor II est le modèle le plus influencé par ses décisions. Les feux arrière sont plus larges, les pare-chocs plus fins et la planche de bord est totalement redessinée avec une large casquettes englobant les cadrans marquant la fin des commutateurs à bascule sur la console centrale. Au chapitre des améliorations, on retrouve une ventilation plus efficace et l'apparition de la climatisation en option. Des modifications sont aussi faites au niveau des sièges de façon à améliorer le confort. Les jantes Rostyles en acier sont élargies (6J x 15) et les pneus Dunlop sont désormais à carcasse radiale (185 VR 15), ce qui contribue directement à l'amélioration du comportement de l'Interceptor. Enfin, le rapport de pont est modifié de 3.07 à 2.88:1 pour compenser la monte pneumatique un peu moins haute. Les ventes de Jensen Interceptor II sont en augmentation sensible, notamment au niveau des modèles exportés dont la part grimpe de 13% à presque 50% ! Les stars telles que Tony Curtis ou John Bonham (batteur de Led Zeppelin), sont nombreuses à succomber à ce mariage de puissance et de luxe.
JENSEN FF : LA PREMIERE GT INTEGRALE
La visionnaire Jensen FF, initiatrice des voitures hautes performances faciles à conduire, allait dans son malheur devenir le fondement d'une marque en quête de reconnaissance : Audi. Aujourd'hui mondialement connu, le système Quattro a fini par se généraliser à toutes les catégories de sportives, de la simple A1 à la supercar R8. On a souvent tord d'avoir raison trop tôt...
> Lire notre dossier sur la Jensen FF
INTERCEPTOR SP
En août 1971, l'Interceptor accueille une nouvelle version baptisée interceptor SP, en référence au moteur "Six Pack" de Chrysler/Dodge avec ses 3 carburateurs Holley à double corps. Avec un taux de compression poussé à 10.3:1 le V8 Chrysler 440 ci (7212 cm3) délivre 385 ch à 4700 tr/mn et fait de l'Interceptor SP le modèle le plus puissant jamais réalisé par Jensen et l'une des GT les plus rapides du monde. De nouvelles jantes 15" sont fabriquées spécifiquement par GKN pour accueillir de plus gros freins et des pneus plus larges (6.5"). Paradoxalement, au moment de son arrivée sous le capot de la Jensen, le gros V8 Six Pack fût déclaré illégal aux USA en raison de ses rejets polluants trop importants. En outre, il exigeait des réglages fréquents pour conserver une santé parfaite. Comble de la puissance et du raffinement, la Jensen Interceptor SP reçoit en série tous les équipements optionnels des Interceptor, incluant le système audio stéréo à 8 haut-parleurs, de nouveaux sièges et panneaux de portes , une console centrale restylée avec deux aérateurs supplémentaires. Seulement 232 exemplaires seront construits avant l'arrêt du modèle en 1973.
INTERCEPTOR MkIII
En octobre 1971, l'Interceptor III (Mark 3) est lancée parallèlement à la SP. La MkIII, première série, reprend l'ensemble des évolutions intérieures et extérieures de la SP à l'exception du V8 qui reste le Chrysler 383 ci. Ce modèle se caractérise notamment par ses nouvelles jantes GKN en alliage léger. Le vieux V8 383ci castré par les normes de pollution permet désormais de sortir à peine plus de 300 ch avec un taux de compression de 8.7:1. Il sera toutefois la seule offre jusqu'en mai 1972, date à laquelle il fût remplacé par Chrysler par une version à faible taux de compression (8.2:1) de son V8 440 ci type RB pour contrer la baisse de puissance. A cette époque le mode de calcul des puissances aux Etats-Unis évolue et ne prend plus en compte la puissance brute mais la puissance nette du moteur. La réalité est très cruelle pour le V8 440 ci qui dégringole ainsi de 335 à 225 ch ! Bien que très ancré dans la continuité du changement qui caractérise toute production artisanale, il est admis que l'Interceptor III porte la marque du nouveau propriétaire de Jensen à l'époque, l'importateur américain Kjell Qvale. De ce fait, il est facile de voir que les évolutions sont principalement orientées vers le marché des USA. Ainsi, depuis l'Interceptor II, la boîte automatique est la seule proposée. La palette de couleur s'enrichit considérablement, y compris avec certaines teintes très vives bien dans leur époque ! Au fil des ans, la série III verra son équipement de série enrichi mais très peu de modifications techniques (nouveau pont 3.07 en 1973). La Jensen Interceptor Mk III (séries (G, H, et J) est la plus répandue grâce à son très beau succès commercial, ses ventes ayant égalé celles des deux précédentes versions réunies. Mais en 1973, en plein choc pétrolier, la presse considère déjà la Jensen Interceptor comme un réel anachronisme... Jensen ne baisse pour autant pas les bras bien au contraire. Une toute nouvelle version est même sur le point de voir le jour !
INTERCEPTOR CABRIOLET
En mars 1974, une version convertible (décapotable) de l'Interceptor fait son apparition. En dépit de son surpoids causé par de nombreux renforts de structure et sa capote à ouverture hydraulique, elle accélérait aussi rapidement que la version coupé. Profitant d'une loi américaine finalement abandonnée, Jensen restait l'un des rares à proposer un cabriolet de luxe aux USA. L'Interceptor cabriolet sera produite à 467 exemplaires.
INTERCEPTOR SERIES 4 & 5
Visuellement identique à la Mk III, l'Interceptor III série 4 (et 5) lancée en octobre 1973 va représenter pour beaucoup l'âge d'or du modèle, ayant atteint un sommet dans son développement. Cette nouvelle version adopte de nombreuses modifications sous sa robe, à commencer par le moteur V8 Chevrolet 7L2 qui permet de remonter la puissance à 285 ch. Outre le logo "J" à l'arrière, une profonde refonte de l'intérieur est opérée avec le remplacement des éléments de planche de bord en plastique moulé par des pièces de cuir et ronce de noyer (précédemment en option) beaucoup plus valorisantes. Néanmoins, confronté à une forte inflation des prix des matières premières, Jensen se voit contraint d'augmenter ses tarifs autant que de rogner ses marges de façon critique. En 1974 les comptes de l'entreprises sont dans le rouge, plombés par le lancement parallèle du projet Jensen Healey, petit roadster sportif à moteur 4 cylindres Lotus dont le manque de fiabilité va coûter très cher à Jensen. De nombreux emplois sont supprimés et une réduction drastique des coûts est mise en place pour faire face à la baisse des ventes de l'Interceptor, malgré un réseau de distributeurs encore en développement. En octobre 1975, Jensen vit sa dernière participation au salon automobile de Earl Court avec la présentation d'une inédite variante de l'Interceptor : le Coupé.
INTERCEPTOR COUPE
Dévoilée au salon de Londres en octobre 1975, la Jensen Interceptor Coupe reprend la partie arrière du cabriolet et une lunette arrière de Jaguar XJ6 intégrée dans un original toit dessiné par Panther. Si cette version est de loin la 2+2 la plus habitable, sa ligne cassée par un arceau peint en bleu marine sur toutes les versions n'était pas du goût de tout le monde. En plein marasme économique, seulement 54 exemplaires de ce coupé baroque trouvèrent preneur...
Après être passé successivement à travers 2 crises du pétrole, une récession mondiale et avoir sans cesse généré des pertes depuis le projet Jensen-Healey, la société Jensen Motors déposa son bilan en 1975 et ferma ses portes l'année suivante. Des fanatiques de la marque se réunirent pourtant en 1984 pour faire revivre l’Interceptor avec une version Mk4, identique à la Mk3 de 1976 mais avec un V8 Chrysler 5,9 litres. Commercialisée en coupé et cabriolet, en 1987 l’arrière sera redessiné et le toit réhaussé pour une meilleure habitabilité. Mais faute de ventes suffisantes, l'aventure cessa, cette fois définitivement, à la fin de 1988. L'Interceptor fera toutefois sa sortie par la grande porte avec une MkIII bleue de 1976 immatriculée "1 ST" qui deviendra l'héroïne motorisée de l'acteur Simon Dutton dans la seconde série TV "Le Saint" diffusée en 1989.
ACHETER UNE JENSEN INTERCEPTOR
Bien que les Jensen Interceptor Mark 1 et Mark 2 soient considérées de meilleure qualité, toutes les voitures ont été construites à la main avec de hauts standards de finition pour l'époque. La production de la Mark 3 avait considérablement augmenté et les ouvriers de Jensen purent toutefois se rendre compte d'une légère baisse de qualité, notamment par l'utilisation de composants moins chers. Sous le capot, le V8 Chrysler 6.3 remporte la palme de l'endurance mécanique (si ce n'est une petite faiblesse du joint de culasse en cas de forte chauffe) et de la facilité d'entretien. On le retrouve jusqu'aux première Mk3. Les aficionados ont établi la Mk3 comme le firmament esthétique et technique de la Jensen Interceptor, ce qui explique que ce modèle soit toujours le plus prisé en collection. La transmission Torqueflite est au moins aussi robuste que rustique et sa très grande douceur s'accorde bien au caractère coupleux du V8. Il est très important de surveiller son niveau d'huile pour éviter les problèmes. Attention également au pont arrière qui a tendance à fuir pouvant ainsi s'endommager plus rapidement. Vérifiez enfin la corrosion sur les entourages de vitres, de pare-brise et de hayon, ainsi que les passages de roues, la trappe à carburant et les seuils de portes.
PRODUCTION JENSEN INTERCEPTOR
Interceptor MK I (1966-1970) : 1024 exemplaires
Interceptor MK II (1969-1971) : 1128 exemplaires
Interceptor MK III (1971-1973) : 2477 exemplaires
Interceptor SP (1971-1973) : 232 exemplaires
Interceptor MK IV 7,2 (1973-1976) : 1779 exemplaires
Interceptor Cabriolet (1973-1976) : 509 exemplaires
Interceptor Coupé (1975-1976) : 46 exemplaires
TOTAL : 6595 exemplaires
:: CONCLUSION
Véritablement atypique, la Jensen Interceptor incarne à merveille l'automobile "so british", mélange de force tranquille avec sa mécanique généreuse et d'un raffinement esthétique très poussé. Sa carrière écourtée par le choc pétrolier des années 70 aura laissé l'un des derniers vrais fleurons de l'automobile anglaise. Une "classic" à déguster tant que le pétrole est encore à peu près abordable...
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Avis des propriétaires
je possede une mk III de 74 depuis 20 ans, refection totale carroserie , intérieur et mécanique upgrade par une injection multi point, expertise a 102000 €
AKA gentelman express non usurpée, couple d enfer, puissance suffisante pour que la voiture ne reste pas sur la route mouillée, conso en injection min 13 L , par contre TOUTES les pièces sont dispo en angleterre, nouvelles portières, nouvelles ailes, pare brise et bulle arrière a prix raisonnables
attention aux voitures très rouillées, construction manuelle en divers caissons , on arrive vite a des prix stratosphériques
reste un ovni sur la route, voluptueux mais peut etre brutal Voir tous les avis sur la JENSEN INTERCEPTOR
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