LA TETE DANS LES NUAGES...
On se dit parfois qu'on a tout vu en matière d'automobile et que le recyclage des bonnes idées efface souvent la vraie nouveauté sous un emballage remodelé. Il en va ainsi de la Lamborghini Murcielago depuis le rachat de la marque par Audi, qui a tout fait pour hisser ce dinosaure à quatre roues au niveau de ses standard -élevés - de qualité. La Reventon est donc, après la LP640, la dernière folie des designers de Sant'Agata pour maintenir au panthéon de l'automobile ce véritable monstre sacré...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Car il faut rappeller que la Murciélago repose sur une base assez "ancienne", malgré ses liftings particulièrement réussis. Directement issue de la Diablo, elle-même évolution de la Countach, c'est un coeur vieux de 40 ans qui anime ce taureau de gros calibre. Mais avant d'avoir livré son dernier combat, la Reventon, probablement dernière représentante de son espèce s'affiche à nous dans sa bestialité la plus sophistiquée... Si Batman avait du goût, il ne roulerait pas en Murciélago uniquement pour aller dîner. Non, la Reventon ferait en effet une bien plus excitante monture pour le célèbre justicier de la nuit. Batmobile dans l'âme, la Lamborghini joue le mélange des genres entre automobile et aviation, de combat bien sûr. Avec ses lignes d'avion furtif tracées par l'esprit angulaire d'un ordinateur évadé de la série K2000, cette mutation génétique impose une carure et un charisme hors du commun. Arrêt sur image avec cette sculpture roulante que bien peu d'entre nous aurons le privilège de dompter sur route, collector oblige. Dans cette tranche de budget, il n'y a guère que la Bugatti Veyron pour vous distraire le dimanche. A ce niveau stratosphérique, la réalité dépasse parfois la fiction et impose un certain détachement, dont votre serviteur tient à s'excuser par avance...
DESIGN
A priori, si on vous proposait de dépenser 5 fois son prix pour une Murciélago LP640 "tunée", déjà facturée près de 300 000 euros "de base", vous ne seriez peut-être pas immédiatement séduits ? Et pourtant, le tour de force marketing de Lamborghini sur le marché du luxe, par nature déraisonnable, et de proposer l'improposable, d'imaginer l'inimaginable. Bref, de faire rêver et de faire craquer les milliardaires de cette planète sur des objets aussi inutiles que rigoureusement indispensables pour leur rareté, aussi excessive que leur prix. Ce pur objet de luxe peint dans une teinte gris-vert mat et terne au possible ne répond pourtant à priori pas tout à fait au cliché que l'on se fait d'une voiture d'apparât. A l'image du CFC (matériau à base de fibre de carbone) qui la compose, la carrosserie de la Lamborghini Reventon déclenche une étrange impression visuelle par son approche purement technique. Dans un style tout aussi tranchant, les jantes inédites à 5 branches se couvrent d'ailettes en carbone qui pulsent l'air vers les disques de frein. Les feux arrière, les feux diurnes et les clignotants adoptent les LED, très à la mode, avec la liberté de graphisme qu'elles autorisent. Tout porte à croire que le dessin de la Reventon est dépourvu de toute humanité et de toute sensibilité esthétique. Ici la fonction prime sur la forme, c'est indéniable et même revendiqué par l'usine dans son inspiration du monde de l'aviation. Une ambiance aéronautique absolue, qui s'étend jusqu'au dessin sculptural de la trappe à carburant réalisée dans un bloc d'aluminium. Idem avec la double sortue d'échappement, large comme une tuyère de réacteur. Au même titre qu'il est difficile de trouver une arme "belle", le résultat inspire donc brutalité et force, et pour être précis, il impressionne plus qu'il ne charme. A fortiori dans un contexte économique et politique peu favorable à ce genre de réalisation pour le moins élitiste, provocante et décalée, cela peut ne pas être au goût de tous. Mais qu'importe, Lamborghini se contentera d'en fabriquer une vingtaine, déjà toutes vendues avant d'avoir eu besoin d'imprimer un catalogue. La crise ? Quelle crise ?...
HABITACLE
On pénètre dans ce vaisseau spécial d'une manière toute ordinaire, pour un propriétaire de Murciélago s'entend. La grosse porte en élytre se soulève dégageant la vue sur un cockpit qui n'a (presque) rien d'intersidéral. La technologie n'est pas envahissante et les fonctions ne s'étalent pas à travers une forêt de boutons sur la console centrale. Tout est en effet regroupé sur l'écran tactile et sur le gros bloc de compteurs. Ce combiné étrange fait d'un écran TFT, semble lui, tout droit sorti des années 80 qui rappellent à notre mauvais souvenir ces tableaux de bords digitaux, vus sur les BX, Fiat Tipo ou R11 "électronic". Pas très flatteur ? Vous avez raison, j'ai la dent dure. Néanmoins, c'est assez déconcertant pour qui aime voir grimper des aiguilles... On se retrouve avec face à soi deux sortes de viseurs triangulaires pour le régime moteur et... les G encaissés, en latéral et longitudinal. En voilà une information qu'elle est utile ! Au centre de tout celà, déporté vers le haut, un troisième triangle affiche diverses informations sur l'état du vaisseau avec, de part et d'autre, des témoins qui nous sont heureusement plus familiers. Le rapport engagé par palette au volant apparaît au milieu de la "jauge à tours" symétriquement dédoublé de part et d'autre du "rapport-mètre". Note de l'auteur : pas d'inquiétude, si vous ne comprenez rien à l'affaire. Ce n'est pas bien grave pour aborder la suite puisque Lamborghini a prévu le cas des vieux ronchons comme nous, avec un second mode d'affichage au choix du pilote et qui imite très bien ces bons vieux compteurs à aiguilles. Notons qu'un affichage tête haute aurait été approprié dans cette ambiance "Top Gun". De façon plus terre à terre, il faut savoir qu'on est véritablement couché et coincé dans le superbe baquet à l'Alcantara spécifique. Impossible en effet de commander le même intérieur, ni la même teinte de carrosserie via le département personnalisation (Ad Personam) de la marque; Pas touche ! Il vous restera toutefois la filière des tuneurs pour transformer votre banale Murciélago en copie de Reventon.
MOTEUR
Si la mutation esthétique est importante, la Reventon se contente de conserver la base technique roulante de la Murciélago LP640. Toutefois, élitisme oblige, le fabuleux V12 Bizzarrini gagne la poignée de chevaux qui lui manquaient pour afficher enfin un rendement au litre symbolique de 100 ch. Ce qui nous donne donc, multiplication faite, 650 chevaux pour ce 6L5 aux artères préhistoriques et né à 3L5 (Lamborghini 350 GT) ! Belle performance de longévité et d'évolution. Le régime d'obtention de ces 650 taureaux de combat est à 8000 tr/mn. Ils déboulent avant cela leurs 660 Nm de couple à 6000 tr/mn, ce qui donne le ton sur le caractère belliqueux de cette aviomobile. Cette véritable pièce d'orfèvre se trouve désormais présentée sous une superbe vitrine à lattes de verre, laissant passer les regards admiratifs et l'air chargé de calories qui s'en extrait. Ces élans de fougue se gère via 2 pédales, accélérateur et frein, un pied sur chaque pour les experts, ainisi que les commandes de la boîte robotisée e-gear à 6 rapports qui n'est d'ailleurs toujours pas au niveau de sa rivale de Maranello. La Reventon affiche des performances avionesques, mais pas vraiment meilleures que celles d'une murciélago LP640. 0 à 100 km/h en 3"4, vitesse de pointe de 340 km/h (à Nardo peut-être...) : On se dit encore une fois que le supplément de prix n'est pas fondamentalement justifié...
CHASSIS
Comme sur la Murciélago, la transmission est intégrale. Et heureusement doit-on dire, car maîtriser de la sorte 650 chevaux et 1665 kg (à vide, donc comptez plus de 1700 sur la balance...) avec les seules roues arrières requiererait sans doute une expertise du pilotage qui nous fait défaut, même sans aller chercher les limites de ce châssis tubulaire au pouvoir d'adhérence phénoménal. Rien que la vue des énormes enveloppes de 18 pouces en 335 de large derrière (!) impose respect et fascination. Avec ses ouies latérales, son fond plat et son gros diffuseur arrière la Reventon peut se passer de l'aileron monumental auquel pourrait prétendre son titre de Lamborghini de série la plus puissante. A partir de 300 km/h l'aérodynamique serait même totalement parfaite en termes d'appuis. Nous voilà rassurés. Par ailleurs le freinage est digne de celui d'un Airbus, comptant pas moins que 4 disques ventilés de 380 mm de diamètre (sur 38 de large) pincés par des étriers à 6 pistons.
:: CONCLUSION
Ami milliardaire, si tu lis ces quelques lignes, saches que je compatis à ta souffrance ! Blasé, que reste-t-il à découvrir du monde automobile après avoir réceptionné sa Veyron ? Et bien pas grand chose, même cette Murciélago d'exception vendue 5 fois son prix ne parviendra pas à se distinguer sur le fond d'une autre supercar. Reste le plaisir de la collection...
CE QU'EN PENSENT NOS CONFRERES :
"La tenue de route est évidemment très accrocheuse et la Reventon s'inscrit en courbe avec sureté et précision tout en offrant une adhérence élevée. Cependant si on la traite avec douceur, elle n'est pas le monstre qu'elle affiche extérieurement. Et pas besoin d'être un pilote professsionnel. Il suffit d'être en possession de tous ses sens et d'une bonne dose de passion (en plus d'un compte en banque bien garni). Qualités qui permettent à tout conducteur de piloter la Reventon en toute sécurité."
AUTOMOBILES CLASSIQUES - SEPTEMBRE 2008 - ESSAI LAMBORGHINI REVENTON. |