© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (09/12/2009)
UNE 911 EN HABIT DE PANZER
Comment qualifier la Classe S la plus extrême de son époque ? La Mercedes 450 SEL 6,9 : deux chiffres qui cachent un moteur « XXL », celui de la mythique Mercedes 600, poussé à près de sept litres, rien de moins. 286 chevaux, 225 km/h, le 0 à 100 km/h en moins de 8 secondes… le tout dans deux tonnes de confort sécuritaire ouaté. Retour sur la « 6,9 », jugée par la presse comme la meilleure et la plus rapide berline du monde en 1975...
Texte :
Michel TONA
Photos : D.R.
Il fallait être fou pour la sortir ! Après le choc pétrolier de 1973, Mercedes repoussa d’un an et demi la sortie de sa S extrême, pour lui donner de meilleures chances de succès, le temps que les acheteurs potentiels reprennent confiance et retrouvent l’envie et la disponibilité du précieux carburant. Présentée en première mondiale au Salon de Genève 1974, elle ne sortit qu’un an plus tard, dans un contexte où la crise dominait toujours. L’idée était simple : faire la meilleure berline de luxe du monde. Il faut dire que la base était loin d’être mauvaise : en partant d’une 450 SEL, on prenait ce qui se faisait (déjà) de mieux en matière de grandes berlines haut de gamme. La 450 « standard », Voiture de l’année 1974 s’il vous plait, c’était : un V8 de 4,5 litres développant 225 chevaux, un niveau de confort et de sécurité jamais atteint sur une voiture de série. Mais pour dépasser Rolls et Bentley, il fallait quelque chose d’encore plus exclusif. Les ingénieurs de Stuttgart n’avaient pas à chercher très loin : il leur suffit d’adapter le fabuleux moteur V8 « M100 » de la légendaire 600, la « Panzer » Mercedes qui transportait tous les grands de ce monde depuis 1964, du pape Paul VI à John Lennon en passant par Hugh Heffner, le patron du magazine Playboy. Ils avaient d’ailleurs appliqué la même recette dès 1968, avec la 300 SEL 6.3 : l’ancêtre de la « 6,9 » passait de 0 à 100 km/h en 6,5 secondes et tapait un bon 220 km/h sur l’Autobahn. Les 6526 exemplaires vendus en moins de 4 ans prouvaient qu’une certaine clientèle attendait ce genre de « muscle car » made in Stuttgart.
PRESENTATION
Esthétiquement, la « 6,9 » ne se distingue quasiment pas de ses sœurs. Bien qu’elle coûtait plus de 180 000 francs, un prix équivalent à celui d'une Porsche 928 en 1977 ou le double d’une « simple » 350 SEL (V8 200 chevaux), rien ou presque ne permettait de la différencier d’une 280 SEL « de base ». Laves-phares, double pot d’échappement, monogramme : voilà pour les signes extérieurs de richesse… Même les jantes en alliage étaient optionnelles, tout comme la sellerie cuir, le velours recouvrant la sellerie en équipement de base… Pour l’anecdote, le radiotéléphone optionnel coûtait la bagatelle de 18 000 DM, soit le prix de deux VW Coccinelles ! A l’intérieur, on pouvait compter sur 4 vitres électriques et un climatiseur en série, équipements en option sur le reste de la gamme. Les passagers arrière bénéficiaient d’office d’un large store à lamelles et de veilleuses. Mais à l’avant, les sièges électriques et chauffants restaient une option, tout comme l’ABS : fin 1978, la « sechs neun » eut le privilège d'être la première voiture au monde à pouvoir être équipée du fameux système de freinage antiblocage électronique développé conjointement par Daimler Benz et Bosch.
MOTEUR
Développant 250 chevaux, ce V8 occupait déjà 6332 cm3 sous le (très) long capot de la 600 et de la 350 SEL 6,3. Pour la 450 SEL 6,9, les motoristes d’Untertürkheim portèrent l’alésage de la « bête » à 107 mm et optimisèrent la gestion de l’allumage. Résultat : presque 7 litres de cylindrée, et 36 chevaux supplémentaires, soit 286 au total : c’est la puissance d’une BMW M1… Ca commence à évoquer quelque chose ! Mais surtout, un couple inépuisable, de 56 mkg à 3000 tours… Comme sur les grandes sportives, la lubrification par carter sec a permis de positionner le moteur plus bas, et assure un approvisionnement en huile optimal à toutes les allures, que le conducteur soit chauffeur de maître ou PDG au pied lourd. Gavé de couple, ce big block teuton recèle des ressources inépuisables. Les dépassements sont une simple formalité, les accélérations dominent celles des Porsche 911 de l’époque, et avec une vitesse maxi de 225 km/h, la « sechs neun » détenait le record du monde pour une berline en 1975. Le magazine allemand Auto Motor und Sport la mesurera même à … 234 km/h !!! Par rapport au moteur de la 300 SEL 6.3 de 1968, le 6,9 est plus coupleux, plus puissant, plus souple et silencieux... mais aussi moins démonstratif. Mais avec un rapport final de 2.85:1 pour la 6.3 - contre 2.65:1 pour la 6,9 afin de réduire le bruit moteur ainsi que la consommation, l'aïeule passait de 0 à 100 km/h en 6,5 secondes, la 6,9 en 7,4...Mais la nouvelle pesait 200 kilos de plus que la 6,3 de 1968, merci le châssis ultra sécuritaire de la nouvelle Classe S, présentée en 1972. La Mercedes 450 SEL 6,9 réalise en fait la synthèse quasi parfaite du sport et du confort, cette fameuse alchimie que bien des constructeurs automobiles cherchent à obtenir.
SUR LA ROUTE
En ligne droite, la tenue de cap de ce tapis volant est exemplaire, même quand on élève l’allure bien au-delà des limites de vitesse autorisées… Problème : malgré la présence du pont à glissement limité et de pneus larges (215 x 14), la puissance et le couple sont tels que l'adhérence devient parfois insuffisante en accélération, même sur route sèche. Sous la pluie, mieux vaut doser ses accélérations. Outre le bouilleur de 7 litres, la grande singularité de la 450 SEL 6,9, c’est sa superbe suspension hydropneumatique. Alors que la 600 et la 300 SEL 6.3 roulaient sur l’air, la 6,9 litres adopte un système hydropneumatique intégral, avec une petite pompe de pression entraînée directement par l'un des ACT. Par rapport à la suspension Citroën, l’amortissement et la correction d'assiette sont plus rapides. Le résultat est exceptionnel : sans bruit, sans se manifester par une élévation après la mise en marche, la suspension refait littéralement la route, « aussi bien les pavés à petite vitesse que les dos d'âne à grande allure » comme le décrit Bernard Carat dans l’Auto-Journal en 1976. « Les coups de raquette sont totalement inconnus et pourtant les passagers n'ont pas l'impression d'une trop grande mollesse », conclut-il. La suspension hydropneumatique de la 6,9, couplée à un correcteur d’assiette empêchant tout cabrage à l’accélération ou au freinage, confèrent un comportement et un confort tout bonnement exceptionnels. L’inimitable qualité de filtration des suspensions étoilées, sublimée par l’hydropneumatique: voila ce qui fait le sel de la meilleure berline du monde, encore meilleure que la Rolls Royce Silver Shadow !
CE QU’EN DISAIT LA PRESSE
Bernard Carat conclu son essai (L'Auto-Journal, avril 1976) avec un réalisme qui reste terriblement d'actualité "Il est bien difficile de juger une telle voiture suivant les critères applicables à la grande série. On se retrouve tout de suite à 200 km/h, ce qui n'est pas du goût, non seulement des diverses polices, mais aussi des autres usagers plus du tout habitués aux voitures rapides roulant suivant leurs possibilités. Allez donc expliquer aux gendarmes qu'une 6,9 litres avec ses accélérations, sa stabilité et son freinage est beaucoup moins dangereuse à 180 km/h que tel modèle roulant à 130 à sa vitesse plafond ! (...) Il est évident que la Mercedes 6,9 litres fait rêver l'amateur d'automobile mais n'est-elle pas un peu anachronique au moment où il n'existe plus guère de liberté sur les routes européennes ? Il ne lui reste pour s'exprimer que les autoroutes de son pays d'origine toujours sans limitation, n'en déplaise à nos autophobes officiels. Ailleurs, il faudra la conduire tel Achille au pied léger ! Et c'est bien dommage car elle rentre alors dans le rang, n'apportant guère plus de satisfaction qu'une 280 SEL avec toutes les options. Il est bien entendu qu'avec ce modèle, Mercedes cherche à étonner l'Amérique, pays de prédilection des gros moteurs, pays où l'essence vient encore de baisser sous l'effet de la libre concurrence. Elle étonne aussi l'Europe par son prix très élevé, par ses performances hors du commun, par sa suspension et son équipement difficiles à surpasser." Pour Road & Track (Mars 1975) "Le résultat de cette bizarrerie mécanique, c'est une berline qui éclipse la plupart des GT en termes de vitesse et de comportement routier."
C'ETAIT UN RENDEZ-VOUS
En 1976, Claude Lelouch se lance un défi pas banal : réaliser un court-métrage d’une séquence, sans montage. Jusque-là, tout va bien. Mais quand cette séquence se révèle être une traversée de Paris au volant d’un bolide, le tout sans jamais s’arrêter, ça coupe le souffle ! Provocant immédiatement la polémique, "C’était un rendez-vous" est bien plus qu’un film, c’est toute une époque. Si toute la bande sonore a été enregistrée à bord d'une Ferrari 275 GTB, les images du film, elles, ont été tournées à bord de la... Mercedes 450 SEL 6.9 de Claude Lelouch ! Tous les détails du tournage seront révélés lors d'une interview du réalisateur en 2006. On y apprend que la suspension de la Mercedes permettait d'avoir une image qui ne tremble pas trop, ce qui aurait été inexploitable à bord d'une voiture de sport comme une Ferrari de l'époque. La caméra accrochée sur le pare-chocs de la voiture, pour des vues au raz du sol, trois personnes à bord, Lelouch au volant, son chef machino, et son chef opérateur pour éventuellement changer le diaphragme, c'est au final 8 minutes 39 secondes époustouflantes de cinéma et d'automobile ! Des images qui renvoient à une époque où un vent de liberté soufflait au coeur de la Ville Lumière. La montée de l'avenue Foch, entre 150 et 180 km/h, les Champs-Élysées à 160 km/h au niveau de Franklin Roosevelt, puis jusqu'à la Concorde, une pointe 200 km/h ! Sur les quais, lelouch avoue même avoir franchi les 200 km/h... Convoqué chez le préfet de police, Lelouch se voit accusé de la liste interminable des infractions commises pendant les quelques minutes du tournage. Sur ce, le préfet lui demande de luir emettre son permis, le contemple rêveusement pendant quelques secondes, puis... le rend à Lelouch avec un large sourire. "Je m'étais engagé à vous le retirer", dit-il. "Mais je n'ai pas précisé pour combien de temps", avant d'ajouter "Mes enfants adorent votre petit film !" Une autre époque on vous dit...
> Voir la vidéo de "C'était un rendez-vous" sur Youtube
> Voir l'interview Claude Lelouch sur le making of
ACHETER UNE
MERCEDES-BENZ S (W116) 450 SEL 6.9
Rassurant au premier abord: l'offre - déjà abondante en S "standard" - est encore assez étoffée en "6,9". Il est primordial de privilégier les véhicules en excellent état et à l'historique limpide: carnet et/ou factures d'entretien vivement recommandés. A faire également: tester le bon fonctionnement de tous les accessoires de la voiture car une réparation de climatiseur peut dépasser les 5000 euros... Ne pas oublier de vérifier les dimensions de votre garage, encore plus pour cette 6,9 SEL de 5,06 mètres de long et 1,87 de large. Malgré leur qualité de fabrication légendaire, les Mercedes des années 70 ont tendance à rouiller, avec beaucoup de générosité parfois ! Points à vérifier: les bas de caisse, les supports de cric, le bas des portes, le fond du coffre, le logement de roue de secours. Ne pas oublier de checker les joints de portes et du coffre, leur remplacement coûte cher. Penser aussi à la sellerie, la facture peut elle aussi gonfler sur ce poste là... Mercedes continue à fabriquer la plupart des pièces d'origine et des accessoires, même si les prix sont quasiment toujours (très) élevés... Coté moteur, le V8 est quasiment increvable mais l'historique de l'entretien est capital. L'échappement (double) est à surveiller aussi car ces moteurs ont tendance à condenser. Les pneumatiques sont aussi un poste important en cas de remplacement. Si une 450 SEL toutes options en excellent état peut aller jusqu'à 8 - 10 000 euros, il vous faudra rajouter un billet de 5000 pour vous offrir une « 6,9 » état concours. Un très beau modèle est d'ailleurs en vente depuis plusieurs mois dans La Vie de l'Auto, son propriétaire en réclamant 20 000 euros...
CHRONOLOGIE
1968 : Présentation de la 300 SEL 6.3 : le moteur de la 600 descend dans la berline haut de gamme W109 et offre déjà des performances de GT (0-100 km/h en 6"5 !).
1972 : Au Salon de Francfort en septembre, Mercedes-Benz présente la grande berline haut de gamme "S Klasse", (Sonderklasse, ou Classe spéciale) première Mercedes à adopter la dénomination de "Classe" S. Au programme: trois modèles 280 S et SE (6 cylindres 156 ch et 185 ch avec injection), et 350 SE (V8 200 ch). La 450 SE (V8, 225 ch) sort 6 mois plus tard en empattement standard et en version longue, baptisée SEL (+ 10 cm), en même temps que le roadster 450 SL.
1973 : Version longue 350 SEL puis 280 SEL.
1974 :
La 450 SE est couronnée "Voiture de l'année" par un jury de 45 journalistes s européens.
1975 : Lancement de la 450 SEL 6,9 en mai, dotée du V8 des légendaires "600" et 300 SEL "6.3" porté à près de 7 litres. Première Mercedes équipée d'une suspension hydropneumatique. A plus de 180 000 francs, elle coûte deux fois le prix d'une "simple" 350 SE.
1977 : La "6,9" est proposée aux USA (jusqu'au millésime 1979).
1978 : Le premier antiblocage de roues ABS (développé en commun avec Bosch) est proposé en option.
1979 : La nouvelle Classe S (W126) apparaît en septembre. La W116 continue à être produite en versions 450 6,9 jusqu'en avril 1980.
PRODUCTION MERCEDES 450 SEL 6.9L
7380 exemplaires de mai 1975 à avril 1980 (dont 1816 exportées aux USA et au Canada)
TOTAL Classe S W 116 (1972-1980) : 473.035 exemplaires
:: CONCLUSION
La 450 SEL 6,9, c’est la crème de la crème des berlines étoilées. C’était carrément la meilleure berline du monde, et la plus rapide ! 7380 exemplaires seront fabriqués de mai 1975 à avril 1980. Près de 20 % de la production traversera l’Atlantique pour aller faire craquer les PDG pressée, de Wall Street à la Sillicon Valley, comme beaucoup de stars du show-bizz, d'acteurs, de pilotes de F1 et de nombreux industriels de par le monde. Sans équivalent à l’époque, cette très grande dame était capable d’en remontrer à plus d’une sportive, mariant à merveille la puissance, les performances et le confort d’un Pullmann. A part les Jaguar MKII 3,8 des années 60, on ne voit pas meilleur compromis entre sport et confort. Trente ans après sa sortie de chaîne, la 6,9 aura, avec son initiatrice, la 300 SEL 6.3, créé le segment des (très) grandes berlines à caractère sportif. Aujourd’hui, les Audi S8, BMW M5, Mercedes S 63 et 65 AMG et autres Jaguar XJR leur doivent une fière chandelle ! Espérons que la crise actuelle ne condamnera pas cette lignée à tout jamais…
Tous nos remerciements aux propriétaire du très bel exemplaire présenté dans cet article, dans la rare teinte brun métal très années 70.
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