MG RV8 (1993 - 1995)
LA DERNIERE CARTE
En matière d'automobile, nos voisins anglais ont souvent eu l'art de se distinguer par des choix techniques simples mais néanmoins d'une insolente efficacité. Aussi lorsque Rover décide de relancer le Morris Garage qui s'est éteint commercialement avec la fin de son modèle emblématique, la MGB, il faut composer avec un budget calculé au plus juste. Le fruit de cette recette miraculeuse consistant à faire du neuf avec du vieux se nomme RV8...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : Bahman Cars
Le plus célèbre des petits roadsters anglais, le MGB apparu en 1962, est arrêté en 1980. Une carrière extrêmement longue au cours de laquelle MG réalisera de nombreuses évolutions, allant jusqu'à proposer le coupé MGB GT à moteur V8 de 1973 à 1976. Mais malgré le succès planétaire de la MGB, le Morris Garage ne résistera pas à la dure crise des années 70. En effet, en dépit des restructurations successives de la British Motor Corporation (BMC) en British Motor Holdings (1966) et British Leyland Motor Corporation (1968), MG entre dans l'ère British Leyland et les nouveaux modèles ne sont plus que des Austin Rover rebadgées. On croit enfin MG capable de sortir de l'ornière en intégrant Rover Group en 1986, mais le badge disparaît finalement en 1991 après les succès mitigés des Maestro et Montego. Cette même année, Rover décide pourtant d'une ultime tentative de relance de la marque avec un modèle phare, qui serait porteur d'image : la MG RV8.
PRESENTATION
Le 20 octobre 1992, la nouvelle voiture est prête. Elle est exposée sur le stand MG au salon de Birmingham. L'accueil du public est un peu mitigé, entre ceux qui se réjouissent du retour de MG avec une vraie voiture passion et les adorateurs de la première heure de la MGB qui crient au scandale devant un restylage maladroit de plus. Mais Rover y croit. Le titre du catalogue de la MG RV8 est d'ailleurs explicite: The marque is returned ! Le retour de la marque MG est annoncé sur papier glacé, mais derrière cette renaissance typiquement britannique se cache la chronique d'une mort annoncée. En effet, dans un marché très concurrentiel, les dirigeants de Rover font le pari de mettre en vente ce qui ressemble en tous points à... une MGB ! C'est dire à quel point Rover, à cour d'imagination et d'argent, joue là sa dernière carte. La MG RV8 propose donc le sacro-saint charme inimitable des sportives anglaises et entend renouer avec le glorieux passé du plus gros succès commercial de la marque. Chez Rover, on se dit sans doute qu'il y aura bien quelques fanatiques près à replonger pour une MGB "améliorée". Le 31 mars 1993, la première MG RV8 sort des chaînes de montage de l'usine Rover à Cowley.
Si l'air de famille est on ne peut plus équivoque, c'est parce que la MG RV8 partage bien sûr sa coque avec la MGB. Mais derrière ce faciès des plus connus, la RV8 ne reprend en réalité que 5% des pièces d'une MGB. Les ingénieurs auront par ailleurs eu la présence d'ajouter de nombreux renforts, histoire de s'assurer un résultat satisfaisant aux crash-tests dont les normes ont considérablement évolué depuis 1962 ! Par ailleurs, on a gommé esthétiquement tout ce qui pouvait s'apparenter à une voiture d'un autre temps, à commencer par la suppression des chromes sauf sur les poignées de portes. Ainsi les boucliers en plastique sont plus enveloppants et peints dans la teinte de la carrosserie avec une calandre profilée et des ailes galbées qui apportent un aspect plus voluptueux et musclé à la ligne frêle de la MGB. MG a également ajouté des jupes latérales plus conformes à la tendance de 1993. Les jantes nid d'abeille BBS de 15" sont du plus effet et la RV8 conserve en bonne partie tout le charme inimitable d'un classique tel que la MGB et va même jusqu'à prendre quelques faux airs de Rolls Royce Corniche en réduction. Esthétiquement, la RV8 ne peut pas laisser indifférent. Soit on adore, soit on crie au sacrilège. C'est selon. Le client de la RV8, se voit offrir un choix de 10 couleurs: British Racing Green (la plus courante en Europe), Flame Red, Black, White Gold, Night Fire Red, Caribbean Blue, et en option Old English White, Le Mans Green, Woodcote Green (couleur du modèle présenté ici) et Oxford Blue. Dans tous les cas, la capote est noire et à commande manuelle. Un couvre-tonneau est livré en complément de cette dernière.
HABITACLE
A l'intérieur, la MG RV8 n'est pas avare de ses charmes non plus. Elle chouchoute ses occupants en les accueillant avec de moelleux fauteuils recouverts de cuir Connolly beige et une épaisse moquette. Le tableau de bord et les hauts de contre-portes en loupe d'orme sont chargés d'offrir le supplément d'âme et l'ambiance so british à ce roadster d'exception. Le petit volant cuir, invariablement positionné à droite, et le court levier de vitesses tombent bien en main. Cet habitacle bas et exigu devient rapidement un cocon douillet, moulé au plus près du corps. Au rayon nouveautés citons la clim, disponible en option. On peut détecter sa présence de l'extérieur par l'absence de phares antibrouillard dans le bouclier, remplacés par des entrées d'air. Mais malgré ce luxe nouveau, il n'y a pas de doute : on est bien dans une MGB à la conception vieillote. Les vitres à manivelle sont d'ailleurs là pour notre plus ou moins bon souvenir. Autres vestiges "rétro", la petite capote au dépliage-repliage manuel et le coffre toujours aussi peu profond. Surtout qu'en l'ouvrant on y découvre, dans sa housse de moquette, la roue de secours prenant presque tout l'espace disponible... Ce n'est pas grave, en bon gentleman driver on rachètera des affaires une fois arrivé à destination.
MOTEUR
Sous le capot bombé de la MG RV8, ne cherchez pas de mécanique d'orfèvre. Même en 1993, son V8 3.9L emprunté au Range Rover est plutôt du genre... agricole. Pour faire simple, le V8 Rover c'est un peu le V6 PRV anglais, en pire. Comme le PRV, il était alors le seul de son espèce à être disponible dans l'industrie nationale et ses états de service avaient déjà largement anticipé sur le recul de l'âge de la retraite...
Introduit en 1967 et dérivé d'un V8 Buick, c'est sans doute le moteur ayant connu le plus de capots différents ! Son principal atout étant de se montrer peu coûteux et fiable, à la faveur d'une rusticité typique de ses origines "US". Avec seulement 2 soupapes par cylindre et un arbre à cames central, il ne faut donc pas s'attendre à un rendement spectaculaire. En 1993, la seule once de modernisme qu'il s'est vu offrir est une injection électronique. Rover en extrait ici péniblement 190 chevaux - du genre percheron - au régime "diesélique" de 4750 tr/mn. Ne prenez même pas de calculette. De tête, avec moins de 200 ch pour environ 4.0L, on est en-dessous des 50 ch/L... donc bien loin d'un coeur sportif ! Pourtant la TVR Griffith sortie à la même période avec le V8 Rover 4.0 en offrait déjà bien plus. On se console comme on peut avec un couple de 318 Nm délivré à 3200 tr/mn, garant d'une rondeur de fonctionnement parfaite pour cruiser.
Le V8 Rover est associé à la transmission manuelle maison LT77 à 5 rapports. Elle sera remplacée en cours de production par la Rover R380. Avec son 4ème pignon en prise directe et le 5ème surmultiplié, elle permet effectivement de se laisser glisser sur les routes en toute sérénité ou à l'occasion, pour les plus habiles ou téméraires, de s'offrir une petite tranche de conduite virile en jouant de l'autobloquant. Car avec un poids qui reste juste sous la barre des 1300 kg, les performances affichées sont plutôt convaincantes. A défaut d'avoir la griserie de montées en régime frénétiques, le gros V8 s'appuie sur son couple généreux et sa sonorité caverneuse si typique pour vous propulser vigoureusement dès les bas régimes.
Il est vrai au prix d'une consommation elle aussi typique d'un V8, élevée au regard de la puissance. Les chiffres communiqués par l'usine, sans doute très optimistes, avancent un 0 à 96 km/h en 5.9 secondes. Les sujets de sa majesté ne manquant jamais d'humour, il est probable que personne n'ait jamais pu confirmer ce chrono. Mais à défaut de chiffres sérieux, sachez qu'à la manière d'une Rolls Royce, la puissance de la RV8 est "suffisante".
SUR LA ROUTE
Autant que le moteur, la partie châssis de la "nouvelle" MG RV8 a encore les 4 roues figées dans les années 60. Ainsi sur ces trains roulants hors d'âge on trouve à l'avant des bras triangulés transversaux superposés avec ressorts hélicoïdaux et à l'arrière, un bon vieil essieu rigide suspendu par des ressorts à lames semi-elliptiques... Pour juguler la force herculéenne du V8 Rover, le pilote peut toutefois compter, outre l'autobloquant, sur... ses propres talents ! En effet, la MG n'a pas plus d'antipatinage que d'ESP ou d'ABS à offrir. Mais attendez, le must de la visite est peut-être le moment où vous découvrirez, bien cachés derrière les jantes BBS arrière, de superbes... tambours. Vous avez dit archaïque ? Par respect nous dirons pudiquement anachronique. Gentleman driver, cette auto est pour vous ! Les playboys et autres poseurs ont de toute façon laissé derrière eux le stand MG depuis bien longtemps. C'est qu'ils ne savent pas ce qu'ils perdent.
En effet, derrière cette fiche technique poussiéreuse qui n'est pas sans rappeler une certaine Chevrolet Corvette, on découvre au fil des kilomètres un roadster bourré de caractère. Contre toute attente, la RV8 se montre même plus efficace qu'espéré et douée d'un amortissement conciliant un confort correct et une tenue de route satisfaisante. Certes, l'embrayage ferme et une direction dépourvue d'assistance finiront de décourager les plus mal lotis aux yeux de dame nature, ainsi que l'intégralité d'un éventuel public féminin. Mais assurément, Rover avait de bonnes raisons d'espérer un certain succès pour cette MG RV8, si son prix n'avait pas été un obstacle de plus. Il nous reste finalement un des derniers témoins de cette race de voitures capables de distiller des émotions pures et un charme fou, dénués de toute considération technologique.
ACHETER UNE MG RV8
Le vrai retour au succès populaire des roadsters MG se fera avec la MGF lancée en 1996 et qui prend ainsi le relais de la RV8. La RV8, elle ne s'adresse qu'à quelques connaisseurs amateurs d'authentiques anglaises et éventuellement à la recherche d'un collector à bichonner. Car cette MGB à la résurrection éphémère n'a été produite qu'à 1982 exemplaires en 2 ans, n'atteignant même pas en date du 22 novembre 1995 les 2000 exemplaires prévus initialement. Ils iront très majoritairement couler leurs jours (non, pas leurs bielles) au Japon (80% des ventes !), les anglais eux-mêmes ayant plutôt boudé la RV8. Sa diffusion dans notre hexagone serait quant à elle insignifiante : 2 exemplaires ! Une précision qui n'aura d'ailleurs pas d'importance particulière lors d'une recherche puisque toutes les MG RV8 ont le volant à droite. Au total, seuls 92 exemplaires de RV8 se sont éparpillés à l'export en Europe de l'ouest, en plus des 307 modèles absorbés sur son propre territoire. Autant dire que la probabilité d'en croiser une sur nos routes ou même dans les colonnes des petites annonces est proche de zéro. Pour faire votre marché, le plus simple est donc de prendre la direction de la mère patrie de cette RV8, l'Angleterre ! Attention aux modèles réimportés du Japon (pratiquement tous de couleur Woocote green) dont l'historique est parfois opaque et le kilométrage réel invérifiable.
Toutefois, pas d'inquiétude particulière à avoir à l'achat. Comme la MGB, la RV8 est d'une fiabilité "infaillible" (au moins pour un anglais) grâce à une construction simpliste et éprouvée. De surcroît, son statut de collector lui a ouvert les portes des ateliers de maintenance les plus respectables et son entretien n'a rien de ruineux. En outre, sa cote se montre encore étonnamment raisonnable si on la compare à celles des MGB. Comptez un minimum de 20.000€ pour un exemplaire en état concours comme celui présenté ici, à vendre chez Bahman Cars à Genève.
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES
MG RV8
MOTEURType : 8 cylindres en V à 90°, 16 soupapes
Position : longitudinal AV
Alimentation : Injection électronique Bosch-Lucas LH Jetronic
Cylindrée (cm3) : 3946
Alésage x course (mm) : 94 x 71,1
Puissance maxi (ch à tr/mn) : 190 à 4750
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 318 à 2900
TRANSMISSION
AR + autobloquant
Boîte de vitesses (rapports) : manuelle (5)
ROUES
Freins Av-Ar (ø mm) : Disques ventilés (270), tambours
Pneus Av-Ar : 205/65 VR 15
POIDS
Données constructeur (kg) : 1280
Rapport poids/puissance (kg/ch) : 8,02
PERFORMANCES
Vitesse maxi (km/h) : 217
1000 m DA : ND
0 à 100 km/h : 6"
CONSOMMATION
Moyenne (L/100 Km) : 12
PRIX NEUF (1993) : 26.000 £
COTE (2010) : 20.000 €
PUISSANCE FISCALE : 11 CV
CONCLUSION
:-) Collector ! Une MGB en mieux ? Habitacle somptueux Charme anglais garanti Moteur robuste et sonore Performances Entretien simple Cote raisonnable |
:-( Moteur agricole Conception générale (très) datée Direction lourde Consommation |
Bien sûr, il faut aimer. La MG RV8 est du genre à ne pas faire l'unanimité avec son look de MGB maquillée. Inspiratrice malgré elle du "néo-rétro", la RV8 aura eu du mal à séduire et le navire MG sombrera une nouvelle fois avant son rachat par BMW. Son V8 aussi dépassé que ses trains roulants ne plaident évidemment pas en sa faveur... sur le papier. Car en effet, la MG RV8 a bel et bien de quoi séduire celui qui saura se donner la peine d'en faire la connaissance, avec ses charmes désuets d'une automobile d'un autre temps, bourrée de caractère, ajoutés au plaisir d'une rareté manifeste.