OEUVRE D'ART
S'il est bien une version de la Porsche
911 unanimement reconnue pour ses qualités, c'est la Carrera
RS 2,7 L. Cette petite bête bicolore avec sa fameuse "queue
de canard" représente LA sportive par excellence, capable
de procurer un plaisir de pilotage rare. La 911 Carrera RS 2,7L
est une légende roulante que quelques furieux sont prêts
à s'arracher à prix d'or tant elle semble incarner
la recette du bonheur éternel...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Dix ans après sa première apparition,
le célèbre nom "Carrera" constitue à nouveau un élément du programme
Porsche et fait son entrée dans la nomenclature 911. Ce nom vient
de l'une des plus célèbres courses au monde qui se déroulait au
Mexique dans les années cinquante et dans laquelle Porsche remporta
plusieurs victoires avec la 356 et la 550 Spyder : la Carrera Panamericana.
Présentée en Octobre 1972 au salon de Paris, la 911
Carrera RS (pour Renn Sport) fut entièrement conçue
pour la compétition, à l'image des 17 premiers exmplaires ultra légers surnommés "RSH". Lorsque la Commission Sportive Internationale
(équivalent de la FIA actuelle) change les règlements
du sport automobile en 1972, Porsche convoite alors le championnat
d'Europe GT mais se trouve dans l'obligation de concevoir et homologuer
un modèle de route fondamentalement plus sportif que la 911 2.4 S.
En effet, comme le stipule le nouveau règlement, la voiture doit être
produite à 500 exemplaires au moins pour obtenir l'homologation
en groupe 4. Au niveau du cahier des charges, Porsche n'a pas beaucoup
d'alternatives pour concilier budget et délai minimums. La
Carrera RS devait donc être principalement une déclinaison
plus légère et plus puissante d'un modèle existant.
PRESENTATION
Extérieurement, le trait le plus marquant de la RS est son
fameux aileron surnommé "queue de canard". Intégré
au capot moteur, il permet d'augmenter l'appui sur le train arrière
un peu volage de la 911, en diminuant la portance de 75%. Mais ce
délicieux look "seventies" ne serait pas si typique
et charmant sans le mariage bicolore des teintes vives de la carrosserie
et des jantes Fuchs peintes reliées par un logo Carrera de
la même couleur sur tout le flanc. Pour sigler la bête,
Porsche ajoute un logotype arrière "Carrera RS"
sur l'aileron et un lettrage "Porsche" de la même
couleur sur le bas du capot moteur. La 911 Carrera RS conserve aussi
les ailes arrière plus larges de la 2.4S. Devant, la RS inaugure
sur les premiers modèles, bien connus sous le nom de "Lightweight" ou Sport
(option M471), un bouclier en polyester qui intègre un radiateur
d'huile supplémentaire en lieu et place de la plaque d'immatriculation.
Lorsqu'un Porschiste vous parle d'une "light" ou d'une
"sport", il s'agit des premiers 500 exemplaires produits pour obtenir
l'homologation et qui ont été allégés
au maximum. Dans le détail, la perte de poids envisagée
par l'usine a été obtenue par diminution de l'épaisseur
des tôles et des vitrages pour certains éléments,
par l'utilisation d'un châssis auxiliaire avant spécifique
en aluminium forgé, d'un réservoir et des pare-chocs
en plastique, la suppression des diverses garnitures et de l'insonorisation,
de la serrure du capot moteur, des sièges arrières,
du rembourrage du tableau de bord, de la montre, des vide-poches,
accoudoirs, poignées de rappel des portes et l'ouverture
des vitres arrières. De plus, les sièges avant laissent
place à deux superbes baquets Recaro. Ces 500 modèles furent
tous écoulés dans l'année 1972.
LA 911 2.7 RS TOURING
Parallèlement à
la "Sport", une version "Touring" (M472) était
également disponible au catalogue. En effet, Porsche avait
envisagé une version moins spartiate dès le début,
sous-estimant le potentiel commercial de la Carrera RS Light. Disposant
d'un équipement intérieur très proche de celui
alors disponible sur la 2.4 S, la RS "Touring" ou "Confort"
abandonne les vitres allégées et les éléments
de carrosserie en aluminium et en polyester, remplacés par
de la tôle.
MOTEUR
Le moteur type 911/83 de la Porsche 911 Carrera RS est dérivé
de celui du 2.4 S de 190 ch (911/53), poussé à 2687 cm3 par
augmentation de 6 mm de l'alésage. Les enseignements de la
compétition vont aussi permettre à Porsche d'alléger
le bloc moteur en aluminium en remplaçant les chemises de
cylindres en "Biral" par un traitement au "Nikasil",
alliage très résistant de nickel et de silicium appliqué
par électrolyse sur les parois des cylindres. On note également
le montage de pistons allégés à tête
plate et d'un vilebrequin spécifique. Le taux de compression
reste à 8,5:1 mais la puissance du nouveau moteur grimpe
à 210 ch obtenus à 6300 tr/mn pour un couple de 26
mkg à 5100 tr/mn. La Carrera RS, ainsi dotée, va devenir
la plus puissante 911 de route parmi les "Ur-911", c'est
à dire de la première génération. La
boite est une type 915/08 à 5 rapports dont les 4ème
et 5ème ont été allongés par rapport
au 2.4L et l'embrayage a été renforcé. On pouvait
aussi en option disposer d'un pont plus court (7,37 au lieu de 7,31)
ce qui en faisait une arme encore plus redoutable ! Grâce
à un rapport poids/puissance très avantageux, la Carrera
RS s'octroie un très haut niveau de performance pour l'époque,
et même encore aujourd'hui. Sa vitesse maxi est supérieure
à 240 Km/h et elle accélère de 0 à 100 Km/h en 6,3
secondes. Ce que les chiffres ne traduisent pas, c'est aussi que
ce moteur est l'un des plus mélodieux Flat 6 qui soient.
Son timbre pur et métallique
est un véritable enchantement de l'ouïe ! Quel
bonheur de l'entendre évoluer, du ralenti jusqu'à
la zone rouge qu'il aime aller chercher avec une vigueur qui fait
bien plaisir !
SUR LA ROUTE
Comme nous l'avons vu, tout ce qui n'était pas indispensable
à la conduite fut rigoureusement supprimé ou allégé
et on arrive ainsi à un poids à vide de 960 kg pour
la fameuse "Lightweight". Pesant au total 1075 kg, elle
accuse fort logiquement un rapport poids/puissance nettement moins
avantageux que la "Sport" mais permet à une plus
large clientèle de s'offrir tout de même la plus sportive
des 911. Pour augmenter la stabilité et permettre une plus
forte accélération transversale, les jantes arrière
sont plus larges (7 pouces) que les jantes avant (6 pouces). Des
barres antiroulis de 18 et 19 mm, respectivement à l'avant
et l'arrière, ont été ajoutées. Les
amortisseurs à gaz Bilstein, plus fermes que les Koni habituellement
utilisés par Porsche, sont fixés à la caisse
par des points d'ancrage renforcés. Enfin, le freinage est
celui très apprécié de la S, à l'exception
des étriers qui sont en aluminium sur la Carrera RS. En dehors
des considérations techniques, il faut vraiment avoir eu
au moins une fois dans sa vie la chance de parcourir quelques kilomètres
de petite route ou de circuit au volant de la Porsche 911 Carrera
RS pour comprendre l'engouement et l'euphorie qu'elle suscite chez
son conducteur. Evidemment, en terme d'efficacité et de performances
pures, la RS 2,7L est derrière les récentes 964 RS
3,6 et 993 RS 3,8L... mais pas tant que l'on pourrait croire en dépit
de ses 20 ans passés ! Moins terre à terre que le
chronomètre, la musique du Flat 2,7 est réellement
pénétrante, envoûtante et magique. Ce genre
de mélodie vous donne des frissons dans le dos à chaque
montée en régime et vous ravive l'amour des belles
mécaniques "à l'ancienne". Dans la pratique,
la boîte 915 ferme et imprécise trahit son grand âge.
De même, le comportement sous-vireur de la Carrera RS demeure
typé 911, malgré l'appui supplémentaire de
l'aileron et du spoiler avant. Mais avec l'habitude et quelques
bons réglages, la Carrera RS enroule les virages avec la
précision du scalpel et l'agilité du félin.
Souple et docile à bas régime, son moteur se réveille
soudainement vers 5000 tr/mn et n'en démord pas jusqu'à
6500 tr/mn, dans un tonnerre de décibels ! En somme, la RS
2,7 n'est pas longue à vous emmener vers le nirvana de l'automobile...
sportive. Sacrée mamie !
ACHETER UNE PORSCHE 911 CARRERA RS 2,7L
Devant le succès rencontré durant
la première année (1972), deux séries de 536
puis 554 exemplaires vont s'ajouter en 1973 à la production
initialement prévue, mais avec quelques légères
différences par rapport au modèle d'homologation impliquant
surtout un poids en hausse. La production totale de la Porsche 911
Carrera RS dépassera finalement les
1500 exemplaires permettant également son homologation en
Groupe 3.
Boudée au début des années 80 puis convoitées
à l'extrême pendant la triste période de pure
spéculation de la fin de la même décennie, les
cours de la 911 Carrera RS 2.7 sont aujourd'hui retombés à
des valeurs plus raisonnables, bien que beaucoup les considèrent
encore comme étant objectivement surévaluées.
Hormis quelques exceptions, la RS 2.7 est la 911 de série
la plus côtée en collection, sa réputation ayant
fait d'elle une véritable légende roulante. Mais cette
réputation n'a rien d'usurpée, comme nous l'avons
vu, ce qui ne fait malheureusement qu'accroître le prix de
folie qu'atteint aujourd'hui la RS. En effet, si l'on exclut la
rarissime cinquantaine de modèles RSR 2,8 voués à
la compétition, une Carrera RS Light en état concours
s'échange contre 80 000 Euros, voire souvent plus selon son
état. Dans le meilleur des cas, vous vous en tirerez pour
50 000 euros minimum pour une auto à restaurer... mais y
en a-t-il encore ? Rien n'est moins sûr... Pour ne rien arranger,
la Carrera RS est très rare. Les N° de
châssis du seul et unique millésime 1973 vont du numéro
9113600001 à 9113601590 et les N° moteur 2,7 (type 911/83)
de 6630001 à 6631551. Si on fait le calcul, on établit
donc à seulement 1550 le nombre d'exemplaires fabriqués
pour la RS de route, dont 1308 "Touring" et 204 "Light",
en plus des 17 RSH, les modèles d'homologation... Autant
dire qu'il n'y en a pas pour tout le monde et c'est bien là
le problème ! Les véhicules pouvant revendiquer le
titre de "Matching Numbers" sont ceux qui disposent encore
du châssis et du moteur d'origine, avec les numéros
correspondants. Leur cote est évidemment supérieure
car ils sont très rares, les RS ayant généralement
toutes subies des modifications avec le temps et les propriétaires.
Car au-delà de la collection, la 911 Carrera RS est l'un
des rares collectors que ses propriétaires n'hésitent
pas à sortir régulièrement sur route et circuit,
certains allant même jusqu'à les utiliser au quotidien.
Normal, après tout ne dit-on pas qu'une Porsche qui s'use
est une Porsche qui ne roule pas ? Evidemment, ce privilège
réclame un budget conséquent, car la RS est une auto
fiable mais pas indestructible. Elle requiert un entretien suivi
et rigoureux. La pression d'huile maintenant la bonne tension de
la courroie est vitale, tout autant qu'un bon entretien de la carrosserie
qui, à l'exception des quelques parties en matériaux
modernes, ne refuse pas la rouille... Et comme toujours chez Porsche,
les pièces sont chères. Donc, quoi qu'il en soit,
un tel achat doit demeurer un coup de coeur et non une opération
financière, même si la cote de la Carrera 2,7L risque
de ne jamais descendre...
PRODUCTION PORSCHE 911 CARRERA RS
Carrera RS "lightweight" (M471) : 200 exemplaires
Carrera RS "touring" (M472) : 1308 exemplaires
Carrera RSH "homologation" : 17 exemplaires
TOTAL :
1525 exemplaires
:: CONCLUSION
La Porche 911 Carrera RS
2,7L est sans doute "LA" 911 de légende par excellence. Elue Porsche
du 20ème siècle par les lecteurs du magazine Flat 6,
elle semble devoir demeurer à jamais la Porsche la plus désirable
et désirée, au delà même de ses seules
qualités dynamiques. Dernier objet de désir de l'avant
crise pétrolière de 73, la 911 Carrera RS incarne à
sa manière le symbole d'une époque de libertés
et de plaisirs que nous nous sommes résignés à
ne plus jamais connaître. C'est sans doute aussi pour cela qu'elle
touche autant le coeur des passionnés...
CE QU'ILS EN ONT PENSE :
"La nervosité est sans doute ce que la Carrera RS offre
de plus étonnant à l'égard des performances.
Battre les 26" avec 2,7 litres seulement est exceptionnel.
Il faut dire que l'étagement de la boîte est excellent
(alors que la sélection des vitesses est, par contre, plutôt
médiocre) et que, naturellement, le rapport poids/puissance
de la Carrera est moins que courant. En résumé, telle
que livrée, la Carrera RS n'est pas un engin de compétition
brutal et frustre, mais une super 911S, encore plus agréable
à utiliser."
SPORT AUTO - AVRIL 1973 - ESSAI 911 CARRERA RS 2.7.
"Le pilotage réclame doigté
et technique si on veut péter un temps. Une fois que vous
avez compris comment imposer au train avant une trajectoire précise,
vous pourrez alors vous offrir un numéro exceptionnel, qui
aura le pouvoir de vous monter le taux d'adrénaline à
des niveaux plus élevés que les générations
récentes, tout en passant moins vite. Un régal, d'autant
que les gros freins vous mettent très vite en totale sécurité."
FLAT SIX - MARS 1996 - ESSAI 911 CARRERA RS 2.7. |