© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (12/04/2010)
LA DIFFICILE ASCENSION
Dans l'image de nombreux automobilistes, une voiture française
est avant tout une voiture populaire, bon marché, mal montée
et peu puissante. Alors, quand l'industrie automobile française
tente d'investir le haut de gamme et d'élever son image,
cela donne la Renault Safrane Biturbo. Une berline bourgeoise et
puissante qui se prend sans complexe à rêver d'aller
tutoyer l'élite germanique...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Les ambitions de Renault en Allemagne sont nées avec l'avènement
de la "qualité", une notion alors très abstraite
pour notre bonne vieille ex-régie nationale, jusqu'à
la sortie de la Clio et plus encore, de la R19 au début des
années 90. Le succès du modèle, et notamment
de la Renault 19 16S
outre-Rhin, laissa penser que la marque au losange pourrait en finir
avec le passé et développer son image dans le haut
de gamme, en évitant les erreurs commises avec la 25. Berline
au style fade et affligée de moteurs anémiques, la
Safrane (nom de code x54) a toutefois bien du mal à s'attirer
les faveurs des amateurs de grosses mécaniques allemandes,
malgré une qualité de fabrication en très net
progrès. Le décalage entre la production et les victoires
en F1 de Renault Sport n'en est que plus flagrant. C'est alors que
le projet d'une version puissante et luxueuse va faire parler de
lui, la Safrane Biturbo. Comme toutes les grandes divas, elle aura
su se faire attendre un bon moment. Présentée lors
du salon de Genève en mars 1992, réputé pour
son retentissement médiatique sur le marché allemand,
ce n'est qu'en novembre 1993 qu'a lieu la présentation officielle
à la presse, la commercialisation intervenant au début
de l'année 1994. Son ambition est, ni plus ni moins, que
de faire jeu égal avec la fine fleur des berlines européennes
comme l'Audi 100 S4, la Mercedes E420 ou la Bmw 540i.
DESIGN
Alors à la tête de la Direction de la Qualité,
l'intransigeant Pierre Jocou préféra donc reporter
à plusieurs reprises le lancement de la Safrane Biturbo,
considérant que celle qui allait devenir le vaisseau amiral
de Renault se devait d'offrir une qualité de fabrication
irréprochable. En raison d'une production à cadence
très réduite, la Safrane Biturbo ne pouvait être
assemblée classiquement "à la chaîne".
Renault s'était donc attaché les services de deux
préparateurs allemands, réputés dans le monde
du tuning : Hartge et Irmscher. Si le premier, bien connu pour ses
préparations sur BMW, devait se charger de la mécanique,
c'est au second que revenait déjà le soin du montage
des Safrane V6 Baccara et c'est donc tout naturellement qu'il se
vit confier l'assemblage de la Biturbo. Tout commençait dans
l'usine Renault de Sandouville où étaient prélevées,
en bout des chaînes de montage, des Safrane V6 RXE Quadra.
Elles étaient alors envoyées en Allemagne chez Irmscher
qui déposait le moteur puis modifiait la sellerie intérieure
pour les versions Baccara, effectuait le montage des éléments
de carrosserie, les modifications de châssis, puis remontait
les moteurs transformés. Les voitures une fois terminées
étaient enfin dispatchées dans les différents
centres de livraison européens. Extérieurement, la
Renault Safrane Biturbo n'est pas du genre tape à l'oeil.
En finition RXE, seulement, le petit bagde "Biturbo" incrusté
dans les baguettes latérales trahit toutefois la présence
d'une mécanique peu commune dans la production française.
Conforme à l'école allemande du tuning, c'est donc
par des détails élégants et discrets que l'on
distingue cette petite série limitée, d'une production
de masse sans saveur. Pour commencer, les grosses jantes de 17"
à 5 doubles branches vous attrapent le regard, qui se dirige
rapidement sur l'impressionnant bouclier avant abritant les deux
échangeurs air/air. Pour la face arrière, une large
sortie d'échappement ovale au bas d'un spoiler spécifique
et un petit aileron posé sur le bout du hayon terminent la
signature de cette Safrane d'exception. La discrétion de
ce kit carrosserie a aussi le mérite de ne pas trop pénaliser
le Cx, mesuré à 0,31. Côté équipement
et finition intérieure, pas de changement par rapport aux
versions dont elle est issue, si ce n'est un tachymètre généreusement
gradué jusqu'à 280 km/h !
A BORD DE LA SAFRANE BITURBO
Dans sa somptueuse finition
Baccara, la grande Renault offre de série quasiment tout
ce dont on puisse rêver, à l'époque, dans une
automobile. Intérieur cuir de très belle qualité
et bois verni, bien sûr, mais aussi dégivrage rapide
du pare-brise, antivol, chaîne HiFi CD avec commandes au volant,
téléphone mains-libres, sièges électriques
chauffants et à l'ergonomie adaptative par le biais de 6
coussins gonflables, housse à vêtements dans le coffre
sous la plage arrière, etc. Bref, il n'y a guère que
l'airbag passager qui pouvait constituer au départ une lacune
sur le marché allemand, très sensible à la
sécurité. Cela sera corrigé sur le 2ème
millesime avec l'ajout d'une ceinture ar centrale 3 points. En revanche,
le volant et sièges AR électrique disparaissent, le
téléphone mains libres et le toit ouvrant électrique
devenant les seules options sur la Baccara !
MOTEUR
Sous le capot, sans V8 ni V12 dans sa palette de moteurs, Renault
n'a pas vraiment d'autre choix que de ressortir LE sempiternel,
LE seul et unique V6 français : LE fameux PRV dont la noblesse
et le tempérament mécanique n'ont jamais vraiment
fait rêver les amateurs du genre. Toutefois, comme l'avaient
démontré Venturi et Alpine, et même Renault
sur sa R25 V6 turbo, le turbocompresseur, cette belle invention
nationale, permet de transformer n'importe quel cheval de traie
en étalon sauvage ! Et Renault s'est fait fort d'une certaine
expérience dans le domaine de la suralimentation
par turbocompresseur, notamment en F1 et en rallye, mais aussi
dans sa production depuis la Renault
18 turbo, bien que les allemands aient été les
premiers à l'utiliser en série (Bmw 2002 Turbo, Porsche
930). Dernière évolution en date, le V6 de l'Alpine
A610 développé chez Hartge, se présente comme
une base toute trouvée mais n'offre malgré tout "que"
250 ch et son caractère est jugé trop brutal. C'est
alors que, compte tenu du cahier des charges, le préparateur
étudie une double suralimentation, technique introduite en
1985 sur la mémorable Porsche
959. On greffe ainsi à notre bon vieux PRV deux petits
turbos KKK soufflant pas trop fort, 0,5 bar, et deux échangeurs
thermiques air/air, le but étant d'obtenir un agrément
d'utilisation proche de celui d'une grosse cylindrée atmosphérique
en éliminant le temps de réponse et le creux à
bas régime. La brutalité du V6 turbo de la R25 n'était
d'ailleurs pas en adéquation avec son confort pullman. De
toute façon, les ingénieurs allemands sont vite bridés
dans leur travail et doivent se résigner à ne pas
entreprendre une folle course aux chevaux, à cause notamment
de la boîte manuelle 5 rapports peu agréable et de
la transmission intégrale Quadra qui malgré les renforts
font preuve d'une évidente fragilité, affectant malheureusement
les premières séries. Le potentiel du moteur de la
Safrane est donc volontairement limité à 268 ch à
5 500 tr/mn et 37 Mkg de couple à 2000 tr/mn, dont 97% sont
disponible de 2300 à 5000 tr/mn ! Avec une telle cavalerie,
la lourde (1800 kg à vide) berline française peut
enfin espérer rivaliser avec le fleuron de l'industrie allemande
de sa catégorie. Mais malgré tout, les chronométrages
font preuve d'une certaine nonchalance, le 1000 m DA est abattu
en 27"7 et passé les 200 km/h, les montées en
régime se font moins vives. Pour satisfaire aux bonnes moeurs
et coutumes locales de son marché de convoitise, la Safrane
Biturbo se prémunit d'une vitesse autolimitée à
250 km/h. Seulement, on peut penser que la bride mécanique
intervient sur l'autobahn un peu avant la bride électronique...
CHASSIS
Véritablement soudée au bitume par ses quatre roues
motrices, la Safrane offre une tenue de route impériale,
certes moins sportive qu'attendu, mais autrement plus efficace et
rassurante que celle de ses concurrentes, Audi 100 Quattro exceptée.
On a beau dire, on a beau faire, la transmission intégrale
permanente procure au conducteur une tranquillité absolue,
quel que soit l'état du revêtement ou les conditions
météorologiques. D'autant plus que la Safrane Biturbo
possède un autre atout dans son jeu : une suspension pneumatique
pilotée électroniquement signée SACHS-BOGE,
modifiant selon 3 modes la fermeté des amortisseurs et la
hauteur de caisse à l'image d'une Citroën Xm hydractive.
La direction à assistance variable offre une véritable
facilité de prise en main, à défaut d'un feeling
extraordinaire, mais qu'importe. Nous ne sommes pas là à
bord d'une GTI ! Le freinage composé de 4 disques ventilés,
de plus grand diamètre à l'avant (320 mm contre 265
à l'arrière), résiste plutôt bien à
l'épreuve des kilos et l'ABS Bosch n'intervient pas trop
souvent grâce à l'excellente adhérence des 4
roues, chaussées en 225/45 ZR 17. Voyager à bord de
la Renault Safrane Biturbo, et plus encore en finition Baccara,
procure un bien être phénoménal et une véritable
sérénité, cette ambiance "zen" et
plutôt cosy demeure parfaitement d'actualité.
ACHETER UNE
RENAULT SAFRANE Biturbo
Aujourd'hui disponible pour moins de 15.000 euros, la grande française
n'est pas si facile à dénicher. Car malgré
son niveau général conforme aux attentes, la limousine hautes performances de
Renault n'a rencontré qu'un succès d'estime et sa production n'excède pas 806 exemplaires. Il faut
dire qu'à plus de 430 000 FF en version Baccara, la clientèle
habituée aux concessions allemandes ne se précipitait
pas si facilement dans des show-rooms peuplés de petites
Clio et de R19... Produite du 01/10/1993 au 22/09/1996, on en recenserait
environ 400 exemplaires en France et les rares modèles vendus ayant souvent
été la propriété de gros rouleurs, ils
sont parfois fatigués, pas tant au niveau moteur
que du reste. Il faut alors se mettre en chasse du retraité
aisé, qui avait alors craqué par fierté patriotique
sur le fleuron de l'automobile française et qui n'a pas trop
usé cette véritable pièce de collection. On trouve ainsi encore quelques exemplaires autour de 100.000 kms pour des prix entre 10 et 13.000 € selon la finition. Les premier sprix se trouvent à partir de 6-7000 € mais gare à l'entretien. Pour
ce qui est de la fiabilité, il ne faut pas craindre
spécialement les forts kilométrage, mais acheter
en connaissance de cause et avec un carnet d'entretien suivi. Les
points noirs connus du modèles étant principalement
: une transmission et des amortisseurs pilotés un peu trop
fragiles et disponibles uniquement sur commande à un prix
ahurissant (env. 700 euros l'amortisseur !). A noter que quelques
professionnels peuvent proposer un renforcement de la transmission
mais cela reste assez cher. En dehors de cela, freins et embrayage
affichent évidemment une usure plus rapide et l'électronique
peut vous jouer quelques tours, mais ce n'est pas mieux sur les
voitures actuelles... Bref, la grande Renault fait payer la rareté
et l'exclusivité de sa mécanique et de certaines pièces
par un budget d'entretien qui n'a pas vraiment d'équivalent
chez le constructeur au losange. Difficile également de trouver
une concession ou un garage ayant les connaissances nécessaires
et l'expérience de ces voitures. Parmi les bonnes surprises,
on appréciera la grande fiabilité du V6 Biturbo, on
en attendait pas moins de notre fidèle PRV dont la rusticité
n'a toujours d'égal que la longévité. Plutôt
glouton dans les autres modèles de la marque, il surprend
ici par une consommation presque raisonnable compte tenu de la puissance
délivrée et du poids de ce vaisseau amiral. Comptez
de 10 à 17 L/100 km selon le type de conduite.
HARTGE
LAGUNA BITURBO
0,3 bars
de pression de turbo en plus, des jantes 18" (celles
de la Bugatti EB110 s'il vous plait !) avec une grosse
barre stabilisatrice, des ressorts plus courts et des
amortisseurs plus fermes de 20%. Un spoiler avant et
un discret aileron distinguentc ette robe peinte dans
un somptueux bleu digne d'une Renault Alpine ou Gordini.
Joli clin d'oeil que cette Laguna V6 biturbo signée
du même Herbert Hartge reprenant la base mécanique
de la Safrane du même nom. La seule difficulté
tient ici à faire passer les 270 ch et les 38
Mkg au sol par le biais des roues... avant ! Malgré
les 1470 Kg de la bête, le 0 à 100 s'effectue,
sur sol sec, en 7" et le 1000m DA est abattu en
26,7". Les reprises sont particulièrement
expéditives, la Laguna Biturbo passe de 80 à
120 en 4ème et 5ème en 5" et 8"5,
à rapprocher respectivement des 6,4" et
8" d'une Bmw M3 e36...
Crédit Photo : Option Auto
:: CONCLUSION
Malgré les quelques griefs que l'on peut émettre
à l'encontre de sa mécanique, la Renault Safrane restera
dans l'histoire comme la première à avoir "essayé".
Véhicule d'image, elle a tenté d'entrer en concurrence
avec la référence mondiale en matière de grosses
berline et initié ce qui allait devenir une mission prioritaire
et une longue quête pour Renault, la reconquête de son
image et du haut de gamme. Et en dehors de ces considérations
marketing, la Safrane Biturbo demeure une formidable machine à
voyager et une valeur sûre en collection pour les années
à venir. A bichonner soigneusement...
Tous nos remerciements à Frédéric
RAULIN et Yannick DIDIER, propriétaires heureux et passionnés
de Renault Safrane Biturbo, pour leur collaboration à ce
dossier et leur aide amicale.
CE QU'ILS EN ONT PENSE :
"En un mot, la Safrane Biturbo est une française bigrement
enthousiasmante, comme on n'en avait pas vu depuis longtemps. Ses
qualités routières sont tout bonnement exceptionnelles
et son confort, son équipement, sont de très très
haut niveau. Que lui manque-il donc pour atteindre la perfection
? Ma foi, peut-être un vrai moteur moderne, digne de ses ambitions."
OPTION AUTO - GUIDE DES SPORTIVES 94-95 - RENAULT SAFRANE BACCARA
BITURBO. |