© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (10/02/2009)
APPELEZ-MOI VICTOIRE !
Dans les années 50, la France peut compter sur différents
artisans pour faire briller le drapeau tricolore
dans le sport automobile. Après de nombreuses
réussites avec leurs DB (Deutsch et Bonnet), l'association
entre Charles Deutsch et René Bonnet tourne court début
60. Bonnet parti s'équiper chez Renault avec sa Djet, Charles
Deutsch restera fidèle à Panhard avec sa CD Panhard.
Pour compenser son handicap de performances, il va peauffiner l'aérodynamique...
avec succès puisqu'en 1962 sa CD Panhard remportera l'indice
énergétique aux 24 Heures du Mans. Cocorico !
Texte: Nicolas LISZEWSKI - Photos: D.R.
Si le grand public a retenu le nom d'Alpine, Venturi et éventuellement Matra pour les productions de voitures
de sport françaises, il ne faut pas oublier pour autant
d'autres artisans qui ont porté haut et fort les couleurs
tricolores sur la route et sur les circuits dans les années
50-60. C.D. est de ceux-là et possède
une histoire qui nous rappelle que les années 50-60 étaient
avant tout l'âge d'or de l'automobile. Avec un peu d'audace,
du bon sens, un coup de génie et un partenariat pour la fourniture
mécanique avec un "grand" constructeur (comprenez
généraliste), il était possible de faire des
étincelles en compétition, et de commercialiser ses
voitures en petite série. Un contexte désormais révolu,
qui donne encore plus de saveur à l'histoire de CD (les initiales de son créateur, Charles
Deutsch).
LE DIVORCE : DJET,
LA RIVALE ?
Charles
Deutsch et René Bonnet sont bien connus des amateurs
de voitures de sport françaises. Dans l'après-guerre,
nos deux hommes se sont associés pour créer la
marque DB (Deutsch et Bonnet) spécialisée
dans la construction de petites voitures de sport en utilisant
des mécaniques et composants Panhard. Les maîtres-mots
étant la légèreté de leurs réalisations
pour pouvoir compenser des puissances souvent modestes de leurs
moteurs "pan-pan". Deutsch, polytechnicien de formation,
et Bonnet autodidactent démarrent en réalité
leur association et marque DB en 1938, mais c'est en 1949 au salon de Paris, ils vont
exposer un Racer 500, monoplace accessible, qui va leur permettre
de démarrer pleinement leur saga. Au cours des années
50, leurs performances et victoires à l'indice, aux
24 Heures du Mans, ainsi que la production de quelques modèles
pour la route (Coach HBR5, cabriolet Le Mans) va leur conférer
une place enviable sur le marché des "petites"
voitures de sport. Mais au début des années
60, nos deux hommes n'ont plus la même vision, et tandis
que Deutsch reste fidèle à la mécanique Panhard, Bonnet la juge
à bout de souffle et se tourne vers Renault pour motoriser
son nouveau coupé Djet. La Djet sera engagée
au Mans en 62 et remportera sa classe en 1100 cm3.
DESIGN
L'objectif
premier de Charles Deutsch était de poursuivre un engagement
en compétition, et surtout au Mans, course pour laquelle
il avait été souvent fidèle, et surtout
qui bénéficiait alors d'une aura sans comparaison
avec les autres compétitions automobiles. Alors pour
compenser sa faible puissance moteur, même en admettant
de ne concourir que pour l'indice de performance
et non le général, Charles Deutsch va optimiser
le poids et l'aérodynamique. Un
travail du au talent des Chappe
et Gessalin, mais aussi des aérodynamiciens comme Marcel
Hubert. Avec ses longs porte-à-faux avant et arrière
sa carrosserie sur les flancs qui s'adoucit et son arrière
fuyant, presque "longue queue", la CD Panhard étonne
avec un Cx de 0,13 ! Chapeau. On comprend mieux que les performances
soient correctes malgré une puissance très modeste.
Le coach était disponible en 2 versions : Grand Tourisme
ou Rallye, cette dernière étant plus puissante
(Cf. chapitre moteur). Trois teintes étaient disponibles
au catalogue avec le blanc, bleu métallisé ou
gris métallisé. Dans les détails on notera
les jantes au voile caractéristique des freins ETA
(Cf. encadré), les petits clignotants enchassés
sur les côtés du logement des phares avant et
les longues portées additionnelles logées dans
le masque avant.
CG : CHAPPE ET
GESSALIN
Chez
CG, avant de produire des autos sous leurs propres initiales
(Chappe et Gessalin), on a travaillé d'arrache-pieds
et toujours avec talent et passion pour les autres. C'est bien
simple, Alpine, DB, CD, René Bonnet sont passés chez eux sans
compter quelques réalisations pour Grégoire JA,
la 2CV UMAP, Monomill... Un travail de titan qui nécessitera
un déménagement de St Maur à Brie Comte
Robert. En 1962, c'est l'année faste pour CG avec des
victoires au Mans avec la CD et la Bonnet !
A BORD DE LA CD PANHARD
L'habitacle, réservé à
deux personnes uniquement était très sportif
et spartiate. Allègement oblige ! Deux baquets, et
une planche de bord très simple : deux compteurs ronds
et une batterie de trois rangées de contacteurs sur
la console centrale. Levier de vitesses au plancher (c'était
plus "sport" à l'époque) et barre
de maintien au-dessus de la boîte à gants pour
aider le co-pilote à se maintenir... Le volant trois
branches acier avec jante en bois met tout de suite dans l'ambiance.
En version Grand Tourisme, la CD Panhard était vendue
15 500 FF, lorsqu'une berline PL-17 coûtait moins de
10 000 FF et un coupé 24 10 400 FF. Chère la
CD ? Cela lui a certainement causé du tord...
MOTEUR
Au début de l'année 59, Panhard dévoile son
nouveau moteur Tigre. Si d'ordinaire le moteur M5 était plutôt
adapté à une clientèle familiale mais pas nerveuse
du volant, la Dyna perdait régulièrement des clients
qui se tournaient alors vers la Renault Dauphine, doppée
en image par la version Gordini. Le moteur M5-T baptisé "Tigre"
se chargea donc de repartir à la conquête de ces clients
perdus avec plus de puissance. Pour y parvenir, l'équipage
mobile avait été allégé et la carburation
et admission retravaillés. Le coach CD Panhard reprenait
le moteur Tigre de la berline PL-17. Avec 848 cm3, il se distinguait
par son architecture : deux cylindres à plat refroidis par
air (avec turbine Aérodyne à double effet) comme sur
une Citroën 2 CV. Alimenté par un carburateur double
corps Zenith 38, il développait ainsi 60 ch SAE à
5 750 tr/mn (environ 50 ch DIN). Une puissance certes modeste, mais
déjà très coquette pour une sportive de seulement
580 kilos ! La berline motorisée de la même mécanique,
ou même le coupé 24 CT pesaient près de 250
kilos de plus. Une boîte mécanique à quatre
rapports avec première synchronisée était de
série. Les performances annoncées par les documentations
d'époque indiquaient 160 km/h en vitesse maxi. A noter qu'une
variante "Rallye" dotée de deux carburateurs double
corps Zenith développait plus de puissance et atteignait
180 km/h en vitesse maxi. A cette vitesse-là, dans un coach
CD Panhard, l'ambiance sport et les sensations doivent être
garanties ! Il fallait débourser 1 000 Francs de plus pour
cette version (soit environ 7% de plus).
CHASSIS
Comme
les Alpine A108 et A110, la CD Panhard est dotée d'un châssis
acier soudé à une poutre centrale. A l'avant,
elle se termine par un ensemble de quatre tubes sur lesquels
sont fixés les trains roulants, ainsi que la direction
et les suspensions, tous issus de la berline PL-17. Une poutre
transversale compose la partie arrière qui vient se raccorder
à la poutre centrale. Les barres de torsions et les bras
viennent se fixer sur cette poutre transversale arrière.
Avec ses voies arrière plus étroites que celle
de devant, c'est la finesse de la pénétration
dans l'air qui était privilégiée. L'ensemble
de l'auto pesait alors moins de 600 kilos, preuve de la réussite
du concept de Charles Deutsch. Posée par terre, la
CD n'avait une garde au sol que de 13 cm. La direction à
crémaillère était connue des berlines,
tandis que les freins à tambours ETA étaient
inédits (Cf. encadré ci-dessous). Contrairement
à ce que l'on pourrait croire d'une sportive de cette
trempe, les roues motrices sont les roues... avant ! Lesdites
roues sont chaussées de pneus Dunlop XAS FF 145 x 380. L'expérience
de la compétition sert toujours à la série.
Ainsi, c'est grâce à la Panhard CD du Mans que
la gamme Panhard va profiter des nouveaux freins à tambours
ETA (Evécuation Thermique Accéléré).
On les reconnaît aisément par la forme extérieur.
Les tambours sont en aluminium et sont revêtus intérieurement
en fonte. Des freins de course sur les sages berline PL-17 ?
Presque...
ACHETER UNE CD PANHARD
Oser donner des conseils sur les tarifs et l'achat d'une rareté
comme la CD-Panhard tient de la gageure et presque de l'inconscience. Ce qu'il faut
retenir, c'est surtout que l'auto est très rare (160 exemplaires
produits à l'époque environ), jamais nécessairement
identique de l'une à l'autre, production artisanale oblige.
Sans parler des version compétition du Mans (une version
à aileron de 64 est affichée à 350 000 euros
chez un professionnel !), les Grand Tourisme ou Rallye de route
sont certainement à des cotes ou des valeurs d'échange
qui dépasse la logique. Seuls de véritables passionnés
érudits partiront à la recherche d'une telle auto,
en faisant preuve de patience qu'un propriétaire accepte
de s'en séparer. Bonne nouvelle, pour les pièces mécaniques,
la provenance des organes des berlines PL-17 permet de s'approvisionner
encore sans trop de gros problèmes. Les bourses d'échange
et les pros apporteront une réponse. En revanche, les quelques
pièces spécifiques deviendront vite une quête
du Graal, et les frais de remise en état de la carrosserie
sont toujours aussi chers, puisque obligé de refaire des
moules ! Attention à vérifier le châssis acier
qui pourrait rouiller incidieusement ou avoir souffert de chocs
ultérieurs. La carburation nécessite des réglages
ad hoc pour que la mécanique donne la pleine mesure.
LES
C.D. PANHARD AU MANS
Mine de rien, avec son air fluet, la CD Panhard a d'abord
été conçue pour la compétition.
Ainsi elle participera au Mans en 1962 et 1964. En
1962, trois autos sur les quatre prévues prennent
le départ (n° 53, 54 et 55).
Le moteur est ramené à 702 cm par un réduction
de l'alésage qui passe de 84,85 à 77,2 mm. La
n°53 pilotée par l'équipage Alain Bertaut-André
Guihaudin remporte l'indice de performance à la moyenne
de 142,793 km/h. Les deux autres abandonnent (accident et
panne moteur). En
1963, Panhard concentré
sur le lancement de sa 24 ne sera pas présent. C'est
une mécanique DKW qui motorisera les CD. Abandon pour
les autos. Enfin, en
1964, bien que Panhard et Citroën ne soient plus
très favorable à cet engagement, Charles Deutsch
poursuit son aventure au Mans avec deux autos à l'aérodynamique
encore améliorée et impressionnante (les N°44
et 45). Malheureusement les deux autos abandonneront sur panne
moteur et de transmission, la mécanique Panhard étant
réellement au bout de son développement...
CHRONOLOGIE CD PANHARD
1961 : Charles Deutsch, après sa rupture avec René
Bonnet, Deutsch fonde la SECA-CD (qui devient ensuite SERA).
Malgré le déménagement des ateliers de Chappe
et Gessalin de St Maur à Brie Comte Robert, la conception
de la carrosserie de la CD Panhard se poursuit.
1962 : En avril, la CD Panhard réalise ses premiers essais
au Mans.
Le 23 juin, la CD-Panhard remporte l'indice énergétique
aux 24 Heures du Mans (16e au classement général).
Le 16 septembre, Charles Deutsch déçu de n'avoir pas
réussi à dépasser les 200 km/h aux 24 Heures
du Mans avec sa CD, il utilise la ligne droite des Hunaudières
avec une carrosserie mieux profilée et un moteur optimisé.
Résultat, un 204 km/h de moyenne. Joli ! En septembre, la CD-Panhard reçoit au salon de Paris le Grand
Prix de l'Art et de l'Industrie Automobiles Français (catégorie
Sport et Grand Tourisme).
1963 : Au printemps, Citroën prend 76% du capital de
Panhard.
A l'automne, Panhard commercialise le coach CD en deux versions
: Grand Tourisme et Rallye.
1964 : Participation sans succès de la CD-Panhard
aux 24 Heures du Mans.
Arrêt du coach de série CD Panhard.
Au cours de l'été, arrêt de la production du
coach CD-Panhard.
1965 : En juin, fusion de Panhard et Citroën. En réalité,
c'est Panhard qui perd son indépendance.
1967 : 20 juillet, arrêt de la production de 24. Arrêt
également de la marque Panhard dans l'automobile de tourisme.
PRODUCTION CD PANHARD
Total CD Panhard Coach "série" (1962-64) : 160
exemplaires
dont environ 1/3 en version Rallye et 2/3 en version Grand Tourisme.
:: CONCLUSION
C'est tout l'esprit des artisans automobiles français des
années 60 qui est symbolisé par cette CD Panhard.
Une sorte de requiem officiel de Charles Deutsch (il continuera
sur d'autres projets par la suite) avec un constructeur "généraliste"
qui se cantonne désormais dans l'utilitaire militaire. Rare,
jolie, aérodynamique et efficace, la CD Panhard est à
réserver aux seuls amateurs avertis. Et puis ce n'est pas tous
les jours qu'on peut rouler dans une voiture victorieuse à l'indice
des 24 Heures du Mans sur la route...
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