L'ART DU GRAND TOURISME
Dès sa sortie en 1994,
la Ferrari 456 GT nous avait séduit par sa robe sportive,
élégante et racée comme par son V12 magique.
Un ensemble de qualité qui en faisait indéniblement
l'une des plus formidables GT du monde. Mais voilà, bien
que sa beauté semble désormais éternelle, les
années ont passé et la concurrence a affûté
ses armes. Le temps était donc venu pour Ferrari de donner
une descendance plus somptueuse encore à son coupé
2+2. Dix ans plus tard, la F137 rebaptisée "612 Scaglietti"
entre en scène...
Texte :
Anthony SINCLAIR
Photos : D.R.
En matière de Grand Tourisme, Ferrari
s'est toujours issé au plus haut niveau de la production
internationale. Non pas que les modèles de Modène
soient les mieux construits, ni les plus fiables, mais d'un point
de vue sensations et caractère, ils ont toujours bénéficié
de mécaniques et de lignes exceptionnelles. Fidèle
au douze cylindres en V en position avant, la 612 Scaglietti rend
hommage au célèbre carrossier italien ayant oeuvré
pour Ferrari à plusieurs reprises et se pose ainsi en digne
héritière d'une lignée prestigieuse de coupés
2+2 débutée en 1948 avec la 166 Inter.
DESIGN
Avec son empattement impressionnant (2950 mm !) et son interminable
capot avant, la Ferrari 612 Scaglietti ne possède pas l'équilibre
naturel qu'avait la 456 GT. Mise en volumes par Pinifarina Design,
la nouvelle GT Ferrari ne fait pas d'emblée l'unanimité,
surtout auprès des inconditionnels de la marque. Après
tout, ce n'est pas si surprenant car elle incarne une rupture volontaire
avec les GT 2+2 traditionnelles de Modene, sensée marquer
le début d'une nouvelle ère. Il faut donc l'observer
un bon moment, sous tous les angles, pour en comprendre l'harmonie
et la complexité, dont finit par naitre une beauté
subtilement "technologique". Le profil creusé,
à la façon du BMW Z4, donne beaucoup d'originalité
à ce long missile, tout en rappellant aux afficionados la
célèbre 375 MM. Très technique, la sculpturale face avant
inaugure des phares au Xénon de petites dimensions, englobés
avec les clignotants sous une vitre Plexiglas. Les deux arrêtes
qui parcourent le dessus des ailes, trouvent un prolongement jusque
dans la grille de calandre qui s'ouvre béante vers le bitume.
Plus classique, l'arrière rassure avec ses quatre feux ronds
et ses quatres sorties d'échappement chromées. Original
et moderne, l'ensemble n'en est pas moins typiquement Ferrari, dans
un habile mélange de sportivité et d'élégance
qui ne passe aucunement inaperçu auprès des foules.
HABITACLE
Avec un intérieur plus moderne et spacieux que celui de la 456 GT
grâce à des dimensions augmentées, la 612 Scaglietti affiche des
caractéristiques prometteuses en matière de confort. Avec
des dimensions augmentées par rapport à la 456, la 612 Scaglietti
propose presque 4 vraies places tant les passagers arrière
ont fait l'objet d'un soin évident. En bonus, le coffre à
bagages plus grand de 25 % que celui de la 456M, soit 240 litres,
pourra contenir par exemple... un jeu de bagages Ferrari à cinq
éléments ou deux sacs de golf. A bord, l’équipement évolue également
significativement. L'instrumentation classique à deux compteurs
est complétée d’un large ordinateur de bord, comme dans la Enzo.
Les commandes sont positionnées sur le volant pour un contrôle maximal
du conducteur. Elle comprennent le réglage de la climatisation séparée
(bi-zône) et un système Hi-Fi signé Bose et conçu spécifiquement
pour l’intérieur de la 612 Scaglietti. Côté "déco",
la présence de l'aluminium, en rappel du matériau
noble dont est faite la Scaglietti, et du cuir Conolly est omniprésente.
Et bien sûr, la 612 Scaglietti reste entièrement personnalisable,
comme toute automobile d'exception. En dehors de certains détails
de finition qui nous rappellent que les Ferrari sont toujours des
voitures artisanales, la 612 Scaglietti se positionne dans une bonne
moyenne concernant la qualité de fabrication. Evidemment,
en comparaison, les progrès accomplis chez Lamborghini, désormais
dans le giron d'Audi, sont incomparablement plus remarquables...
mais qu'importe ! Au volant d'une Ferrari, on ressent toujours cette
même émotion, en admirant une atmosphère au
charme inimitable, à commencer par le premier regard dirigé
vers le "Cavalino rampante" au centre du volant. A gauche,
sur le tableau de bord, un macaron "F1 World Champion"
avec les 6 années des titres obtenus confirme à quel
point les Ferrari de route sont la transposition des voitures de
compétition. Que l'apport soit technologique ou simplement
psychologique, il contribue grandement à l'image, la renommée
et le mythe Ferrari.
MOTEUR
Le V12 représente bien évidemment une part indissociable la légende
Ferrari. La 612 Scaglietti est motorisée par une évolution
du V12 à 65° de la 575M. Le circuit d'admission d'air et d'échappement
a notamment été revu en profondeur. D'une cylindrée
de 5 748 cm3 (c’est de là que vient le chiffre 6 de 612),
le magnifique 12 cylindres à 48 soupapes italien développe
désormais 540 ch au régime peu commun de 7 250 tr/mn.
Le couple confortable, 588 Nm maxi à 5 250 tr/mn, est également
étalé sur une large plage de régime, octroyant
à cette mécanique d'orfèvre une élasticité
exceptionnelle. Et que dire de la sonorité ? Aussi superbe
à contempler avec sa culasse rouge, que délicieux
à écouter, le V12 Ferrari évolue dans un spectre
musical très élitiste, loin de toutes les références
auquelles on souvent contraints de s'habituer dans un marché
en pleine Diesélisation. Il s'agirait presque, par comparaison,
d'opposer Mozart à la Star Académy... Ayant relégué
au musée l'antique boîte automatique, les ingénieurs
ont accouplé le V12 à une transmission séquentielle
semi-automatique, type F1, à six rapports qui sera sans doute nettement
préférée à la boîte de vitesse mécanique. Nommée
F1A, cette nouvelle boîte, disponible en option contre 9000
euros (!), promet des changements de rapports ultra rapides (200
millisecondes en mode sport) et une utilisation confortable (mode
normal). Le moteur, monté derrière l’essieu avant, et la boîte de
vitesse et le différentiel, installés à l’arrière selon une définition
transaxle, permettent au centre de gravité de rester loin en arrière
et aussi bas que possible. Les performances revendiquées
par l'usine sont éloquentes, et de loin supérieures
à celle de la première 456, avec par exemple le 0
à 100 km/h abattu en 4,2 secondes ! Le passage de la borne s'effectue
en 22", un temps remarquable lorsqu'on découvre à
la lecture du dossier de presse que la 612 Scaglietti, annoncée
comme très légère grâce à l'emploi
massif de l'aluminium, pèse tout de même 1840 Kg "à
vide" ! Ou plus exactement "à sec" puisque
ces mesures donnée spar l'usine sont faites "hors pleins".
Grâce à une aérodynamique soignée, la
612 Scaglietti est capable de filer à 320 Km/h, soit à
peu près aussi vite qu'une F40 ! Enfin, c'est un détail
pour les clients, mais la consommation du monstre n'a justement
rien de monstrueux puisque la moyenne Euromix est donnée
à 20,7 L/100 Km.
CHASSIS
Parmi les innovations les plus intéressantes de la Ferrari
612 Scaglietti, il faut noter le tout aluminium. Bien qu'il n'ait
rien à voir avec la dernière née de Maranello,
il faut rappeller qu’historiquement, Sergio Scaglietti a réalisé
certaines des plus belles Ferrari jamais construites, dont l'originalité
était déjà à l'époque, l’emploi
de l'aluminium pour la carrosserie. Aujourd’hui, suite aux enseignements
obtenus avec la 360 Modena, la 612 Scaglietti est basée sur une
structure de type space-frame entièrement en aluminium. Cette structure
est composée d'aluminium extrudé (38%) et de feuilles
d'aluminium (28%) en renforts ainsi que de soudures d'aluminium
faisant office de joints. La structure du châssis comprend
aussi quatre grandes cages sur lesquelles sont fixés les
éléments de suspension usinés au laser. Ce
procédé garantie des dimensions parfaites dans les
zones de contact et de tension ce qui améliore la rigidité
de la coque et donc la tenue de route et de la résistance
aux chocs. Le résultat est une augmentation massive de 60 % de la
rigidité complète de la structure et un gain de 60 kg par rapport
à sa devancière. Un résultat somme toute surprenant
puisqu'au final, la Scaglietti pèse 1840 Kg contre 1770 à
la 456 MGT... Grâce au positionnement central avant du moteur,
la répartition des masses est presque idéale (46%
avant, 54% arrière). La suspension active de la 612 Scaglietti
est également plus intelligente que jamais avec des capacités
d'adaption en temps réel au relief de la route. La double
triangulation avant et arrière en aluminium forgé
permet un travail des amortisseurs dans les meilleures conditions
possibles en diminuant sensiblement les masses non suspendues. Le
système corrige également le tarage en phase de freinage
(en durcissant l'avant) et en phase d'accélération
(en durcissant l'arrière). La calibration des amortisseurs
est contrôlée par un processeur indépendant
du reste des autres contrôles électroniques qui mesure
en permanence la vitesse de rotation des roues. Fort des enseignements
de la F1 et du travail effectué sur la dernière supercar
Enzo, il semble évident que Ferrari est désormais
en mesure de proposer à ses clients une GT plus moderne et
performante que jamais et technologiquement au niveau de ses meilleures
rivales, principalement allemandes. Inaugurée il y a longtemps
par Citroën, la suspension active est en passe de devenir le
meilleur moyen de concilier un amortissement confortable en conduite
calme et un amortissement efficace en conduite sportive. Le programme
Ferrari propose d'ailleurs les deux modes préréglés
au pilote, Normal (calibration douce) et Sport (calibration dure).
Les jantes de la 612 Scaglietti sont aussi un superbe compromis
entre efficacité et réduction de poids. Réalisées
en alliage d'aluminium, elles adoptent un diamètre différent
à l'avant (18") et l'arrière (19") pour
un meilleur compromis entre confort et tenue de route. Le gain de
poids face à une jante de même diamètre atteint
10% grâce à un procédé métallurgique
spécifique. Les gros pneus Pirelli PZero Rosso de 245/45/18
et 285/40/19 sont également le fruit d'un long travail effectué
sur le circuit de Fiorano pour définir le meilleur rapport
confort/efficacité. Un contrôle électronique
de la pression des pneus (TRMS) averti le conducteur au tableau
de bord en cas de problème. Il est aussi un un autre point
sur lequel Ferrari est en passe de rattrapper son retard : le freinage
! Compte tenu du poids de ce long coupé, il était
impératif de mettre au point un système aussi puissant
qu'endurant. La 612 Scaglietti est particulièrement résistante
au phénomène de "fading" (perte de puissance
de freinage à la pédale), et en parfait accord avec
le niveau de performances du formidable V12 italien. L'ensemble
consiste en des disques percés et ventilés de très
grand diamètre (345 mm à l'avant et 330 mm à
l'arrière) avec des étriers à quatre pistons.
Le servo-frein comprend 2 membranes (de 8" et 9") et permet d'accroitre
la rapidité de réponse et la puissance à la
pédale. Le système ABS Bosch 5.7 veille évidemment
au grain. Malgré tout cela, Ferrari a développé
son premier système ESP, baptisé "CST",
comprenant un contrôle de traction et de stabilité.
Heureusement entièrement déconnectable, ce système
constitue néanmoins une grande première chez Ferrari
qui jusqu'alors défendait son absence par une maîtrise
de la conduite et du pilotage des acheteurs de Ferrari. La 612 Scaglietti
étant sans doute plus grand public qu'il n'y parait (et aussi
bien plus chère à réparer à cause de
l'aluminium !), les ingénieurs ont dû se plier au conformisme
ambiant, que même Porsche avec son PSM ne s'est pas permis
de refuser à une clientèle de plus en plus exigeante
en matière de sécurité.
:: CONCLUSION
Au final, la Ferrari 612 Scaglietti marque une nouvelle ère
pour la firme de Maranello en matière de coupé grand
tourisme 2+2. Moins radicale et plus technologique que ses aïeules,
la Scaglietti n'en est pas moins plus performante, plus efficace,
plus facile et plus sûre. Mais, cette dure loi du progrès,
à laquelle aucun constructeur ne semble pouvoir échapper,
ne ferait-elle pas perdre leur âme, même aux meilleures
de nos icônes ?...
CE QU'ILS EN ONT PENSE :
"La 612 n'est pas la plus passionnante des Ferrari à
conduire, ni la plus belle. Mais son agrément mécanique
absolument fantastique et sa facilité déconcertante
d'utilisation en font, déjà, une grande figure du
grand tourisme."
SPORT AUTO - N°507 - ESSAI FERRARI 612 SCAGLIETTI. |