© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (01/01/2001)
L'OUBLIEE DE PSA
Au fil des ans depuis les années 60, Matra a construit patiemment
une image sportive en compétition et sur la route avec des modèles
toujours innovants. Allié à Simca, puis Chrysler, Matra connu un
succès honorable avec la Bagherra (environ 50 000 exemplaires produits)
commercialisée en 1973. Pour les années 80, on fait appel à la Murena,
mais les rachats par PSA vont condamner sa carrière…
Texte :
Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R.
Point d'orgue de la politique sportive de
Matra : les victoires aux 24 Heures du Mans en 72 et 73. Pour la
production routière, Matra utilise et profite outrageusement
de ses succès en compétition, mais c'est surtout avec
la voie de la créativité et l'originalité que
Matra se distingue. Tout commence avec l'innovante Djet/Jet à moteur central arrière, puis la curieuse mais sympathique Matra 530 et ensuite
à partir de 1973 avec la Bagherra à la ligne plus
classique mais disposant de 3 places frontales et de mécaniques
toujours insuffisamment puissantes. Ainsi, l'esprit est là,
mais pas les performances...
M551 : LA FUTURE MURENA...
Si la Bagherra se vend très bien
en France, elle ne rencontre pas le succès escompté
en Allemagne en raison d'une finition de piètre qualité,
des châssis qui rouillent sournoisement et un manque de puissance
évident. Dès 1976, même si les ventes sont toujours
satisfaisantes, Matra avec Chrysler, alors propriétaire de
Simca, commence à étudier une évolution améliorée
de la Bagherra. Son nom de code : M551. L'objectif est clair. La
voiture doit conserver la même architecture, mais doit être
plus fiable, plus sportive et mieux finie. Sur une Bagherra, un
V8 avait été monté, mais il n'y eut pas de
suite. Sur la Murena, on reste sur un quatre cylindre issu de la
production de série pour conserver des coûts acceptables.
En 1978, Peugeot rachète Chrysler Europe avec dans la corbeille
de la mariée, Matra Automobiles. L'idée de monter
le tout nouveau 2,2 litres tout alu étudié et fabriqué
par la Française de Mécanique (société
appartenant à Peugeot et Renault) qui va équiper les
Renault 20 et Citroën CX fait son chemin chez Matra. Mais Renault
va opposer son veto, car la nouvelle Fuego va recevoir ce moteur
DES ENTRAILLES SIMCA-CHRYSLER
La ligne définitive est figée. Très fluide
et élégante, on a aujourd'hui encore du mal à
s'imaginer que cette auto est sortie en 1980 ! A noter
un très bon Cx de 0,32. Les surfaces vitrées sont
très importantes mais n'empêchent pas un piètre
visibilité sur les ¾ arrière. La carrosserie
est évidemment en plastique (comme les 530 et Bagherra).
Composée d'une douzaine d'éléments, la carrosserie
est fixée sur la structure métallique du châssis.
Pour ce dernier, le même principe que la Bagherra est repris.
Ainsi, des bras tirés conjugués à des ressorts
hélicoïdaux prennent place à l'arrière,
tandis que la train avant est celui de la Talbot Solara et adopte
une suspension à double triangulation et barres de torsion
longitudinale. Deux différences avec la Bagherra, mais elles
sont très importantes : le châssis est entièrement
galvanisé (Les Murena étaient garanties 6 ans anti-corrosion)
et les voies sont élargies et l'empattement plus grand de
6 cm.
Côté mécanique, on l'a vu, il faut plus
de puissance. Puisque Renault ne veut pas donner le nouveau 2,2
de la Française de Mécaniques, Matra se rabat sur
le 2 litres Chrysler et le réalèse à 2,2 litres
et en tire 118 ch. Doté d'un simple arbre à cames
en tête, ce moteur autorise des performances nettement supérieures
à la Bagherra. Mais le marketing de PSA réclame également
une version d'accès, meilleur marché. On reprend donc
le 1,6 litres de Chrysler qui dispose de 92 ch, soit tout de même
2 de plus que la Bagherra S. Les boîtes de vitesses bénéficient
enfin de 5 rapports contre 4 à la Bagherra.
EVOLUTIONS
En septembre 1980, Matra-Talbot présente la Murena.
Disponible en 2 motorisations (1600 de 92 ch et 2200 de 118 ch),
seule la 1,6 l. est commercialisée d'entrée. La 2,2
l. sera commercialisée quelques mois plus tard en raison
de problèmes de mise au point sur la portance des véhicules
à haute vitesse. Les Murena 2,2 l. ont tendance à
louvoyer ! Très peu de différences extérieures
entre les deux versions. La 2,2 litres reçoit en série
de très belles jantes alu à ailettes de 14",
et des vitres électriques. La 1,6 reçoit de série
des jantes en tôle de 13" mais peut bénéficier
en option des jantes alu de la 2,2 litres et des vitres électriques.
A noter que malgré son architecture, la Murena propose tout
de même un coffre aux dimensions respectables. Mais collé
au moteur, il y fait chaud dedans
Si les Murena sont moins
chères que les Porsche 924, alors rivales directes,
elles restent plus chères que les Alfa Alfasud Sprint Veloce,
Datsun 240Z, VW Sirroco
En plus elles sont distribuées
par un réseau Peugeot-Talbot qui a du absorber les concessions
Simca-Chrysler et sont souvent délaissées dans le
fond des hall. Enfin, vu la piètre accessibilité mécanique,
les techniciens du réseau PSA, rechignent souvent à
accueillir ce modèle. Il est vrai que le plus pratique est
de s'asseoir dans le coffre pour travailler dans le compartiment
moteur ! Si la presse et les clients saluent l'évolution
significative par rapport à la Bagherra (les Allemands vont
particulièrement apprécier les versions 2,2 litres
et les Italiens la 1,6 litre pour des raisons fiscales), tout le
monde déplore encore le manque de performances par rapport
aux Porsche ou même à l'Alpine A310, plus pointue.
ESPOIRS DEÇUS
Devant tant d'insistance et une telle demande, les ingénieurs
de Matra dévoilent une version baptisée Murena 4S en
1981. Toujours équipée du 2,2 litres, cette "Super"
Murena reçoit une culasse à double arbre à
cames en tête. Le moteur ainsi modifié développait
alors 180 ch et affichait une fiabilité intéressante.
La boîte de vitesse encaissait apparemment le surcroît
de puissance sans sourciller et la carrosserie était équipée
d'un kit spécial avec ailes larges dotées d'entrées
d'air, de jantes alu Targa et d'un spoiler avant retravaillé.
Ce kit, étudié en soufflerie, qui n'a rien à
voir avec les kits Polytechnic et JP Beltoise, permettait alors
une vitesse de pointe de 225 km/h. Mais Peugeot refuse cette évolution,
trop occuper à gérer son nouveau groupe avec 3 marques.
De plus, il ne croit plus aux coupés sportifs (y a-t-il seulement
cru une fois ?
).
Autre tentative, le montage d'un V12 par
André Legan, mais qui restera au stade de la maquette. Pour
finir, dernière tentative avec un 2,2 litres de 178 ch équipé
d'une culasse Roc 16 soupapes, de 2 ACT et d'une injection mécanique
Lucas. Mais là encore veto de Peugeot.
LE SURSAUT !
Pourtant, en 1982, PSA accepte enfin de commercialiser via
le réseau un kit 142 ch. Ce kit est constitué d'un
arbre à cames plus pointu assurant des levées de soupapes
supérieures, un allumeur différent et un nouveau collecteur
d'admission à quatre conduits séparés. L'alimentation
étant assuré par 2 carbus Solex double corps horizontaux.
Le coupé Murena 2,2 kit permettait ainsi d'espérer
atteindre les 210 km/h et descendre sous les 30 secondes au km DA.
La Porsche 944 est dans la ligne de mire. Mais ce kit, qui n'est
pas une option officielle nécessite 25 heures de main d'uvre
en concession et vient grever le prix d'achat de la Murena 2,2 litres
de manière conséquente. Près d'une centaine
de kits 142 vont être ainsi vendus et montés par le
réseau Peugeot-Talbot. Le kit se compose également
d'éléments de carrosserie avec un aileron arrière
noir mat et des extensions de bas de caisse.
En juin 1983, la Murena
est enfin commercialisée avec le kit de série. C'est
la Murena S. Mais, les impératifs de groupe et la mésentente
entre PSA et Matra sont les plus forts et la Murena va partir sur
la pointe des pieds en juillet 1983. Après 10 680 exemplaires
produits, la Murena n'aura connu qu'un succès d'estime.
LES RAISONS D'UN ECHEC
On ne peut pas imputer à 100% l'insuccès commercial
de la Murena au groupe PSA, ou à Matra. L'évolution
du marché automobile et des modes a modifié les goûts
des acheteurs. Si dans les années 70, les coupés et
cabriolets ont eu le vent en poupe, les années 80 rentrent
dans la banalisation stylistique et conceptuelle. Les coupés
populaires ou de grande série sont devenus caduques : les
GTI comme la Golf sont aussi performantes voire plus avec une habitabilité
et un confort supérieur et seules les GT et coupés
sportifs puissants ont quelque chose de plus à apporter dans
la balance. Donc, la Murena aurait pu avoir plus de succès,
à condition d'avoir une mécanique plus noble et des
performances plus avenantes. Car honnêtement, entendre les
culbuteurs s'agiter dans le 1600 tapi derrière nos oreilles
n'ont rien d'excitant. La Murena est en plus tombé au plus
mauvais moment dans l'histoire de PSA, alors englué dans
la reprise et l'absorption de Chrysler Europe, découlant
sur une restructuration du réseau peu en phase avec la promotion
et la vente de ce modèle de niche. En outre, Matra a voulu
trop capitaliser sur des succès et une image sportive datant
de 1972 et 73, qui, bien qu'éclatant et légendaires,
demeurent désuets en 1980 à l'heure des rallies et
de la Formule 1. Pas d'engagement officiel et dans des compétitions
de premier plan n'ont servi les Matra Murena. Si Porsche et Ferrari
sont au zénith de leur image depuis de nombreuses années,
leurs engagements en compétition au plus haut niveau depuis
des années n'y sont pas étrangers. Enfin le statut
bancal de Matra en tant que constructeur lié et attaché
à un grand constructeur généraliste a forcément
freiné l'essor et le développement de la Murena.
ACHETER UNE MATRA MURENA
Avec moins de 11 000 exemplaires produits, les Matra Murena sont
finalement des véhicules rares, mais recherchés par
des passionnés de la marque, Matra bien sûr, et des
voitures de sport françaises. D'autant que les qualités
des Murena sont bien réelles. Tenue de route, fiabilité,
confort de conduite, look, esprit
Les 1,6 litre ont souffert
au niveau des suspensions arrière qui pouvaient se casser.
Des interstices laissaient entrer l'eau et la corrosion faisait
alors sa basse besogne. Les mécaniques, si elles ont bien
entendu été entretenues, sont très fiables
(les 200 à 300 000 km sont envisageables !). Idem pour les
boîtes, même si on décèle un synchro de
seconde souvent fragile. L'intérieur, au style curieux et
original, vieilli assez mal, surtout au niveau des sièges
et des garnissages. Il n'est pas rare de les refaire avec le temps.
Seul réel souci, les nombreuses Murena kitées par
des kits carrosserie qui la dénature quelque peu. Il faut
compter à partir de 2 300 € pour des 1,6 litres et à
partir de 3 500 € pour des 2,2 litres. Les S ou les Kits 142,
beaucoup plus rares et plus performantes se négocient à
partir de 6 700 €. Ces dernières intéressent
particulièrement les vrais passionnés de la Murena.
CHRONOLOGIE MATRA MURENA
1980 : Arrêt de la Bagherra Série 2. Présentation
et commercialisation de la Matra Murena en septembre. 2 versions disponibles
: la 1.6 de 92 ch et la 2.2 de 118 ch.
1981 : En novembre, Matra présente le prototype 4S qui reprend
le 2.2 et développe 180 ch. Projet non commercialisé. Vice-championne
de France de Rallye-Cross aux mains de J.P. Beltoise. Version "Chimère"
de Chapron présentée au salon de Paris avec 2 demi-toits
amovible et un intérieur spécifique.
1982 : Châssis unique sur les 2 versions 1.6 et 2.2. En juillet,
un kit 142 ch est disponible sur les 2.2 dans le réseau Peugeot-Talbot. Championne
de France de Rallye-Cross avec J.P. Beltoise. Participation d'une
Matra Murena au Rallye de Monte-Carlo.
1983 : En juin, commercialisation officielle de la Murena S qui
reprend en fait le kit 142 ch. En juillet la production des Murena
est arrêtée. Championne de France de Rallye-Cross avec
J. Servoz-Gavin.
1984 : Championne de France de Rallye-Cross avec Max Malmers.
PRODUCTION MATRA MURENA
Murena 1600 : 5640 exemplaires
Murena 2200 118 ch : 4560 exemplaires
Murena 2200 S : 480 exemplaires
::
CONCLUSION
Une chose est certaine, avec si peu d'exemplaires vendus
et des performances correctes en 2.2, les Matra Murena en offrent beaucoup à peu de frais. Il ne faut pas
hésiter trop longtemps avant d'acheter ces petits bolides bien de
chez nous comme on en fait plus. Depuis la mort de l'Avantime, la cote des automobiles Matra remonte doucement mais sûrement… |