MASERATI 2.24V (1988 - 1992)
MI-ANGE, MI-DEMON
La Maserati 2.24v marque une nouvelle étape dans la saga Biturbo. Ayant abandonné cette appellation depuis la 222, comme pour repartir sur de nouvelles bases, la « 224 » est plus qu’une simple évolution exclusivement réservée au marché italien. C’est un véritable modèle charnière qui inaugure un grand nombre de nouveautés qui se retrouveront sur la Ghibli II…
Texte :
Maxime JOLY
Photos : Étienne ROVILLÉ
La Maserati Biturbo fête cette année ses 30 ans. A cette occasion, un évènement d’ampleur est organisé les 30 avril et 1er mai avec un nombre impressionnant de modèles et de propriétaires réunis, preuve que ces autos roulent… Mais pas simple de s’y retrouver dans cet univers. Il faut dire qu’avec plusieurs modèles sortant chaque année, il faut une bonne dose d’abnégation pour s’y plonger. Mais une fois fait, on découvre un univers passionnant qui tord le cou à tous les stéréotypes entendus ici ou là. Pour faire simple, la 2.24v est la suite de la 222. Attention, la 222 "2 litres" (italienne) car la 222 connut pas moins de quatre autres évolutions (222 E, 222 SE, 222 SR et 222 4v), toutes destinées à l’exportation ! Ca va, vous suivez ? Tant pis pour les retardataires, nous continuons notre épopée sur les Biturbos avec un dossier consacré à la pin-up qui posait sur notre calendrier du mois de février…
PRESENTATION
Bien que le gabarit de cette Maserati n’évolue pas, il y a de nombreuses modifications par rapport aux précédentes Biturbos dont la dernière en date, la 222. Parmi les plus visibles se cachent les nouveaux bas de caisse et une seconde ligne d’échappement encastrée dans les nouveaux pare-chocs. La 222 n’était qu’une simple évolution de la Biturbo Si, y compris au niveau esthétique. Finis les feux antibrouillards simplement rajoutés sous les feux, sur la 224 ils sont bien intégrés à la carrosserie. Mine de rien, ça change pas mal de choses ! Les premières Biturbo S se distinguaient des autres à leur petit spoiler sur arrière. Maintenant que cette distinction a disparu, tous les modèles récupèrent cet accessoire sur leur malle arrière.
Sauf qu’ici, il est complété par un aileron plutôt imposant. Ce détail est plus important qu’il n’y paraît et puisqu’il s’agit d’un équipement obligatoire, chassez de votre champ d’investigation les exemplaires qui en sont dépourvus. Le dessin des jantes est également revu tandis que leurs dimensions passent enfin à 15 pouces. Mais ce qui métamorphose vraiment la 2.24v. est incontestablement sa carrosserie bi-ton qui lui va à merveille. De quoi donner un sacré coup de vieux à ses aînées… L’explication de l’appellation 2.24v est simple. Le 24v est là pour signifier qu’il s’agit du (premier) 24 soupapes et le 2 concerne le nombre de portes. Oui, il existe une version appelée 4.24v. Elle prend la relève de la 422 et s’intercale entre les 430 et 430 4v, toutes deux équipées d’un V6 2.8. Il y eut aussi la rarissime 4.18v, en carrosserie de 424 mais avec le bloc 2 litres 18V. C’est clair ?…
HABITACLE
Les intérieurs Maserati ont toujours été salués pour leur finition et leur qualité de fabrication. Là encore, celui de la 2.24v évolue par rapport à ce qui se faisait précédemment, délaissant un habitacle qu’on aurait pu qualifier de kitsch. Il y a certes des exceptions, comme l’intérieur Ivoire le Biturbo Si Black dont nous avions fait un reportage il y a quelques temps, tout simplement à tomber. L’alcantara et le cuir sont une invitation à la balade et le tout vieillit étonnamment bien. Sauf le ciel de toit, maladie connue des italiennes et des anglaises de ces années-là…
Vendue comme une 2+2, l’accueil réservé aux deux places arrière est limité. En voyant la longueur de la voiture, y’a rien d’étonnant mais je le précise puisqu’on me l’a déjà demandé. Le coffre est dans la même logique, si vous partez à quatre, voyagez légers ! Tradition lancée depuis le premier modèle, la roue de secours est sous le coffre, à l’air libre. L’équipement ferait rougir encore quelques voitures récentes avec la climatisation automatique (contre manuelle auparavant), l’ouverture automatique du coffre ou bien encore le réglage électrique des sièges. L’horloge Maserati est évidemment de la partie !
MOTEUR
Quand on évoque Maserati, on a du mal à songer à un moteur de petite cylindrée. On se rappelle plutôt des imposants 6 cylindres en ligne et des V8 qui ont fait le bonheur des anciennes GT. Malheureusement, la traversée du désert rencontrée dans les années 70, accentuée par la crise pétrolière, avait sérieusement entamé les finances du trident,déjà peu florissantes. Le constat était simple, les grosses GT ne se vendaient plus. Citroën ayant jeté l’éponge (sans éponger les dettes…), il fallut donc à De Tomaso de trouver une idée de génie pour relancer la marque. Ca tombe bien, la Biturbo fut un carton immédiat. Le principe était simple : proposer un modèle plus abordable et une réduction drastique de la cylindrée (dérivé du bloc de la Merak 2000 GT), compensée non pas par un seul mais par deux turbos ! Imaginez la révolution à l’époque. Allié à un gabarit beaucoup plus fin que les précédentes Maserati, les performances n’étaient pas en baisse. Pour ratisser plus large, il y avait des versions destinées à l’étranger et d’autres à l’Italie, comme c’est le cas de la 2.24v équipée du 1996 cm³ sérieusement remanié. L’ordre d’allumage des cylindres demeure identique, c’est-à-dire 1-6-2-5-3-4. La grosse nouveauté se prénomme donc AM475, présenté en avril 1988 au salon de Turin. Ce p’tit nom correspond au nouveau V6 bi-turbo à 24 soupapes à deux doubles arbres à came. Vous pouvez pas vous tromper, c’est marqué dessus ! C’est cette version qui servira de base deux années plus tard au V8 3.2 de la Shamal avant que le 2.8 n’en profite en 1991..
Alors que jusque là les Biturbos étaient limitées à 18 soupapes, le passage aux 4 « valves » par cylindre fut dicté par plusieurs choses : tout d’abord le durcissement des normes anti-pollution et la prise de poids conséquente occasionnée par l’amélioration du châssis. Si la phase 1 est encore décatalysée, ce n’est plus le cas de la seconde série. Il fallait donc bien trouver des chevaux et c’est 25 qui furent récupérés par rapport à la 222, pour atteindre désormais 245 bourrins. En réalité, c’est surtout le couple qui n’est pas en reste, merci aux 302 Nm qui accentuent l’effet turbo, caractérisé par un joli coup de pied au derrière. Toutefois, la tornade ne se déclenche pas avant les 3.000 tours car oui, le caractère creux du 2 litres est toujours bien là. A 3.500 trs/min, 280 Nm sont disponibles et illustre bien le côté on/off typique de ces anciennes motorisations turbocompressées. Ce bloc demande à être cravaché et ne rechigne pas à aller jusqu’à la zone rouge, ce qui est appréciable pour une mécanique suralimentée. Encore plus si l’on compare à la plupart des moteurs turbo actuels. Ce petit V6 préfère bomber le torse pour vous transporter à des vitesses politiquement incorrectes. Dommage que l’intérieur soit si insonorisé. Encore que le moteur se fait plus entendre que son homologue 18V et distille un timbre plus italien. Le récital prend de l’ampleur à partir des 4.000 où le moteur s’énerve sérieusement et grogne toute sa rage. Paraît-il que de l’extérieur, on l’entend arriver de loin…
Les performances annoncées sont flatteuses avec un 1000 mètres départ arrêté abattu en 26,5 secondes et seulement 6 secondes pour exécuter le 0 à 100 km/h. Pas de nouveauté du côté de la transmission, on commence à bien connaitre la boîte ZF à cinq vitesse, avec 1ère en bas, en opposition à la marche arrière. Son maniement n’est pas désagréable mais demande une gymnastique de l’esprit quand on a une boîte classique sur son véhicule principal. Une boîte automatique était également disponible.
SUR LA ROUTE
Le caractère de leur V6 biturbo était peut-être salué par tous les essayeurs de l’époque, la rigueur du châssis des Biturbos l’était beaucoup moins. Elles étaient même souvent taxées de voitures de lignes droites… La première nette amélioration eut lieu avec l’arrivée du différentiel Ranger, au rapport de 3 :73. Maserati avait tâté le terrain du Torsen et du Sensitork, sans succès. Le Ranger colle bien au caractère de ces vieilles propulsions dont la tendance au survirage est amplifiée par la poussée non progressive des deux turbines. Pour être clair, elle a le feu au c.. ! La règle de base d’accélérer roues droites était à garder à l’esprit, sous peine de faire un joli demi-tour sur soi-même. Y compris sur le sec… Ce nouveau différentiel, que l’on doit à Gleason, résout ce problème et pardonne certaines manœuvres peu délicates. Sur le sec, uniquement, évidemment. Sur chaussée grasse, roulez comme si une grenade était placée sous l’accélérateur et tenez bien le volant. Au passage de l’enclenchement des turbos, la voiture chasse. C’est inévitable, mais pas incontrôlable. Un bon choix de pneumatiques peut en outre améliorer considérablement les choses.
Le deux litres offre deux visages. Capable de rouler pépère, il va bien avec le côté luxueux de la voiture. Mais c’est quand il s’énerve, l’expression mi-ange mi-démon prend tout son sens. Il a pour lui un autre avantage, celui de moins charger le train avant que ne le fait le 2790 cm³. Et c’est toujours ça de pris avec une répartition de 55% sur l’avant quand même… Sur petites routes, ça se ressent et les freins à l’avant en souffrent. Déjà qu’ils ont dû encaisser une importante prise de poids, si on ajoute les jantes pleines qui défavorisent leur refroidissement, ça fait beaucoup. Le confort était déjà un point fort avant, il l’est encore plus avec l’arrivée des suspensions pilotées, rendues possibles grâce aux amortisseurs Koni. Cette technologie n’a pas quitté le Trident puisqu’on retrouve aujourd’hui encore le même procédé sur la Granturismo sous l’appellation Skyhook. Le petit bouton positionné à côté du levier de vitesse permet de switcher entre quatre positions, de plus en plus fermes. Les longs trajets ne sont qu’une formalité et le confort proposé est tout bonnement saisissant… La direction assistée n’a longtemps été qu’une option. Si en ville le maniement d'une Maserati Biturbo était un calvaire (un vrai camion…), à régime élevé, la précision de guidage était parfaitement calibrée. Sur cette version 2.24v, on gagne énormément en confort d’utilisation mais on perd un peu à haute vitesse.
EVOLUTION
En décembre 90 fut révélé un modèle à part entière mais dérivé de la 2.24v. Son nom : la Racing. Elle fera l’objet d’un dossier spécifique mais sachez d’ores et déjà que ses principales modifications sont d’ordre esthétiques et mécaniques (le 2 litres passe à 283 ch et la transmission se fait via une boîte Getrag). Peu après, se fut au tour de la phase 2 de la 224 de voir le jour. Elle reprend nombre d’éléments de la Racing, sauf le moteur qui reste l’AM475 - catalysé cette fois. A partir de là, tous les modèles Biturbos reprennent les feux avant de la Racing, façon Shamal et c’en est fini des jantes pleines. Place aux jantes 16", moins élégantes mais plus aérées pour les freins. Autre modification, les suspensions pilotées sont offertes en série. La transition vers les boîtes Getrag, amorcée par la Shamal, se poursuit, à ceci près que par rapport à la supercar, les Biturbos doivent se contenter d’une boîte 5. La consommation en bénéficie tout de même et baisse d’un bon litre par rapport à la 1ère série.
MASERATI 4.24V
Une nouvelle fois, Maserati déclina ses modèles en coupé et en berline. Les 2.24v et 4.24v n'échappent donc pas à la règle. Mieux, les deux voitures existèrent en deux phases, la seconde profitant des feux avant type Shamal, à l'instar de la 430 4v et des dernières 430 produites. Par rapport à la 422, la 424 se distingue par un moteur plus performante mais aussi plus coûteux en entretien. Mais, surtout, ses trains roulants plus modernes repris de la 430 en font une routière de choix. Extrêmement rare en France où elle ne fut jamais importée, aucun certificat de conformité européen n'existe pour elle. Attention donc si l'envie vous prend d'en faire venir une de l'étranger...
ACHETER UNE MASERATI 2.24V
On entend toutes choses sur les Maserati Biturbo. Du genre de celles qui sont arrivées au cousin d’un ami du voisin... L'amalgame entre les différents modèles est acquis hors comme nous l'avons déjà dit concernant les biturbo, il convient de rétablir certaines vérités. Avant toute chose, de son passé dépendra votre futur. Un historique clair est donc vivement conseillé. Clair mais pas nécessairement limpide, tout simplement parce que des limpides vous n’en trouverez pas. Les 2.24v n’étaient destinés qu’au marché italien et les historiques italiens, ça vaut ce que ça vaut… Pour les grosses opérations telle que la distribution, point critique de la mécanique, au moindre doute sur le bien fait de la manipulation, occupez-vous de la refaire dans les règles de l’art par un mécanicien confirmé. Il ne faut surtout prendre aucun risque vu les répercussions que cela peut avoir. Certaines casses ont été imputées à tort à la courroie alors que la responsabilité incombait aux arbres à came. Puisqu’il n’est pas nécessaire de sortir le moteur pour faire la distribution et du fait de son architecture longitudinale, vous devez vous en tirer pour environ 900 €, sans la pompe à eau. Son remplacement n’est pas systématique, une vérification de son fonctionnement au moment de la distribution suffit et sa durée de vie est donnée pour 80.000 km. C’est bien l’année qui détermine quand doit être faite la distribution, précision qu’il faut faire constamment puisqu’on trouve encore des vendeurs qui ne roulent pas, pensant échapper à cette terrible épreuve. Le jeu aux soupapes est à effectuer tous les 20.000 km et est plus coûteux que sur les versions 18V injection. Concernant les suspensions pilotées, vérifiez leur bon fonctionnement pendant le roulage sachant que le prix de chaque amortisseur Koni est officiellement de 1500 €. En cherchant sur le net, on les trouve pour moitié moins cher. Et pour le kit embrayage, il vous faudra débourser 400 €, sans la main d’œuvre. Le côté artisanal de la fabrication se retrouve dans certains détails, le plus frappant étant celui de la courroie de direction qui est entraînée par… le compresseur de clim. Un problème connu de cette courroie est que lorsqu’elle est neuve, elle se détend. Ce n’est pas grand-chose, il faut juste la retendre une fois et vous ne serez plus embêté.
Une fois l’entretien validé, place à l’inspection du véhicule. Si c’est votre premier achat de Biturbo, faites-vous aider, la communauté maseratiste est solidaire et vous trouverez aisément des spécialistes sur notre forum (entre autres). L’état du longeron droit demande une attention toute particulière. En effet, une usure prématurée est remarquée, la faute au différentiel Ranger. L’électricité est italienne, donc capricieuse. Testez tous les périphériques possibles (mais demandez au propriétaire avant de toucher à tous les boutons…) et vérifiez le voltage inscrit sur le tableau de bord. Sachez quand même que le circuit électrique est facile à fiabiliser, évitant une grosse part de tracas même si personne ne le fait... En fait, comme pour beaucoup d'anciennes, plus votre Maserati roulera et plus elle sera fiable ! Alors, combien pour une Maserati 2.24v ? En France, pour une belle comptez dans les 13 000 €. Les prix à l’étranger sont tentants mais il faudra passer par la case RTI car Maserati ne fournit pas de certificat de conformité européen. C’est pourquoi, bien que largement diffusée (plus de 1000 exemplaires), on n’en recense pas plus d'une dizaine en France. Si la disponibilité de certaines pièces peut poser problème, les Biturbos en partagent de nombreuses avec d’autres modèles (toutes marques confondues). Ensuite, il suffira d'avoir les moyens de l’entretenir comme toute voiture de ce pedigree…
PRODUCTION MASERATI Biturbo 2.24v
2.24V Phase 1 : 1147 exemplaires
2.24V Phase 2 : 254 exemplaires
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES
MASERATI 2.24V
MOTEURType : 6 cylindres en V à 90°, 24 soupapes
Position : longitudinal AV
Alimentation : injection électronique Weber-Marelli + 2 turbos IHI + 2 échangeurs air/air
Cylindrée (cm3) : 1996
Alésage x course (mm) : 82 x 63
Puissance maxi (ch à tr/mn) : 245 à 6200
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 302 à 5000
TRANSMISSION
AR
Boîte de vitesses (rapports) : manuelle (5)
ROUES
Freins Av-Ar (ø mm) : Disques ventilés / disques
Pneus Av-Ar : 205/50 R 15
POIDS
Données constructeur (kg) : 1300
Rapport poids/puissance (kg/ch) : 4,9
PERFORMANCES
Vitesse maxi (km/h) : 228
1000 m DA : 26"5
0 à 100 km/h : 6"
CONSOMMATION
Moyenne (L/100 Km) : 12
PRIX NEUF (1988) : 370.000 FF
COTE (2010) : 13.000 €
PUISSANCE FISCALE : 11 CV
CONCLUSION
:-) Nouveau V6 Effet turbo jouissif Comportement routier amélioré Confort royal Intérieur luxueux Globalement fiable (oui !) Cote accessible Faible puissance fiscale |
:-( Intérieur trop insonorisé V6 creux à bas régime Survirage prononcé Freinage moyen Coûts d’entretien Rare en France... |
Corrigeant enfin un comportement routier jusque-là montré du doigt, sans pour autant renier ce qui a fait le charme de ses aînées, la Maserati 2.24v offre presque les mêmes avantages que la Ghibli mais dans une carrosserie de Biturbo. Son V6 nouvelle génération et ses généreuses dérives de l’arrière assureront les émotions au volant de ce collector "import".
Merci à tous les photographes qui ont participé à ce dossier : Alexandre, Etienne, Cédric, Thomas, Guillaume, Ludovic et Félicien.