ECLIPSE AVORTEE
Depuis l'après-guerre, l'industrie automobile française
semble se cantonner aux productions populaires. Pourtant, certains
résistent et tentent l'aventure du luxe et du Grand Tourisme
à la Française. Jean Tastevin, appartient à
cette race d'entrepreneurs patriotes qui a souhaité suivre
les traces de Jean Daninos qui avait su faire briller ses Facel
Vega pendant 10 ans. Avec une gestation compliquée, et la
crise pétrolière qui marque alors l'industrie automobile
du luxe, la Monica 560 va s'éteindre avant même son
envol. Dommage, car avec elle la France avait de quoi tenir la dragée
haute à ses rivales huppées
Texte :
Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R.
La France du luxe en matière d'automobiles s'est éteinte
avec la deuxième guerre mondiale. Certes, après la
guerre, Delahaye, Talbot, Salmson et Bugatti,
sans compter Hotchkiss tentent de refaire surface, mais ils sont
totalement dépassés et obsolètes. Ils n'on
pas compris le changement qui s'était produit dans le monde
de l'automobile et tentaient vainement de recycler des châssis
antiques sur des carrosseries signées par des maîtres
français eux aussi ayant raté le virage des carrosseries
"pontons" (comprenez avec les ailes intégrées
et dans la même ligne que le reste de l'auto). Petit sursaut,
non, très beau baroud d'honneur, Jean
Daninos tente le pari dans les années 50 de lancer Facel-Vega.
Pendant 10 ans, son pari va tenir bon avec des produits qui feront
rêver et seront achetés par les stars du monde entier.
Mais l'épisode Facellia
va mettre l'aventure Facel
en péril. Entre-temps, l'automobile passion en France était
l'uvre avant tout d'Alpine,
CG, DB et CD.
Mais à la fin
des années 60, Jean Tastevin, industriel français
spécialisé dans les matériaux ferroviaires
(la CFPM) veut se diversifier et donner libre court à sa
passion automobile (il roule en Aston
Martin DB6). Sa femme s'appelant Monique, c'est fort logiquement
qu'il donne le nom de Monica à sa
future production automobile. Dès 1967 il se met ainsi en
contact avec l'ingénieur anglais Chris Lawrence pour la gestion
du projet Monica. Ce dernier mettra Jean Tastevin en contact avec
Ted Martin, également sujet de sa gracieuse Majesté,
qui a conçu un V8 inédit qui séduit notre industriel
Français. Imaginez un peu, une auto 100% inédite,
moteur compris, voilà de quoi accéder par la grande
porte au monde des supercars. Malgré toutes les qualités
de ce moteur raffiné et sportif (plus prévu à
l'origine pour la compétition), il va se révéler
inadapté à la Monica qui sera plus lourde qu'espérée.
Un moteur qui monte dans les tours avec allégresse mais qui
manque de couple à bas régime. Une véritable
erreur de casting pour une berline quatre places racée. En
1973, retour à la case départ ou presque puisque Jean
Tastevin va devoir repartir à la recherche d'un moteur.
Comme Jean Daninos avant lui, c'est outre-Atlantique que la solution
sera trouvée chez Chrysler avec un gros V8 de 5,6 litres,
capable de fournir couple et puissance suffisants pour motoriser
la belle Monica 560.
PRESENTATION
La Monica est un savant mélange. Le premier prototype uvre
de l'équipe de Chris Lawrence n'arrive pas à convaincre
Jean Tastevin, malgré une modification de la proue qui passe
ainsi de l'équivalent d'une CD-Panhard à une Lancia
Beta berline. Pour le troisième prototype, mis en chantier
courant 1969, c'est Tony Rascanu, designer Roumain ayant démarré
chez Bertone, qui est missionné par Jean Tastevin pour retoucher
la Monica. Le " mannequin " en bois du 3e proto qui permettra
de façonner les tôles d'acier, est construit chez
Henri Chapron à Levallois, le célèbre carrossier.
Puis ensuite, direction Turin chez Vignale pour l'assemblage et
formage du 3e prototype en acier. Un différent va opposer
le carrossier Turinois et l'équipe Monica, mais après
quelques temps de négociations, le décès de
M. Vignale va contraindre le projet à trouver un nouveau
carrossier pour poursuivre les travaux.
C'est donc chez Airflow-Streamlines
que le 4e prototype est mis en chantier qui présentera les
formes définitives de la Monica. David Coward, styliste,
va encore retoucher quelques détails. Nous sommes alors en
1971 et la Monica a enfin trouvé sa forme. Tony Rascanu qui
ne verra pas son uvre en action étant décédé
en 1972 avait donc imaginé une ligne de coupé 4 portes,
devenu aujourd'hui à la mode avec notamment la Mercedes-Benz
CLS, la future Porsche Panamera ou encore le projet Aston Martin.
Jean Tastevin et Tony Rascanu auraient-ils eu raison trop tôt
? Dotée d'une ligne très élancée (près
de 5 mètres de long), avec des phares escamotables (très
moderne à l'époque) sa ligne se termine par une malle
plus conventionnelle. La poupe est dotée de blocs optique
au dessin original (la partie basse provient d'une Triumph Dolomite).
La cellule centrale, notamment la découpe des portes, rappelle
celle des berlines Lagonda contemporaines, basées sur les
Aston Martin V8. Le client pouvait choisir parmi cinq teintes de
carrosserie : Marine, Azur, Amarante, Châtaigne et Sable.
A BORD DE LA MONICA 560
L'habitacle est un véritable écrin pour
quatre
personnes seulement. Cuir Connoly, moquette épaisse en pure
laine, planche de bord en bois
rien n'est laissé au
hasard pour celle qui doit synthétiser au mieux l'élitisme
de Rolls-Royce et le racé et félin de Jaguar. La batterie
de compteurs et manos en tout genre sont regroupés derrière
le volant Personal à trois branches et moyeu siglé
du "M" stylisé de Monica. A noter que les compteurs
Jaeger sont élégamment estampillés Monica.
Dans les équipements très haut de gamme de l'époque
(puisque tout était de série) les plus observateurs
avaient noté une hi-fi avec un magnétophone/lecteur
de cartouches stéréo 8 pistes ! Pour le luxe ultime,
les portières étaient équipées d'un
mécanisme d'ouverture/fermeture électrique. Trois
teintes de cuir (Marine, Havane et Champagne) étaient disponibles
dans un premier temps au catalogue Monica.
MOTEUR
Si on a d'abord parlé d'un moteur V8 Chrysler (Plymouth plus
exactement) de 5,9 litres, c'est finalement la version 5,6 litres
à 90° qui sera retenue pour plus de simplicité.
Très carré dans ses cotes, avec son arbre à
cames central et son bloc en font, il est toutefois légèrement
revu pour donner plus de voix. Bridé en usine à 4
000 tr/mn, son régime maxi doit dépasser les 5 000
tr/mn. Chris Brown fait appel à Racer Brown, un préparateur
moteur connu aux USA pour améliorer les performances d'origine.
Il modifie donc la culasse, les arbres à cames, les pistons,
les soupapes, les ressorts, la pompe à huile
Rien de
bien nouveau, mais une amélioration de l'équipement
mobile pour améliorer les vitesses de rotation et une meilleure
lubrification et refroidissement pour privilégier la fiabilité.
Résultat, le conducteur d'une Monica 560 pouvait compter
sur 285 ch à 5 400 tr/mn sous le pied droit et un couple
copieux de 46 mkg à 4 000 tr/mn plus en phase avec l'usage
d'une telle voiture. Une boîte ZF à 5 rapports était
de série, ou en option, la boîte auto à trois
rapports Torqueflite d'origine Chrysler.
Les performances étaient
alors éloquentes avec 240 km/h en vitesse maxi et un kilomètre
départ arrêté en 27"5. Outre une fiabilité
garantie, cet ensemble V8 US + boîte auto de la même
provenance, garantissait de rassurer de futurs acheteurs américains.
CHASSIS
Chris Lawrence dessine et réalise un châssis constitué
d'un treillis de tubes carrés pour garantir un compromis
poids/rigidité optimal. Avec un empattement de 2,77 mètres,
à sa pointe c'est une suspension à double triangulation
qui est requise. Une technique héritée de la course
qui permet aux roues de travailler le plus à plat possible.
L'essieu arrière est plus classique, mais éprouvé
et efficace avec un pont rigide de Dion (comme c'était également
le cas sur les Alfetta GT et
GTV) avec jambes de poussée et barres Panhard. L'intérêt
de cette technique était de placer ainsi les freins en sortie
de pont et de limiter les masses non suspendues (système
identique dans l'Alfa GTV).
La carrosserie entièrement en acier (une version en aluminium
n'avait démontré l'économie que de 30 à
40 kg) et l'équipement luxueux et copieux, avec le V8 en
fonte portent le poids de la Monica à 1 850 kilos. Une valeur
déjà très élevée qui place donc
véritablement cette berline made in France plus dans la catégorie
des Grand Tourisme que des véritables voitures de sport.
Des freins ventilés à l'avant et pleins à l'arrière
Girling/Lockheed étaient de la partie. Il convient d'ajouter
que Jean Tastevin lors d'une présentation de la Monica aux
journalistes, proposa à Paul Frère de lui prêter
main forte. Ce dernier accepta, et la Monica 560
peut se vanter d'avoir eu comme metteur au point final le célèbre
pilote-journaliste belge. Un gage de sérieux dans sa mise
au point qui permet au conducteur lambda de profiter pleinement
des performances de sa Monica sans avoir besoin d'être pilote
émérite.
ACHETER UNE
MONICA 560
Inutile de dire qu'avec 28 exemplaires produits seulement,
la Monica 560 se fait rare. Si vous êtes intéressé
par la belle, il faudra être patient et attendre qu'un des
rares heureux propriétaires accepte de s'en défaire.
Du coup, il est impossible d'établir une réelle cote
devant l'absence de transactions.
Que regarder sur une auto de ce
calibre ? Déjà vérifier que tout ce qui est
spécifique (accessoires, habitacle) est complet et en bon
état, sans compter la carrosserie qui doit être impeccable.
En cas de réfection de d'éléments de carrosserie,
tout devra être refait à l'identique. On vous laisse
imaginer le coût de la facture dans une telle situation
Avec près de deux tonnes sur la bascule, la Monica 560 doit
user plus rapidement les éléments chargés du
confort et de la tenue de route (amortisseurs, paliers, biellettes,
rotules, silent-blocs
). Roulant certainement peu, pneus, tuyaux
et autres durits ou éléments en caoutchoucs doivent
sécher et se craqueler et sont souvent à surveiller.
Côté mécanique, bonne nouvelle, les gros V8
US sont robustes et fiables, en raison notamment d'une conception
rustique et simple, avec des rapports cheval par litre suffisamment
bas pour ne pas user prématurément l'ensemble. Et
au pire, en cas de casse, il doit être possible de trouver
des pièces pour une réfection en limitant le budget.
CHRONOLOGIE MONICA 560
1955 : Jean Tastevin prend le contrôle de la Compagnie
Française de Produits Métallurgiques (CFPM).
1966 : Jean Tastevin décide de diversifier son activité
ferroviaire (construction de wagons citernes de transports de gaz
et pétrole notamment) en devenant constructeur automobile.
1967 : En janvier, Jean Tastevin prend contact avec Chris
Lawrence qui sera responsable du projet Monica.
En novembre, Jean Tastevin et Ted Martin signent un accord pour
la fourniture du V8 inédit conçu par Martin.
1968 : En juin, aux 24 Heures du Mans, le tout premier prototype
Monica à moteur Martin V8 3,5 litres est sur le parking,
tractant une caravane Deep Sanderson.
A la fin de l'année, un deuxième prototype est mis
en chantier avec une nouvelle face avant.
1969 : Jean Tastevin confie le soin à Tony Rascanu,
designer Roumain ayant travaillé dans le passé chez
Bertone de retoucher le style de la Monica.
1971 : Vignale, qui avait assemblé le 3e prototype,
décédé, c'est désormais Airflow-Streamlines
un carrossier anglais qui construira le 4e prototype.
1972 : Le 1er juillet, L'Auto-Journal avait révélé
en " scoop " l'existence et le futur de cette grande auto
made in France.
Le 2 octobre, jean Tastevin et son équipe convient les journalistes
dans les salons de l'hôtel PLM Saint Jacques à Paris
à découvrir en avant-première la nouvelle Monica
350.
En octobre, au salon de Paris, les visiteurs découvrent cette
nouvelle tentative du grand tourisme à la française.
La CFPM (Compagnie Française de Produits Métallurgiques)
obtient le Grand Prix de l'Art et de l'Industrie Automobiles Français
décerné par la Société de l'Encouragement
à l'Art et à l'Industrie.
1973 : Au début de l'année, la décision
est prise d'abandonner le moteur Martin. Le moteur Plymouth Duster
V8 sera retenu et vendu par Chrysler.
En mars, au salon de Genève, la nouvelle Monica 560 est présentée
en première mondiale avec son nouveau V8 Chrysler de 5,6
litres. Autre modification, les réservoirs latéraux
sont remplacés par un réservoir au fond du coffre.
En mai, un groupe de journalistes est convié à tester
sur le circuit du Castellet dans le Var deux Monica 560 de pré-série.
En octobre, la Monica 560 se dévoile au salon de Paris.
1974 : Au cours du premier semestre, la mise au point finale
de la Monica 560.
En octobre, la Monica 560 fait ses derniers tours de roues au salon
de Paris.
1975 : Le 7 février, une dépêche de l'AFP
annonce la fin de Monica. La CFPM jette l'éponge.
PRODUCTION
Monica 560 : 28 exemplaires
:: CONCLUSION
Evidemment l'aventure Monica peut laisser quelques regrets pour
les Français amateurs de voiture d'exception que nous sommes.
Mais il faut rester lucide. La genèse même de cette
aventure laissait entrevoir un échec annoncé : trop
d'intervenants, de nationalités différentes (français-anglais-italien),
des changements de cap incessants dans la conception, des "
novices " aux commandes
Pourtant le résultat était
réellement convaincant il a manqué un contexte économique
plus favorable et un petit coup de pouce du destin pour que la Monica
prenne son envol. Une chose est certaine, la mode actuelle des "
coupés 4 portes " démontre que Jean Tastevin
avait été visionnaire avant les autres. Aujourd'hui,
une poignée d'amateurs éclairés profitent de
ce Grand Tourisme à la française...
Note : Pour la rédaction de ce dossier, le très
bon livre de Frédéric Brandely a servi de source en
plus d'autres archives. |