© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (18/12/2010)
LES AILES COUPEES...
Durant les années 70, le marché des supercars reste essentiellement occupé par les européens : Porsche, Maserati, Lamborghini, De Tomaso, et Ferrari pour ne citer qu'eux. Tous rivalisent de puissances monstrueuses pour faire valoir des performances sans cesse améliorées. Mais dans un contexte de crise pétrolière, rares sont ceux à véritablement sortir leur épingle du jeu. A l'exception de Chevrolet avec sa Corvette, les américains ont déserté ce marché après la lente extinction des Muscle Cars. C'est pourtant dans ce contexte moribond que Gerald Wiegert a l'idée de créer une supercar capable de défendre à elle seule la fierté de l'Amérique face à la vieille Europe...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : RM AUCTIONS
Gerald "Jerry" Wiegert a deux passions : l'automobile et l'aéronautique. Il ne lui faut donc pas beaucoup chercher pour réunir ses connaissances dans les deux domaines afin de créer, non pas une voiture volante, mais un avion roulant : la Vector ! Le premier prototype, non fonctionnel, apparaît en 1972 au Motor Show de Los Angeles. Haute de seulement 1 mètre mais large de 2 et longue de 4m40, la Vector possède les proportion attendues d'une supercar et suscite un vif engouement du public. Le prix envisagé est de 10.000$, avec pour ambition affichée de défier les sportives italiennes. Mais il faut attendre le salon de Los Angeles en mai 1977 pour que Wiegert dévoile un second prototype, présenté sous le nom de sa nouvelle société, Vector Aeromotive.
DESIGN
Wiegert fut comme beaucoup de ses contemporains, très impressionné par le concept car Carabo présenté par Bertone en 1968. Nuccio Bertone souhaitait en effet marquer d'un grand coup sa première présence au salon de Paris 1968 sous son propre nom avec un prototype d'une grande modernité stylistique. La Carabo, construite sur une plate-forme d'Alfa Romeo 33 Stradale, restera emblématique de la seconde moitié du 20ème siècle. Ce dessin novateur va de toute évidence très profondément inspirer de nombreux projets des années 70 et notamment celui mené par le designer Lee Brown et l'ingénieur Wiegert, la Vector. Appelé W2 (pour Wiegert 2), leur second prototype est achevé en 1979 et cette fois-ci, il roule ! La première originalité de la Vector est d'utiliser des matériaux issus de l'aéronautique comme son châssis semi-monocoque fait d'aluminium extrudé, de résine epoxy et de tubes d'acier ou sa carrosserie en fibre de carbone, kevlar et fibre de verre dont la NASA va attester la qualité. Le début de la production de la Vector W2 est envisagé pour 1980 avec un prix de vente de 50 000 US $. Mais suite à une mise au point plus lente que prévue et un financement complexe, Wiegert doit repousser le lancement du projet qui évolue finalement entre 1982 et 1987 vers la W8, présentée en 1989. La Vector W8 Twin Turbo, évolution finale du prototype W2 est finalement mise en vente à la fin des années 80, soit près de 20 ans après les première ébauches du projet ! Entre temps, certains éléments de carrosserie comme les portes et capots sont revenus à de l'aluminium. Le style de la W8 est toujours spectaculaire mais il a perdu de sa modernité depuis la présentation de la W2. Son prix a entre temps été réajusté à 180 000$, mais c'est finalement près de 450.000$ que les rares exemplaires produits seront écoulés.
A BORD DE LA W8
Ouvrez la porte en élytre pour découvrir un véritable cockpit d'avion de chasse, au volant près ! Avec son instrumentation digitale inspirée des chasseurs de l'US Air Force, la Vector W8 est typique des projets ayant foisonné dans les années 70 et 80 avec l'avènement de l'électronique. Les sièges en cuir multi-réglages électriques très enveloppants sont fournis par Recaro tandis que le seul équipement luxueux se limite à une chaîne stéréo Sony, une moquette en laine, des essuie-glace intermittents, un toit ouvrant amovible et une climatisation. La finition de la Vector est loin d'être exceptionnelle, mélange d'artisanat et d'éléments de grande série bon marché, le tout dans un dessin cubique furieusement années 80. Mais ses rivales italiennes n'offrent guère mieux à l'époque...
LE MOTEUR DE LA W8
A défaut de pouvoir trouver un V12 "made in America", Wiegert sollicite la General Motors pour équiper sa supercar. Au terme d'un accord, la Vector hérite ainsi d'un V8 5737 cm3 de type Donovan, entièrement en aluminium. En sortie d'usine, ce gros V8 Chevrolet rudement bridé par les normes anti-pollution n'a pourtant que 190 ch à offrir... Néanmoins, en lui accolant deux turbos Garrett AiResearch H3 refroidis par eau, des échangeurs air/air, une injection Bosch K-Jetronic et en renforçant l'ensemble, les ingénieurs de Vector réussissent à en sortir 600 ch ! On passe ainsi d'une mécanique d'utilitaire à un coeur digne des meilleures supersportives du moment. La suralimentation par turbo est encore quasiment inexistante aux USA mais elle a pourtant déjà largement fait ses preuves en compétition par le biais des constructeurs européens. 600 ch, c'est deux fois plus de puissance que la Porsche 930 et même plus qu'une Porsche 959, Ferrari F40 ou Lamborghini Countach. La vitesse de pointe avancée par Vector est de 389 km/h, record absolu pour la catégorie et obtenu sur le lac salé de Bonneville. Toutefois, l'usine interdit rigoureusement à tous les journalistes de se prendre d'idée d'aller vérifier cette performance sur route ou sur circuit... La Vector est par ailleurs capable de franchir le kilomètre départ arrêté en 21 secondes. La deuxième phase du projet qui donne naissance à la W8 TwinTurbo se porte finalement sur le V8 6 litres de GM avec des turbos Garrett, accolé à une boîte automatique à 3 rapports (!) de chez B&M. La puissance passe alors à 625 ch, le couple à 850 Nm mais la vitesse de pointe est ramenée à 350 km/h, faute d'avoir pu obtenir des pneus satisfaisants auprès de son partenaire Goodyear pour un usage routier à cette allure.
CHASSIS
Sans doute conscient du manque de noblesse de sa mécanique, Wiegert avait pris un soin particulier pour mettre au point des trains roulants efficaces et capables de soutenir la comparaison avec les meilleures références européennes, ce dont ne pouvait se targuer aucune sportive américaine de l'époque. Ainsi, la W8 est conçue comme un proto d'endurance, autour d'une structure "space-frame" semi-monocoque en aluminium englobant un arceau en acier chrome molybdène et renforcées par des panneaux d'aluminium collés à l'epoxy et rivetés. La Vector dispose d'une suspension indépendante à l'avant avec double triangles, ressorts et amortisseurs ajustables et barre anti-roulis. A l'arrière un classique pont de Dion est toujours de mise avec 4 bras de guidage et des amortisseurs réglables ainsi que la barre anti-roulis. Le freinage à assistance hydraulique comprenait 4 disques ventilés de grand diamètre (330 mm) et des étriers à 4 pistons. Les essais de l'époque mettent en avant une grande facilité de conduite en dépit de la puissance colossale et une certaine agilité grâce au poids relativement réduit. L'aérodynamique soignée apporte une grande stabilité à haute vitesse et les pneus ultra larges tentent de faire passer tant bien que mal le couple dévastateur du V8 biturbo. Un antipatinage n'aurait pas été inutile malgré l'étagement sans fin des trois rapports de la boîte auto...
EVOLUTIONS
Victimes des aléas économiques propres à tous les petits constructeurs, la Vector W8 ne deviendra que furtivement ce symbole de la toute puissance américaine que Wiegert voulait transposer à l'automobile. Elle saura toutefois séduire brièvement quelques milliardaires de la planète, près à toutes les folies pour satisfaire aux besoins d'une fortune devenue futile. La première W8 Twin Turbo (N° 001) fut livrée en France, à Paris ! La voiture était destinée au Prince Khalid d'Arabie Saoudite qui possèdera à lui seul jusqu'à trois W8 (N° 001, 002 et 011). Autre personnalité connue ayant possédé une W8 (de couleur noire), le tennisman André Agassi. Les autres Vector W8 ont terminé dans des collections privées en Europe, au japon et principalement aux USA. Malgré des solutions modernes, très vite adoptées par la concurrence, la production totale de la Vector W8 se limitera à 22 exemplaires entre 1989 et 1993, dont 2 pré-série et le prototype W2 reconverti en proto W8.
Avtech WX-3
En 1992, Vector présente au salon de Genève une évolution de la W8 Twin Turbo. Baptisée Avtech WX-3, elle se distingue par des lignes adoucies et modernisées par l'ajout de nombreux appendices aérodynamiques. Le prix affiché atteint désormais 700 000 dollars, mais la voiture commence à accuser lourdement le poids de sa mécanique d'un autre âge face à de jeunes rivales telles que la McLaren F1. Le nouveau V8 de 7 litres conserve pourtant l'avantage de sa puissance ahurissante : 600 et 700 ch en version atmosphérique et entre 850 ch et 1200 ch en version turbocompressée ! Près à toutes les excentricités pour s'attirer les faveurs des plus riches acheteurs de la planète et pour sauver son entreprise de la faillite, Vector ira jusqu'à proposer au salon de Genève 1993 une Avtech Roadster baptisée WX3-R. Seul le V8 6 litres de 625 ch était désormais disponible et à cette occasion les prix furent revus à la baisse : 239 000 dollars pour le roadster et 375 000 dollars pour le coupé. Mais la récession touche durement les années 90 et avec aucune commande à la clé pour l'Avtech WX3, seulement une poignée de W8 vendues et près de 50 millions de dollars investis, en 1995 Vector est cédé au groupe Indonésien Megatech (propriétaire de 1994 à 1998 de la marque Lamborghini).
VECTOR M12
Avec l'injection de nouveaux capitaux, un nouveau modèle Vector est développé sur la base de la W8 : la M12. Elle troque son vieux V8 GM pour le plus noble V12 de la Lamborghini Diablo. Dévoilé au salon de Détroit en 1996 et proposée à un prix nettement plus bas (184 000 dollars), la M12 sera fabriquée à 14 exemplaires jusqu'en 1999. En 1997, Megatech se rend compte du faible potentiel de développement de Vector et revend la marque au groupe américain Tradelink International, entreprise spécialisée dans la commercialisation de produits de luxe. Le nouveau propriétaire annonçait pour l'an 2000 la SRV8, modèle dérivé de la M12 esthétiquement et de nouveau dotée d'une mécanique Chevrolet... Inutile de dire que la clientèle ne se manifesta jamais et après 28 années d'une carrière pour le moins chaotique, ce fut le coup de grâce pour la Vector qui disparaissait définitivement de la scène.
:: CONCLUSION
Comme tant d'autres histoires de petits constructeurs, celle de Vector n'aura pas connu le succès escompté malgré toute la passion qui l'animait. Exotique à plus d'un titre, la Vector W8 aura manqué d'une bonne dose de capitaux et de réalisme pour atteindre son objectif et offrir à son visionnaire concepteur de vivre pleinement le rêve américain. Il n'en reste pas moins une supercar absolument hors normes, sorte de Bugatti Veyron avant l'heure et sans autre utilité que de faire vibrer les hommes et leurs rêves de vitesse...
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