VENTURI,
L'ENFANT TERRIBLE DES GT !
Face à une marque Alpine délaissée
par son propriétaire, MVS, puis Venturi, avait tout les atouts en
main pour reprendre le flambeau de la GT française. Retour sur l'histoire
de la vie tumultueuse des GT made in France à l'occasion du 25ème anniversaire...
Texte :
Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R.
LA GENESE DE VENTURI
"Rien que d'y penser cela fait rêver" était
à une époque le slogan publicitaire de Disneyland
Paris. Le rapport avec Venturi ? Ce slogan a du traverser l'esprit
de financiers visionnaires et passionnés d'automobiles d'exceptions
en découvrant la première voiture des créateurs
de Venturi au Salon de l'automobile de Paris en octobre 1984. Cet
élégant petit coupé faisait de l'il au
public. Il représentait un nombre incalculable de nuits blanches
pour ses deux créateurs et concepteurs, Gérard Godefroy
et Claude Poiraud. Le premier nommé était l'homme
du style et le second le technicien. Tous les deux travaillaient
chez Heuliez et avaient décidé de rouler dans leur
propre création. La Ventury, qui s'écrivait alors
avec un "y" ne devait pas être produite. Juste deux
exemplaires pour les deux amis. Mais la voiture était si
séduisante que des financiers passionnés d'automobile
d'exception, en ont décidé autrement en imaginant
les choses de manière plus ambitieuses et n'eurent pas trop
de difficultés à convaincre les deux concepteurs.
Le plus sérieux et le plus passionné d'entre s'appelait
Hervé Boulan. Il réunit les fonds nécessaires
et devint alors à la mi-85 le premier PDG de la Manufacture
de Voiture de Sport, MVS, un sigle qui ornera les voitures jusqu'en
1990. Car le projet Ventury, sous l'impulsion d'Hervé Boulan,
est devenu Venturi, avec un "I" comme Ferrari. Il est
persuadé qu'il faut donner de l'envergure à la voiture,
mieux la motoriser et lui donner un intérieur luxueux. Ainsi
replaçons-nous au départ de cette aventure: l'origine
de la mécanique importait peu à l'époque pour
les deux amis. Ils pensaient même à un moteur quatre
cylindres de Golf GTI ou même au nouveau petit Peugeot 1600
d'une trempe similaire. Le premier équipant d'ailleurs le
modèle présenté au Salon de Paris. Mais avec
l'arrivée des financiers, le projet devint plus ambitieux.
Ces deux mécaniques, quoique performantes dans leur catégorie,
durent être écartées, leurs concepteurs ne souhaitant
pas réaliser un "remake" de la Matra Murena: belle,
originale mais sous motorisée. Il fallait absolument trouver
une puissance abondante afin de ne pas limiter le potentiel de performance
de la voiture. Mais en 1985 la seule mécanique française
véritablement puissante était le quatre cylindres
turbocompressé de la Peugeot 505 Turbo: un moteur de 200
chevaux avec le kit Peugeot mais lourd, gourmand et dépourvu
de noblesse. Jean Rondeau ouvrit les portes de son atelier pour
accueillir le développement du prototype. Ce premier prototype
roulant, de conception très classique, construit autour du
quatre cylindres turbocompressé Peugeot, laissait entrevoir
un potentiel intéressant. Mais la mécanique ne fonctionnait
pas très bien, et les trains roulants qui reprenaient un
maximum d'éléments de série (un système
pseudo McPherson avait été retenu) ne furent pas non
plus très performants. Ces deux problèmes furent résolus
de la manière suivante: avec l'arrivée de l'Alpine
GTA V6 Turbo et son moteur V6 PRV (Peugeot Renault Volvo) de 200
chevaux, Venturi réussi à obtenir de la Française
de Mécanique la livraison des ensembles moteurs/boite de
la nouvelle Alpine. La puissance était toujours de 200 chevaux,
accompagnée d'une garantie Renault pour le moteur et la boite
de vitesse, et le couple plus abondant et la noblesse d'un six cylindres
convenaient mieux au standing recherché et à l'attente
de la clientèle concernée. Quant au principe McPherson,
il fut abandonné au profit de triangles à bras multiples
beaucoup plus sophistiqués mais plus spécifiques et
surtout beaucoup plus efficaces. En effet le principe initial (McPherson)
avoua ses limites: frottements de la jambe de force trop importants,
perturbants l'adhérence, géométrie imparfaite
lors du débattement de la roue, etc. L'architecture de la
Venturi est intéressante. En effet, le moteur est en position
longitudinale comme sur la Renault 25 Turbo sauf qu'il est placé
en avant des roues arrières, l'implantation la plus noble
qui soit en matière d'automobile française. C'est
une architecture dérivée des voitures conçues
pour la course. Le changement de mécanique ne posa aucuns
problèmes pour le dessin du châssis en raison d'un
dessin au départ d'un châssis original et mixte de
Claude Poiraud. Les années que ce dernier passa à
Dieppe chez Alpine lui avait fait découvrir les bienfaits
d'un châssis à poutre centrale. Il reprit ce principe
mais en y apportant une touche personnelle et un certain raffinement.
La poutre centrale, par laquelle passe l'essentiel des contraintes,
est renforcée par des caissons, ce qui procure vraiment à
ce châssis une résistance à la torsion exceptionnelle.
PREMIERE VENTURI !
Ainsi deux ans après le début de l'aventure MVS,
la Venturi, son premier enfant, roule (fort bien d'ailleurs...).
Cette première voiture roulante est présentée
officiellement au Trocadéro à Paris au mois de mai
1986, lors d'une grande manifestation commentée par... Léon
Zitrone. Elle est présentée à la clientèle
pour la somme de 269 000 Francs en 1987, représentant un
prix fort raisonnable en rapport à ceux proposés par
la concurrence. Le premier client est livré en mai 1987 :
c'est Raymond Goulomès, alors président de l'ACO (Automobile
Club de l'Ouest). Les voitures fabriquées entièrement
à la main dans une usine basée à Cholet employant
37 personnes, sortent de l'usine au rythme d'environ 15 voitures
par mois. Les dirigeants ont des projets en tête, notamment
un spider et une version plus musclée, et ils espèrent
pour l'année 1988 une production de 200 voitures dont 50
seront réservées pour l'étranger (en Allemagne
et au Bénélux). Au Salon de Paris de septembre 1988,
MVS dévoile au public un superbe cabriolet basé sur
le coupé 200 présentant des solutions originales.
Ce cabriolet, baptisé "Transcup", est unique en
son genre. Il n'a pas de capote, et peut faire de la Venturi une
décapotable intégrale, un targa ou un coupé.
la lunette arrière s'abaisse électriquement vers les
sièges et les deux demi-toits se rangent sous le capot avant.
Au milieu de l'année 1989 apparaît une nouvelle version
du coupé baptisée 2,8 SPC (pour Sans Pot Catalytique)
tirée à 25 exemplaires. Le moteur reste le V6 PRV
mais la puissance est portée à 260 chevaux et affichant
un couple de 41,3 mkg et environ 270 Km/h en vitesse de pointe.
Cette version permet enfin d'exploiter les possibilités du
châssis. A noter que peu de temps avant la sortie de la 2,8
SPC, le préparateur lyonnais Bruno Fochesato présentait
une Venturi dont la puissance était portée à
250 chevaux. Mais la sortie de la 2,8 SPC fit de la version 250
chevaux une doublure, alors Bruno Fochesato prépara une nouvelle
évolution de 235 chevaux qui se présentait en brillante
intermédiaire entre la 200 et la 2,8 SPC pour à l'époque
seulement 30 000 Francs de plus que le modèle "de base"
de 200 chevaux proposé par l'usine.
AMBITION AFFICHEE
En septembre 1989, Xavier De La Chapelle devient PDG de MVS
à la demande du groupe Primwest, déjà actionnaire
dans les automobiles De La Chapelle (les fameuses répliques
de Bugatti) et qui vient d'acquérir la majorité chez
MVS. Xavier De la Chapelle voit grand et va essayer de développer
la marque dans toutes les directions. Puis en 1990, au salon de
Genève apparaît la version 260 signifiant 260 chevaux
mais cette fois-ci équipée d'un pot catalytique, semblable
extérieurement au coupé 200. La même année
au Salon de Paris apparaît la version Transcup 260 réclamée
par la clientèle. Le mondial c'est aussi l'endroit que choisi
le Gerfaut pour prendre son envol. Au Cheval cabré de Ferrari,
Venturi répond en effet avec un logo représentant
cet oiseau, devenu depuis l'emblème de la firme. Cette année
là le cap des 250 voitures produites depuis la première
voiture sortie en 1987 sera franchi. 1991 sera une année
marquante pour Venturi. Une nouvelle unité de production
basée à Couëron près de Nantes, ayant
une capacité de production de 500 voitures par an devient
opérationnelle. Cette usine regroupera la fabrication des
Venturi et des Roadster De La Chapelle. Un nouveau modèle
voit le jour: la Venturi 260 Atlantique tirée à 25
exemplaires. C'est en fait une variante du coupé 260 mais
allégée de 105 kilos et 11 chevaux supplémentaires
améliorant ainsi le rapport poids/puissance. C'est une sorte
de RS à la Française. Sa présentation est spécifique
dans une livrée bleu, accompagnée de jantes couleur
fumées, et même si le cuir reste toujours présent,
le bois a cédé sa place à du carbone et les
sièges deviennent des Recaro au dessin plus sportif. On observe
un léger facelift pour le coupé avec l'apparition
de bas de caisse et de boucliers plus arrondis. Enfin Venturi fait
une apparition en compétition: en Formule 1 au Grand Prix
de France en partenariat avec l'écurie de Gérard Larrousse
et en Gentlemen Drivers Trophy, une compétition monotype
mise sur pied et organisée par Venturi, avec des coupés
Venturi améliorés qui débutera l'année
d'après. Cette compétition est plus particulièrement
adressée à des Gentlemen Drivers.
LA COMPETITION POUR L'IMAGE
En 1992 Venturi rachète l'écurie Larrousse de
Formule 1. Venturi présente officiellement au CIA (Centre
Internationnal de l'Automobile) à Pantin, la Venturi 400
chevaux du Gentlemen Drivers Trophy au style très Ferrari
F40. Gérard Godefroy a laissé aller son crayon pour
réaliser sur la base du coupé un monstre de circuit
(moteur V6 biturbo à la préparation signée
EIA) qui sera la dernière contribution de Claude Poiraud
à la marque qu'il a créée. En désaccord
avec la politique menée en Formule 1, Claude Poiraud quittera
Venturi en avril 1992 pour aller chez Hobbycar au moment où
le Gentlemen Drivers Trophy démarre. Ce trophée, qui
est une idée intéressante, est dû à Stéphane
Ratel, qui a sans doute sauvé Venturi en cette période
où les voitures de sport voient leur marché se réduire
comme une peau de chagrin. Le principe est assez simple: il vend
des saisons de courses clé en main, toutes les voitures étant
transportées et entretenues par l'usine. Ce trophée
est un succès tel, que dès la première année
il faut répartir les voitures dans des groupes en raison
de leur nombre important. Au total, 72 voitures seront construites,
qui peuvent être transformées en routières d'exception
en fin de saison si le client le désire. En juillet de cette
même année l'aventure de la Formule 1 s'arrête
net. Les résultats ne sont pourtant pas en cause mais l'entreprise
ne vend pratiquement plus de voitures de série et si la Formule
1 apporte des retombées bénéfiques, celles-ci
coûtent cher. Alors la famille Primat-Schlumberger, qui soutient
la firme contre vents et marées depuis 1989, s'inquiète
et tranche dans le vif. Changement de PDG et arrêt de la Formule
1 sont les premières mesures prises. Un plan de restructuration
est engagé conduisant à des licenciements à
la fin de l'année 1992. Venturi vit alors de la course grâce
au Gentlemen Drivers Trophy. En 1993 la course va s'intensifier
chez Venturi depuis que les 24 Heures du Mans s'ouvrent aux GT.
La marque décide donc de faire débuter le coupé
en compétition. C'est la Venturi 500 LM, présentée
en février 1993, toujours équipée du moteur
V6 PRV mais dont la puissance est portée par EIA à
480 chevaux, et sur les 7 voitures engagées aux 24 Heures,
5 termineront l'épreuve. Ce beau résultat va inciter
la marque, toujours par clients interposés, à récidiver
en 1994. Mais la réussite n'est pas au rendez-vous. Pourtant
cette année 1994 restera une bonne année sportive
pour Venturi grâce à la renaissance des courses GT
organisées par le trio du BPR, Jürgen Barth, Patrick
Peter et Stéphane Ratel. Face à des Porsche et Ferrari
très bien préparées, les Venturi 600 LM remportent
les 4 Heures de Dijon avec Ferté-Neugarten et les 1000 Km
de Paris avec Pescarolo-Basso. 1994 est également l'année
de la présentation de la nouvelle Venturi 400 GT capable
d'approcher les 300 Km/h et devenant ainsi la voiture française
de (petite) série la plus rapide de l'histoire, avec des
accélérations foudroyantes, 22 secondes au 1000 mètres
départ arrêté et la première voiture
de série au monde équipées de freins en carbone
développés et mis au point en collaboration avec Carbone
Industrie, le Français numéro un mondial de la spécialité.
Ce modèle est en fait une adaptation routière de la
400 chevaux du Gentlemen Drivers Trophy mais élaborée.
En mars 1995 un nouveau PDG apparaît aux rênes de l'entreprise:
Hubert O'Neill. Pour la troisième participation de la marque
aux 24 Heures du Mans, Hubert O'Neill décide de changer de
stratégie et l'usine s'implique directement avec la Venturi
600 SLM, et non plus par l'intermédiaire de clients. Denis
Morin, pilote Elf 1978, est le nouveau responsable compétition.
Mais les résultats de la voiture pilotée par Arnaud
Trévisol, Jean Marc Gounon et Paul Belmondo seront moyens.
De même les Venturi 600 LM pâtiront cette saison de
leur manque de développement en championnat GT même
si à Montlhéry, les Gentlemen Drivers Graham-Birbeau-Faraut
enlevaient la victoire en groupe GT1 après l'abandon de Guiod-Cottot-Bacle.
LA DERNIERE VENTURI...
Mais l'événement le plus significatif de cette
année 1995 restera la présentation de la nouvelle
Venturi Atlantique 300, pour le plus grand plaisir des amoureux
de la marque et des autres. Car une nouvelle fois Gérard
Godefroy a visé juste: l'Atlantique 300 a bien sa place parmi
les plus belles grand-tourismes du moment. Du coupé bien
connu elle reprend le châssis avec un empattement allongé
et des voies élargies, le pare-brise et l'intérieur,
doté toutefois de nouveaux sièges et petits aménagements.
Phares et feux sont nouveaux et les plus observateurs auront remarqué
que les vitres de portes sont dépourvues de cadre. Le moteur
n'est pas en reste puisque le V6 PRV évolue: sa cylindrée
passe à trois litres et sa puissance grâce à
un calculateur Siemens grimpe jusqu'à 280 chevaux. Les freins
en acier sont plus gros. Les journalistes essayeurs, même
les moins cocardiers, sont enthousiasmés et ne lui reprochent
que peu de défauts qui ne sont pas très importants.
La nouvelle venue fait passer inaperçu une timide évolution
du coupé 260, tirée à 15 exemplaires, qui devient
260 LM en rappelant ainsi la participation de la marque au 24 Heures
du Mans. La présentation extérieure est spécifique
dans une livrée bleue agressive, accompagnée de jantes
OZ de 17 pouces de diamètre dont la couleur sur le modèle
de présentation était blanche et un monogramme 260
LM apposé sur les côtés et l'arrière
de la voiture. Depuis la disparition d'Alpine orchestrée
avec maestria par Renault, Venturi reste à l'heure actuelle
le seul constructeur français de voitures de sport et de
prestige. La conjoncture de ces dernières années ne
lui facilitent pas la tâche, mais restant le seul à
nous faire encore rêver, il reste à espérer
que Venturi ne sombre pas et continue de vivre encore longtemps
sur la route et sur les circuits. Après tout, onze années
se sont écoulées depuis la création de la marque
et il serait dommage avec un passé pareil de disparaître
alors que la notoriété de la marque s'établit
à chaque fois un peu plus. Depuis les repreneurs potentiels
se sont succédés à la tête de la marque
Française et dernièrement, c'est un Monégasque
qui a racheté Venturi. Nous attendrons de voir ce que cela
donnera, sachant qu'il ne conservera pas le site de Couëron
et que les fondateurs de la marque qui constituaient son âme
ne sont plus dans cette aventure
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