BRITISH AIRWAYS !
Si l'on remonte l'histoire d'Opel, on se rend compte qu'il y a peu de modèles qui ont autant marqué les mémoires que l'éphémère Omega "Lotus". Pour transformer une insipide berline en véritable avion de combat, les ingénieurs du Blitz ont dû faire appel à un partenariat salvateur avec les sorciers anglais. Et pour un coup d'essai, ce fût un coup d'éclat !
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
A Hetel, la petite firme de Sir Colin Chapman possède l'art et la manière pour mettre sur roues les plus brillantes mécaniques au sein de châssis époustouflants. Lorsqu'Opel fait appel à eux au début des années 90, c'est justement pour dynamiser une image quelque peu ringuarde et amorphe qui colle à la peau de la société germano-américaine. Le modèle haut de gamme lancé en 1986 remplace la Rekord, mais connaît un succès d'estime bien loin des records... Ses mécaniques 6 cylindres font pâle figure comparées aux oeuvres d'art qui sortent des ateliers de Munich, chez le rival BMW et notamment de sa filiale Motorsport. Alors à Rüsselsheim, suite au rachat par General Motors, les responsables décident de donner un grand coup de plumeau sur l'Omega. Et pour l'occasion, c'est carrément un typhon qui va aller se loger sous son capot ! En confiant l'ensemble de la mutation aux généticiens de Lotus, l'Omega va contre toute attente entrer au panthéon de l'automobile sportive sous forme d'une série limitée explosive.
DESIGN
Lotus n'est pas à son coup d'essai en matière de "transformation". Alors qu'on ne parlait pas encore de tuning, mais plutôt de préparation, la placide Chrysler Sunbeam était devenue Talbot Sunbeam Lotus. On se souvient également de la non moins réussie Ford Cortina Lotus. Sans compter les nombreuses interventions purement mécaniques de Lotus Engineering, comme sur la Corvette ZR1 par exemple. Bref, la cure d'hormones, ça les connaît nos voisins anglais ! En ce qui concerne l'Omega, la mutation ne passe pas inaperçue. Son physique peu avantageux devient pour le coup son premier atout "choc" avec un kit carrosserie complet comprenant des élargisseurs d'ailes, des jantes de bonne largeur, un aileron suggestif et un bouclier avant largement ouvert pour gober un maximum d'air frais. On observe aussi deux grilles d'aération sur le capot destinées à augmenter le refroidissement du gros moteur. Très "tuning", malgré sa teinte (unique) "vert Imperial", l'Opel Omega Lotus passerait pour ridicule s'il n'y avait une argumentation aussi convaincante sur sa fiche technique.
A BORD DE LA LOTUS OMEGA
Pour le côté pratique de la bête, il s'agit toujours d'une grande berline à 4 portes, accueillante pour 4 passagers et disposant d'un grand coffre et d'une banquette AR rabattable. Des atouts "pratiques" que ne peuvent s'offrir les coupés super-sportifs que cette Lotus est pourtant en mesure de bousculer en termes de performances. Intérieurement en revanche, Lotus s'est simplement contenté d'apposer sa marque de fabrique sur le volant. Les sièges en cuir (de série) permettent au passager de trouver une très bonne position de conduite, avec un réglage de hauteur de l'assise et du volant. Pour se remettre des coups de chauds inévitable lorsqu'on pilote une telle auto, la climatisation est fournie de série également. En revanche, on s'étonne de l'absence de température et de pression d'huile (surtout sur un moteur anglais... hum!) avec un tel joyau de mécanique sous le capot. Même constat pour la qualité de fabrication, on est loin des références allemandes de l'époque comme la Mercedes 500E.
MOTEUR
Le sage 6 cylindres en ligne 24 soupapes de l'Opel Omega 3000 24v subit en Angleterre une véritable métamorphose. Entièrement démonté, il reçoit un vilebrequin et des bielles spécifiques, destinées à encaisser la force de la double suralimentation qu'on lui greffe également au passage, ainsi qu'à augmenter la course et donc par voie de fait la cylindrée globale, qui passe de 3L à 3L6. 6 cylindres 3L6 biturbo, ça vous rappelle rien ? Et bien ce n'est rien moins que la Porsche 993 Turbo ! Voilà qui permet de cerner un peu mieux le niveau attendu de cette rebelle... Et pour cause, lorsqu'on aborde les chiffres, le monde des supercars telles que la Ferrari Testarossa, la Lamborghini Diablo ou même la Honda NSX n'est plus très loin. Plus directement visée, la fabuleuse Alpina B10 biturbo e34. 376 ch (CEE) à 5200 tr/mn et un couple maxi de brute épaisse (557 Nm à 4200 tr/mn) fourni par les deux turbines Garett T25 (0,7 bar) couplées à un échangeur air/eau. La double suralimentation combinée à l'architecture du 6 en ligne procure un couple très disponible, dès les plus bas régimes, et une force de frappe qui répond présente à la moindre sollicitation, sans temps de réponse. Il en ressort un agrément d'utilisation digne d'une cylindrée beaucoup plus grosse, telle qu'un V12 atmosphérique de 5 ou 6L ! D'ailleurs, la Lotus Omega partage aussi sa boîte ZF manuelle 6 vitesses avec la Corvette ZR1. Les 5 premiers rapports semblent bien adaptés au potentiel du moteur, seule la 6ème est surdémultipliée. Le maniement est bien viril, ferme et précis comme on aime. Sur le plan des performances, la force Herculéenne du "straight six by Lotus" se joue sans encombre des 1600 kilos de l'américano-allemande élevée au Burger-Choucroute. Pour illustrer ce potentiel mécanique hors norme, la graduation à 300 du compteur de vitesse est juste "suffisante" ! Avec 284 km/h chrono, la grosse Opel file à l'anglaise à la vitesse d'un Avion ! Les accélérations ne sont pas en reste, les gros gommards des deux seules roues motrices arrières fondent comme neige au soleil pour passer les 58 Mkg. Un vrai exercice de maîtrise du pied droit est nécessaire pour atteindre 100 km/h en 5"8 et passer la borne en 24"5. Toutefois, pour réaliser ces temps canon, il convient d'avoir une certaine habitude et une bonne maîtrise de la cavalerie pour ne pas faire du surplace... Mais quand on y parvient, il n'y a guère que l'Alpina B10 biturbo qui puisse jouer à armes égales dans cette catégorie des berlines supersportives. A titre d'exemple, la 2nde vous catapulte déjà à près de 130 km/h et la 3ème à plus de 170 ! Bref, comme on dit dans le jargon, ça pousse sévèrement. En contrepartie, ça boit beaucoup aussi. On a rien sans rien. Les anglaises ont toujours aimé la bibine et cette "Opelotus" ne déroge pas à la règle. Comptez environ 18L aux 100 en profitant de toute la générosité du bloc turbocompressé et au moins 30L sur circuit, seul espace réservé où vous pourrez jouir du tempérament de feu de cette berline peu ordinaire. Le réservoir de 75L n'est donc pas de trop...
CHASSIS
Passer au sol convenablement 376 ch aux seules roues arrières n'est pas une sinécure, surtout en partant d'une base de berline pas spécialement sportive. Là encore, la talent des ingénieurs Lotus va frapper. L'Omega subit un renforcement majeur de sa structure ainsi que toutes les évolutions qui caractérisent une voiture de course. Châssis rabaissé, amortisseurs et ressorts nettement plus fermes, barre anti-roulis de section majorée et on note même un correcteur d'assiette sur l'essieu arrière, comme la Mercedes 190E 2.5-16 avant elle. Le train avant type McPherson avec triangles inférieurs et les suspensions arrière à triangles obliques permettent d'obtenir un comportement souverain, à défaut d'un vrai confort. Conjugué à cette assiette constante, et compte tenu de la vitesse maximale potentielle de l'engin, l'aileron n'est pas là que pour se donner l'air. L'air, il l'utilise pour diminuer la portance qui s'exerce sur la carrosserie. Le Cx de 0,30 et le Scx de 0,69 confirment que cette Opel bodybuildée ne perd pas trop en aérodynamisme. Pour coller à l'asphalte, la Lotus Omega se pare également de jolies jantes 17 pouces Ronal, chaussées généreusement de pneus (unidirectionnels de préférence) 235/45 devant et 265/40 derrière. COmme il se doit, un différentiel autobloquant à 45% est monté sur le pont, ce qui soulage la motricité lorsqu'il faut envoyer les 58 Mkg ! Toutefois, l'Opel Omega Lotus peut être rangée dans le rayon des sportives à l'ancienne car elle écarte de sa dotation presque toute béquille électronique... y compris l'antipatinage. Sans doute conscients de cette caractéristique, l'Omega est naturellement sous-vireuse par ses réglages et sa répartition des masses (58% AV, 42% AR), ceci compensant cela. Une autre caractéristique qui rend son pilotage extrêmement pointu car pour faire déboîter l'arrière proprement et maintenir une dérive, il faut faire preuve de véritables dons d'équilibriste. Comme seule "aide à la conduite", on note la présence d'un ABS Bosch. Si la capacité d'accélération est phénoménale, la capacité de décélération l'est tout autant. On tutoie ici les références en la matière tel que Porsche. Stoppée par 4 gros disques ventilés AP Racing de 330 mm pincés par des étriers à 4 et 2 pistons qui se jouent avec efficacité des 1600 Kg de la berline.
ACHETER UNE
OPEL OMEGA LOTUS
Si un titre de berline la plus rapide du monde suffisait à garantir le succès commercial, Opel en aurait été réjouit. Malheureusement, seulement 950 Lotus Omega furent produites et si l'on retire de ce chiffre les 284 Vauhxall Lotus Carlton (en conduite à droite) on comprend que ce modèle est un véritable collector dans notre beau pays. 59 exemplaires furent officiellement distribués en France par le réseau Opel. Un maigre troupeau dont il faut encore soustraire les excès d'optimisme ayant conduit à la casse et les vols non retrouvés... En clair, pour en trouver une il faut s'armer de patience ! Malgré tout, la rareté ne fait pas toujours le prix car les 20000 euros demandés (en moyenne) semblent bien dérisoires pour une auto si exceptionnelle et qui coûtait la bagatelle de 500 000 FF en 1991. Une cote qui semble si ingrate lorsqu'il convient de prendre en considération que tout est compliqué, et cher, lorsqu'on roule avec un tel engin. A commencer par l'entretien. Seulement 5 points Lotus-Omega répertoriés en France à sa sortie, c'est dire si vous aurez du mal à trouver un bon mécano pour soigner votre auto... d'autant plus que la fiabilité n'est pas un modèle du genre. Le premier souci, et non des moindres, vient du refroidissement de la mécanique et notamment du dernier cylindre mal ventilé qui peu surchauffer. Mais ce n'est pas tout : embrayage, transmission, suspensions, pneus, carburant, la belle anglaise réclame un budget conséquent et régulier que justifie son pedigree d'athlète de très haut niveau. Au final, pour faire un parallèle avec un modèle mieux connu chez nous, l'Opel Lotus Omega rencontre un peu le même problème que la Renault Safrane Biturbo, avec une volonté d'image d'un grand constructeur généraliste qui n'a pas été suivie par le public malgré toutes les qualités de cette production semi-artisanale. Des qualités souvent étouffées par les défauts de la version qui lui sert de base, dont un physique peu "valorisant" ajoutés à ceux de l'exclusivité (pièces, savoir-faire). En clair, il s'agit vraiment d'une auto passion et coup de coeur, pour l'achat de laquelle il vaut mieux écarter toute notion de raison...
:: CONCLUSION
Porte-drapeau éphémère de la gamme Opel du début des années 90, la Lotus Omega demeure aujourd'hui un collector oublié et mal apprécié bien que pétri de qualité... mais aussi de défauts liés à son statut particulier. En conséquence, elle se trouve difficilement, mais à bon prix, à condition de pouvoir assumer les frais qu'impliquent l'entretien et la jouissance d'une telle oeuvre d'art. |