© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (24/11/2012)
LE CHANGEMENT
A la fin des années 50, Triumph prépare le futur avec confiance dans le marché des voitures de sport. La firme est arrivée à un stade où elle doit commencer à imaginer ce que seront les demandes futures des clients. La Triumph TR4 va incarner la transition dans ce changement d'époque et de philosophie, entre le succès de la rustique TR3 et celui de la bourgeoise TR6.
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
Durant les années 50, le groupe Standard construit sa fortune sur le marché des voitures de sport via sa filiale Triumph, ainsi que sur la fabrication de tracteurs pour la société Ferguson dans l'usine de Banner Lane, à Coventry, obtenue après la guerre. Un grand écart industriel qui ne nuit pas à l'image de son best-seller américain, la Triumph TR3. Mais la situation finit par se dégrader brutalement avec une baisse des ventes sur son marché intérieur à la fin des années 50. Même la TR3 qui portait la gamme Triumph n'est finalement pas épargnée et ses ventes déclinent, y compris aux USA. En 1959, la Standard Motor Company et sa filiale Triumph Motor Company changent de nom et fusionnent sous une seule et même entitée, la Standard-Triumph International. D'encombrants stocks de véhicules se forment et Standard finit par capituler. C’est finalement dans un contexte délicat de restructuration, suite au rachat par Leyland Motors Ltd en 1961, que Triumph va amorcer le remplacement de la TR3...
DESIGN
En 1958, la Triumph TR3A bat tous les records de ventes de la marque. Mais les goûts des acheteurs étant changeant, Triumph prépare déjà le restylage de son best-seller avant qu'il n'apparaisse démodé. Par ailleurs, les portes du marché européen vont bientôt s'ouvrir à l'exportation et il faut adapter l'offre à cette nouvelle clientèle. Triumph conduit donc deux projets, tous deux basés sur le chassis de la Triumph TR3A : le projet "ZEST" à carrosserie en polyester dessiné par Michelotti puis le prototype "ZOOM", équipé du moteur à double arbre à cames en tête des TR3S du Mans. Contraint finalement par Leyland à minimiser les investissements pour le remplacement de la TR3, en partie à cause du lancement de la Spitfire, Triumph va concentrer l'évolution du modèle sur la carrosserie tout en conservant les bases techniques de la TR3. Le public américain étant plus attaché aux lignes qu'aux aspects techniques, Triumph se dit que c'est sans doute le meilleur moyen de faire du neuf, avec du vieux... Ce travail est confié à Giovanni Michelotti qui s'est déjà distingué par son coup de crayon sur les “Triumph Italia” de Vignale et sur les Triumph TRS engagées au Mans en 1960. La mission de Michelotti est de rendre le roadster anglais plus moderne et confortable. Le résultat de cette mutation est la Triumph TR4, dont le premier exemplaire sort des chaînes de montage à Coventry le 18 juillet 1961, année du rachat par le groupe Leyland. Le profil de la TR4 frappe tout d'abord par ses flancs massifs et ses angles vifs, en totale rupture avec les courbes qui caractérisaient les TR2 et TR3. Cette silhouette trapue, marquée par une ceinture de caisse à hauteur constante, fait de la TR4 une voiture plus virile que sa concurrente la MGB. La large calandre faite de barres chromées à croisillons et le bossage du capot au-dessus des carburateurs, imposé par l'abaissement de la carrosserie, ajoute encore à la musculature plus affirmée de la TR4. Les plis du capot formant des "sourcils" au-dessus des phares fait habilement référence aux yeux de grenouille des TR2 et TR3. On note également l'ajout du nom Triumph en toutes lettres sous le logo du capot, ainsi que sur le coffre. Plus suggestive mais finalement moins sauvage et plus confortable que les TR2 et TR3, la TR4 exprime les nouveaux besoins des amateurs de roadsters anglais qui aspirent à plus de confort. En option, Triumph propose des roues à rayons, peintes de la couleur de la carrosserie ou en coloris argent mat ou poli, avec écrou central chromé. La Triumph TR4 pouvait s'habiller de blanc, de noir, de bleu, de vert ou de rouge.
HABITACLE
Intérieurement, la Triumph TR4 offre plus de place aux occupants grâce à l'élargissement de la caisse et un confort amélioré par des sièges mieux rembourrés, recouverts de vinyl ou de cuir en option, des garnitures en vinyl, une moquette au sol et une finition plus soignée. Le coffre est également agrandi grâce au nouveau dessin. La planche de bord, entièrement nouvelle, est en tôle peinte et intègre une boîte à gants qui ferme à clé. Elle conserve de la TR3 deux grands cadrans circulaires (compte-tours et tachymètre) derrière le volant et la batterie de manomètres (jauge à essence, température, pression d'huile, ampèremètre) au centre, au-dessus du levier de vitesses. Le chauffage et la ventilation ont également fait l'objet d'améliorations notables ainsi que l'étanchéité de la capote. Une capote au maniement plus rapide qui complète les progrès de l’équipement. En option, un nouveau hard-top très astucieux est proposé (voir encadré ci-dessous). Enfin, le principal progrès de la TR4 concerne l'arrivée de vraies portières dotées de vitres latérales coulissantes par manivelles. Pour l'anecdote, ce simple détail suffit aux puristes pour considérer que la TR4 n'est plus un roadster mais un cabriolet !
SURREY TOP
Devançant de 5 ans le toit Targa des Porsche 911 et 912, la Triumph TR4 innove avec un nouveau hard-top constitué d’une lunette arrière fixe avec arceau intégré et d'un panneau de toit amovible (en aluminium sur les 500 premiers, puis en acier). Triumph pousse même un peu plus loin son offre avec le « Surrey-Top » permettant de remplacer la partie centrale du hard-top par un store en vinyle supporté par un cadre amovible. Cette alternative ne rencontra qu'un faible succès mais se montra utile en compétition car elle augmentait la rigidité de caisse de la TR4.
MOTEUR
Le moteur d'origine Standard de la Triumph TR4 a été porté à 2138 cm3 par augmentation de l'alésage à 86 mm (+3 mm). La course de 92 mm a été conservée et malgré la nouvelle cylindrée, la puissance ne fait pas un bond significatif. La puissance annoncée est toujours de 100 ch SAE, obtenus désormais à seulement 4600 tr/mn, avec un taux de compression de 9:1. Toujours limité en régime par son vilebrequin à 3 paliers, le moteur de la Triumph TR4 n'est pas un adepte de la zone rouge. Le couple progresse en revanche par rapport à la TR3A et rend le caractère moteur encore plus rond. Afin de ne pas perdre sa clientèle de pilotes et notamment ceux voulant courir en catégorie moins de 2 litres, Triumph propose aussi de monter sur la TR4 le moteur 1991 cm3 des TR3A en option gratuite. Parmi les améliorations significatives apportées par rapport à la TR3, notons également que la boîte de vitesses à 4 rapports est devenue entièrement synchronisée. De surcroît, en option, un overdrive « Laycock de Normanville » à commande électrique agissant sur les trois rapports supérieurs permet à la TR4 de disposer d'une boîte 7 rapports.
CHASSIS
La Triumph TR4 reprend à sa devancière son châssis séparé, solution qui apparaît de plus en plus dépassée, mais pour s'adapter au nouveau design les voies ont été élargies d'environ 4 pouces. La direction à crémaillère est l'évolution la plus appréciable sur ce nouveau modèle et la TR4 reprend à l’avant les freins à disques Girling de la TR3A, avec un servo en option, ce qui la place parmi les meilleures de sa génération à ce niveau. Pour compenser sa légère prise de poids (+30 kg), la TR4 utilise des amortisseurs renforcés. La suspension arrière conserve ses ressorts à lames et amortisseurs à bras de leviers mais le comportement général se trouve amélioré par rapport à la TR3. Comme souvent chez Triumph, les évolutions et modifications même mineures sont monnaie courantes au fil du temps. Les TR4 équipées tout d'abord de roues pleines de 15x4.5 pouces en série et, en option, de roues à rayons de 15x4" chaussent de pneus en 165x15. La monte pneumatique s’avéra vite un problème pour les premiers propriétaires qui avaient opté pour les jantes à rayons à cause d'une offre pneumatiques très limitée. Les pneumatiques radiaux classiques 185x15 s’avéraient trop larges pour être montés en toute sécurité. En conséquence, les jantes à 48 rayons furent rapidement remplacées par des jantes à 60 rayons plus larges (4.5"). Notez que seuls les modèles américains disposaient en option des jantes en alliage magnésium-aluminium de dimensions 15x5.5 ou 15x6.
EVOLUTION
La TR4 ne va connaître qu’une évolution majeure au cours de sa carrière. Débutant ses travaux en 1962, Harry Webster a en charge de moderniser l’essieu arrière rigide hérité de la TR3. Ce sera chose faite avec la Triumph TR4A produite à partir de janvier 1965 et qui va ainsi marquer une nouvelle étape de la longue évolution menant de la rugueuse TR2 à la plus bourgeoise TR6. La suspension arrière indépendante avec des ressorts hélicoïdaux et des bras tirés apparaît donc sous le nom IRS, pour "Independant Rear Suspension". Cette nouvelle évolution inspirée de la berline Triumph 2000 améliore grandement les qualités routières de la TR4A dont les réactions sont mieux contrôlées. Il faut toutefois préciser que la TR4A destinée aux USA conservera un essieu rigide tout en adoptant la nouvelle forme de châssis, au motif que les vendeurs américains estimaient que leurs acheteurs n'y verraient que peu de différence ! Pour accompagner ce changement, Triumph va rapidement adopter en série le nouveau Michelin XAS, premier pneu à sculpture asymétrique, offrant un réel progrès en matière de tenue de route. Extérieurement, seule la nouvelle grille de radiateur, des indicateurs de direction et un filet de chrome sur les ailes avants distingue une TR4A d'une TR4.
A l'intérieur, la planche de bord est maintenant couverte de bois, ce qui donne un aspect plus cossu à l'habitacle. Triumph travaillait déjà sur son nouveau 6 cylindres mais celui-ci n'étant pas prêt, on décida de conserver le bon vieux moteur de tracteur. Sous le capot, le 2.1L gagne toutefois des carburateurs Zenith-Stromberg 175CD qui portent sa puissance à 104 ch. La presse ne mit pas longtemps à se focaliser sur les performances stagnantes de la TR4A plutôt que sur les progrès de sa tenue de route. Le 2 août 1967, la dernière Triumph TR avec un moteur à 4 cylindres et chemises humides, sortira des chaînes, après 14 ans de règne. La TR4, désormais dotée d'un 6 cylindres, était devenue TR5 et TR250 !
DOVE GTR4 (1961-1964)
Construit à l'initiative du concessionnaire Triumph de Wimbledon à Londres, LF Dove and Co, qui en assurait la distribution le coupé “GTR4” était réalisé par le carrossier Harrington Motor Bodywork. La carrosserie du coupé GTR4 pèse 200 kg de plus que le roadster et avait imposé de monter des vitres latérales spécialement dessinées pour épouser la nouvelle ligne du pavillon. On peut embarquer 4 passagers, mais les sièges arrières, aussi petits que ceux de la MGB GT ne conviennent qu’à de petits enfants. Ils peuvent toutefois être retirés pour fournir un peu plus d’espace pour les bagages. Chaque "Dové" faisait l’objet d’une commande individuelle et chacun des modèles produits est quasiment unique. Facturé 1.250 £, soit presqu’autant qu’une Jaguar Type E (!), le coupé GTR4 ne sera produit qu'à 55 exemplaires en 3 ans.
ACHETER UNE TRIUMPH TR4
Appréciée des collectionneurs pour sa robustesse et sa facilité d'entretien, la Triumph TR4 ne peut plus compter sur un rapport prix/performances aussi avantageux qu'à l'époque. Pour parler franchement, la cote est même devenue très élevée pour une voiture dont les performances sont à peines meilleures que celles de la TR2. 24.000€ semble en effet constituer le tarif minimum pour s'offrir un bel exemplaire de Triumph TR4 et il faut bien rajouter 2 à 3000€ pour une TR4A IRS. Un bémol côté facilité d'entretien pour cette dernière, car les carburateurs Stromberg s'avèrent plus difficiles à régler que les SU. Dans tous les cas, une fatigue avancée rend leur synchronisation très délicate. Concernant la transmission des TR4, les articulations des demi-arbres souffrent généralement d'un défaut d'entretien et finissent par user en se montrant bruyantes. L'autre bonne nouvelle, c'est qu'à de rares exceptions, toutes les pièces de Triumph TR4 sont trouvables en occasion ou refabriquées par des spécialistes anglais. Compte tenu des liens de filiations très présents entre les modèles TR, un grand nombre de pièces sont également interchangeables ce qui les maintient à des prix raisonnables. Là où il faudra être le plus vigilant c'est probablement sur l'état du châssis qui, sur la TR4 comme sur les autres TR, a la mauvaise habitude de rouiller sans trop se forcer...
LA TR4 EN COMPETITION
En 1962, Triumph décide de stimuler ses ventes en Amérique en faisant presque officiellement son retour dans le monde de la compétition. Dès septembre, des voitures furent préparées en Californie, sous la supervision de Kas Kastner. Avec leur TR4, Kastner et son pilote vedette Bob Tullius, qui courait déjà en TR3, remportèrent le championnat national en catégorie E en 1962. Le responsable du département publicité de Triumph à New-York, Mike Cook, convainquit la firme d’engager trois TR4 aux 12 heures de Sebring 1963. Au classement général, les voitures terminèrent aux 22, 24, 35 et 65 èmes places, mais surtout 1ère, 2ème et 4ème de la catégorie GT 2.5 litres. Ce fût la naissance du team "Group 44", en référence au numéro que portait la voiture de Tullius. La plus grande victoire en compétition de la TR4 fut sans aucun doute Daytona 1965, où une voiture préparée par Kastner remportât la classe D du nouveau championnat SCCA, devant les Ferrari et autres prototypes.
PRODUCTION TRIUMPH TR4
TR4 (1961-1965) : 40.253 exemplaires
TR4A (1965-1967) : 28.465 exemplaires
Dove GTR4 (1961-1964) : 55 exemplaires
:: CONCLUSION
La Triumph TR4 a mis du temps à trouver son public - déjà on se plaignait de l'embourgeoisement des sportives ! - et ses ventes n'ont jamais réussi à atteindre celles des glorieuses TR3. Souvent considérée comme une simple transition entre les TR2/3 et la TR6, la TR4, et surtout la TR4A, mérite pourtant beaucoup mieux qu'un statut de figurante dans la saga des Triumph TR.
Remerciements à RM Auctions pour les photos de la très belle TR4 verte présentée ici et aux membres du Triumph Club de France pour leur aide.
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Avis des propriétaires
je possèdedepuis 2 ans une triumph tr4 de 1962. On critique beaucoup le pont rigide des premières tr4, mais je dois dire que je ne trouve pas grande différence avec les roues indépendantes de la tr4A (j'en ai eu une quand j'avais 20 ans, j'en ai 63)Pourquoi?
- Les routes sont en bien meilleur état aujourd'hui
- Quand on possède ce type de véhicule, on ne recherche pas la performance
Pour résume, mon auto, c'est du plaisir à l'état pur. Décapotée par beau temps (c'est là qu'elle prend toute sa valeur)on éprouve une réelle sensation de bien être. Le couple est phénoménal et les reprises même à bas régime se font sans à coups.Seule ombre au tableau: la consommation que je n'arrive pas à réduire (15/15l/100!!!) Voir tous les avis sur la TRIUMPH TR4
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