RUF CTR 3 (2007 - )
DANS LA COUR DES GRANDS
Si vous pensez toujours que Ruf n'est qu'un préparateur de Porsche comme tant d'autres, vous allez sérieusement devoir reconsidérer vos acquis. Si vous vous êtes déjà demandé à quoi ressemblerait une Porsche 911 Turbo dont on aurait absolument tout amélioré, et bien nous avons la réponse : la Ruf CTR3 !
Texte & Photos : Vincent MAUBOIS
Ruf est connu pour modifier les Porsche en profondeur afin de créer ses propres voitures et le modèle emblématique de la marque depuis des générations est la CTR. C'est en 1987 que la RUF CTR, alias 'Yellow Bird", commença par se faire un nom en décrochant le titre de voiture la plus rapide du monde. 340 km/h, loin devant toutes les Porsche, Lamborghini et Ferrari du moment. La concurrence ne pouvait qu'être admirative face au travail de ce jeune constructeur allemand. 28 exemplaires de la CTR1 sont sortis des ateliers de RUF Auto à Pfaffenhausen (cf. notre visite) entre 1987 et 1991 mais l'aventure était loin de s'arrêter là...
Il fallut attendre 1995 pour voir apparaître la CTR2, cette fois sur la base de la 993 Turbo. Avec ses 350 km/h, elle n'était certes plus la voiture la plus rapide de la production, mais tout de même sur le devant de la scène dans le monde des GT d'exception. Elle se démarquait notamment par l'abandon de la transmission intégrale et une puissance de 520 ch offrant une expérience de conduite aussi musclée que sa devancière. Mais Alois Ruf nourrisait depuis toujours la même ambition, construire sa propre voiture de sport, une voiture qui ne serait plus simplement perçue comme une Porsche modifiée.
Le troisième volet de la trilogie marque en 2007 un pas de plus vers cette indépendance vis à vis de Porsche, exactement 20 ans après la première CTR. Un nouveau modèle qui incarne la métamorphose de la petite société RUF auto, passé de préparateur de génie à constructeur de supercars. En attendant de découvrir la future CTR4 (cf. notre interview de Marcel Ruf), nous avons donc eu le privilège de pouvoir essayer l'actuel fleuron de la gamme RUF, la CTR3. Un privilège particulièrement rare, car à ce jour seule une trentaine d'exemplaires ont été produits...
PRESENTATION
La CTR3 fut dévoilée à Bahrein le 11 avril 2007, sur le circuit international de Shakir près duquel le constructeur venait d'inaugurer son nouveau centre de production. Une opération marketing qui confirmait l'entrée de RUF dans le club très fermé des constructeurs de supercars, aux côtés des Ferrari Enzo, Koenigsegg CC8S et autres Pagani Zonda. Car oui, ne nous y trompons pas, contrairement aux apparences et à ce qu'on peut parfois lire, la RUF CTR 3 n'a absolument rien d'une Porsche Cayman "tunée". Elle ne dérive pas non plus du Boxster. Pour lever le doute, il suffit de lever aussi l'énorme capot arrière en fibre de carbone qui dévoile toute la partie arrière du châssis. Pour la première fois, RUF a développé sa voiture sur une structure inédite, conçue en collaboration étroite avec les spécialistes canadiens de Multimatic. Après plusieurs approches réalisées en R&D et deux prototypes baptisés R50, la version presque définitive de la CTR3 fut réalisée en un peu moins de 12 mois, une prouesse pour un petit constructeur.
Construite comme les prototypes d'endurance qui ont fait les grandes heures des 24H du Mans, la CTR3 repose donc sur un châssis cage en acier à l'arrière soutenant le moteur et fixé à une cellule centrale composant le cockpit armé d'un arceau comme toutes les productions RUF. La partie avant et le plancher sont empruntés à la 997 GT3 RS, c'est vrai, mais cet emprunt est si limité qu'on peut réellement parler de châssis inédit. Quelque part, on peut y voir une descendance à la première Porsche 911 GT1 de 1995 qui était construite de la même manière en partant d'une cellule centrale de Porsche 993. Toute la partie arrière de la CTR3, y compris les ancrages de suspensions de type pushrod, est donc spécifique. Les portes et le capot avant en aluminium sont issus eux aussi de la GT3 RS. Tout le reste de la carrosserie, est en revanche inédit et unique à la CTR3. Même le pare-brise, plus petit, ne provient pas de chez Porsche. Au final l'empattement est 200 mm plus long que sur une Porsche 997 même si la longueur totale de la CTR3 est similaire. L'autre objectif étant des performances de premier ordre, l'utilisation de matériaux plus légers a permis de garder un poids très contenu de 1400 kg en ordre de marche (DIN).
Le dessin de la CTR3 fut confié au jeune designer Ben Soderberg, alors tout juste diplomé de l'école de design UniSA en Australie. Ce fils d'un ancien employé de chez Porsche commença par travailler chez RUF sur le relooking du Cayman, puis rapidement, c'est une mission bien plus complexe qu'on lui confia : créer une voiture inédite ! A seulement 26 ans, difficile d'imaginer défi plus excitant ! En dépit de la mode qui était clairement orientée vers des formes de plus en plus anguleuses et agressives, son choix et celui d'Alois Ruf était que la CTR3 conserve un ADN Porsche. Séduisant et sensuel, avec des rondeurs et des galbes, son design repose sur des formes organiques. C'est l'esprit des sportives des années 50 et 60 qui a été capturé par le designer qui s'inspire notamment de la Porsche 550 Le Mans Coupé de 1953, pilotée par Paul Frère et Richard von Frankenberg. En dehors des modes, ce dessin a certes un peu vieilli depuis la présentation en 2007 mais avec ses grandes jantes en aluminium forgé à écrou central, son gros "flat six" logé en position centrale arrière, le tout magnifié par cette allure basse digne d'une voiture de course, la CTR3 impressionne. Surtout lorsqu'elle se pare d'un vert on ne peut plus voyant comme notre modèle d'essai !
HABITACLE
À l'intérieur de la CTR3 l'arceau recouvert d'alcantara, les éléments en carbone et les sièges baquets spécifiques RUF assortis de harnais 6 points mêlent l'ambiance compétition à l'univers des voitures de prestige. Inutile de chercher le rétroviseur intérieur, une caméra le remplace puisque le Flat 6 de 3,8L et son capot obstruent totalement la vue. Tout comme à l'extérieur, tout est personnalisable dans l'habitacle et chacun des acheteurs pourra y apporter sa touche.
Une fois harnaché, l'ensemble des commandes tombe sous la main et il n'y a plus qu'à profiter de la mélodie ravageuse du six cylindres à plat. Seule faute d'ergonomie, le bouton de commande de hauteur de caisse situé dans la boite à gant, détail qui s'oublie vite une fois sorti du centre-ville de Pfaffenhausen où les ralentisseurs sont absents. L'impressionnant compte-tours situé au centre de notre vision et gradué en vert, renforce l'idée d'être dans une auto faite pour la course. Le compteur de vitesse gradué jusqu'à 420 km/h donne le vertige. L'instrumentation est fournie par le fabricant allemand Cosyst, le reste de la planche de bord et les habillages de portes proviennent des Boxster/Cayman 987, à l'exception du levier de vitesses surélevé en aluminium qui commande la boite séquentielle...
MOTEUR
La CTR3, dans sa première version de 2007, est animée par le très connu 6 cylindres Boxer des Porsche 996 turbo, descendant du moteur de compétition des Porsche 956, 962 et GT1. Le flat 6, comme toujours, été profondément revu par RUF. La cylindrée tout d'abord est augmentée pour la CTR3 avec un alésage de 102 mm (+2mm) et atteint 3746 cm3. Pour les connaisseurs, vous aurez remarqué qu'il s'agit donc de la même configuration que le bloc des 993 Carrera RS. RUF applique ensuite au bloc sa recette habituelle, pistons Mahle, bielles en titane, entre autres raffinements, auquels s'ajoutent deux turbos KKK K24 pour obtenir pas moins de 700 ch à 7000 tr/mn et un couple colossal de 890 Nm à 4000 tours !
Depuis juillet 2011 (millésime 2012), RUF a pourtant effectué une grosse mise à jour de la CTR3 en remplaçant son "3.7L" par le nouveau 3.8L Porsche. Le moteur actuel repose donc sur le bloc des Porsche 997 Turbo 3.8, 997 GT3 3.8 et 997 GT3 RS 3.8. La gestion moteur est elle aussi totalement nouvelle et le gain de puissance porte l'ensemble à 750 ch avec un couple de 960 Nm disponibles dès 4000 tr/min, et ce, jusqu'à 7100 tr/min. On peut dire que la CTR3 ne manquait déjà pas de souffle mais là, elle atteint encore un nouveau palier.
Le poids toujours contenu à 1400 kg aide à réaliser un 0 à 100 km/h en seulement 3,2 secondes, une formalité, sauf pour le conducteur qui devra suivre un entrainement intensif digne d'un pilote de chasse avant de s'habituer à encaisser autant de G. Le 0 à 200 km/h est fracassé en 9,6 secondes, soit 3 dixièmes de mieux qu'une Porsche Carrera GT, et la CTR3 atteindrait la vitesse de 380 Km/h. A condition d'avoir suffisament de dégagement...
La boîte de vitesses n'est pas non plus étrangère à ces performances d'un autre monde. La première version de la CTR3 utilise une boîte séquentielle à 6 rapports fournie par le spécialiste allemand Hör Technologies, similaire à celle utilisée sur la Porsche Carrera GT. Mais celle-ci se montrait un peu trop brutale et "lente" à l'usage. Aussi RUF décida de convertir la CTR3 à la technologie double embrayage PDK de Porsche, mais cela demanda de nombreuses améliorations. Le projet PDK débuta en octobre 2012 et se termina en juin de l'année suivante. La plus grosse difficulté fut de revoir entièrement l'électronique via une nouvelle ECU pour améliorer les vitesses de passage des rapports. Proposée en option depuis le millésime 2014, la PDK 7 de la CTR3 s'accompagne de palettes au volant.
Si jamais vous trouvez cela encore un peu light mécaniquement parlant, sachez que RUF propose la CTR3 "Clubsport" (voir encadré en bas de page)...
SUR LA ROUTE
La RUF CTR3 limite son poids grâce à une structure composite mariant des éléments en acier, aluminium et carbone-kevlar. Son autre atout, c'est une suspension arrière entièrement revue. Les combinés ressorts-amortisseurs ne sont pas situés entre les triangles de roues mais connectés à l'intérieur de la structure de carrosserie, transversalement. Cette solution appelée "Pushrod" offre toute une série d'avantages dont le principal est de dissocier le contrôle de la roue et l'amortissement. La fixation rigide au châssis améliore également la précision et la réaction des ressorts et des amortisseurs, ce qui permet de réduire un peu leur fermeté et donc d'améliorer le confort. A l'avant, le schéma de géométrie reste identique à celui des 911 (MacPherson avec barre anti-roulis) mais la répartition du poids idéale se charge d'annihiler la tendance au sous-virage de celle-ci.
Imaginez une Porsche 911 GT2 RS boostée par 130 ch supplémentaires et vous aurez éventuellement une idée de la poussée ressentie à bord de cette RUF. Un autre monde, à l'image du rapport poids/puissance inférieur à 2... Que faire avec un tel avion sur la route ? Et bien tout simplement rouler, savourer chaque kilomètre, car aussi surprenant soit-il, la CTR sait se montrer docile. En effet, RUF cherche la performance, mais également la polyvalence, il était impossible de fournir une auto trop délicate qui serait limitée au circuit. On se retrouve donc à conduire sur un filet de gaz une supercar de 750 ch qui se comporte aussi docilement qu'une Carrera de base. D'ailleurs, il faudrait être un peu dérangé, ou très confiant en ses talents de pilote, pour mettre plein gaz avec une telle machine avant de la connaître très intimement. L'excitation au volant est intense, entre la joie de conduire une voiture totalement hors normes aux performances grisantes et l'humilité qu'impose d'avoir près de 500 Nm sur chaque roue motrice...
En conduite rapide, l'agilité de la RUF met en confiance et à chaque accélération franche, les turbos soufflent fort. En appuyant un peu trop, l'avalanche de couple n'est pas loin de vous briser la nuque. Quel que soit le rapport engagé, les relances sont phénoménales. Une main de fonte dans un gant de cuir et d'Alcantara. Ce n'est pas tant le 0 à 100 qui impressionne, vous pouvez vous en approcher avec la plus sauvage des Caterham, mais ce qui se passe après... Entre 100 et 200, vous laissez la petite anglaise au rayon jouets pour entrer dans la puissance pure. Songez qu'en moins de 10 secondes, la CTR3 vous a catapulté à 200 Km/h ! Ce qui revient à dire que l'intervalle qui sépare le 100 du 200 sur le compteur a été parcouru par l'aiguille en 6 secondes environ. Réellement ahurissant et, ça, ce n'est que la première moitié du compteur...
Le reste de la CTR3 est au diapason, tenue de route surnaturelle capable de vous infliger bien plus d'1g dans les courbes sans prendre de roulis, freinage encore bien plus violent que l'accélération, finesse et précision de la direction, c'est toute la perfection Porsche qui se trouve sublimée dans la CTR3. Essayer cette diabolique machine à avancer le temps c'est prendre le risque de trouver ensuite qu'une Nissan GT-R est un pachyderme paresseux...
Pour les pilotes les plus aguerris, sachez qu'il est possible de désactiver l'ensemble des aides pour dompter le monstre les yeux dans les yeux. Et si jamais vous regrettez l'absence de rétroviseur intérieur pour voir celui qui est derrière vous et bien... il vous suffira d'accélérer pour ne plus en avoir beosin. Pour les autres, ceux qui préféreront un détour au Casino de Monaco, sachez aussi que les dos d'âne du centre ville ne poseront pas de souci. Comme toute bonne supercar, il est possible sur la pression d'un simple bouton de surélever la garde au sol du train avant de 50 mm pour faire face à toutes les situations du quotidien. Vous pourrez ensuite laisser le voiturier s'amuser avec la caméra de recul...
RUF CTR 3 CLUBSPORT
Parce que la CTR3 ne suffisait pas à quelques clients, depuis 2012 une option "Clubsport" est proposée. Au menu, une puissance portée à 777 ch (depuis 2014) et surtout un couple qui frôle les 1000 Nm (!). De quoi allumer l'asphalte des circuits lors des trackdays. Niveau look quelques différences avec un aileron fixe en carbone pour affiner les flux d'air et garantir un appui plus important à haute vitesse, un bouclier avant remanié et des élargisseurs d'ailes de 15 mm de chaque côté pour couvrir les voies élargies et des pneus plus larges (265/30 ZR19 et 345/30 ZR20). La supercar idéale si l'on a pas la chance d'avoir déjà une Carrera GT ou la nouvelle 918 chez Porsche !
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES
RUF CTR 3
MOTEURType : 6 cylindres boxer, 24 soupapes
Position : central AR
Alimentation : Bosch Motronic ME7.8 / Siemens EMS SDI 3.1 + calage variable Variocam Plus + 2 turbos KKK K24 avec échangeurs air/air
Cylindrée (cm3) : 3746 / 3800
Alésage x course (mm) : 102 x 76,4 / 102 x 77,5
Puissance maxi (ch à tr/mn) : 700 à 7000 / 750 à 7100
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 890 / 960 à 4000
TRANSMISSION
AR + DGL
Boîte de vitesses (rapports): manuelle (6) ou séquentielle (6) / double embrayage PDK (7)
ROUES
Freins Av-Ar (ø mm) : Disques céramiques (380) étriers 6 pistons + ABS Bosch 8.0
Pneus Av-Ar : 255/35 ZR 19 - 335/30 ZR 20 (Michelin Pilot Sport)
POIDS
Données constructeur (DIN en kg): 1400
Rapport poids/puissance (kg/ch) : 2 / 1,9
PERFORMANCES
Vitesse maxi (km/h) : 375 / 380
1 000 m DA : ND
0 à 100 km/h : 3"2
0 à 200 km/h : 9"6
CONSOMMATION
Moyenne (L/100 Km) : 13,5
CO2 (g/km) : 311
PRIX NEUF (2007) : 380.000 € HT
PUISSANCE FISCALE : NC CV
CONCLUSION
Brutale et polyvalente, tel est le drôle de compromis qu'offre RUF avec sa surprenante CTR3. Une supercar taillée pour la piste qui sait aussi se montrer douce quand on lui demande. Dans le monde de l'automobile d'exception, la CTR3 pourrait être considérée comme l'un de ces bijoux motorisés qu'on sort simplement dans les rendez-vous mondains parce qu'on est très riche. Mais son acheteur sait aussi qu'il pourra dévorer le Nürburgring ou aller au travail avec...
Authentique supercar
Artisanat de très haute qualité
Moteur inépuisable
Performances ahurissantes
Châssis équilibré
Efficacité hors normes !
Déjà collector !
Le prix...